Les pollutions de l'eau en France

Nitrates, résidus de pesticides, microorganismes, hormones, microplastiques … nos eaux sont confrontées à des pollutions de nature différentes, ayant des causes, des moyens de traitements et de prévention différents. Rapide tour d’horizon des polluants les plus fréquents.

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La pollution des eaux à de multiples visages en France. Entre engrais agricoles tels que les nitrates / phosphates, les pesticides, les différents perturbateurs endocriniens médicamenteux ou industriels, c’est chaque polluant qui possède ses logiques de prévention et d’épuration propres.

Les nitrates

Sans doute une des problématiques majeures en France, les nitrates sont très solubles dans l’eau. Après ces engrais répandus dans les champs, les plantes n’en absorbent qu’une petite partie, entre 20 et 40%. Le reste a tendance à ruisseler jusqu’aux cours d’eau ou s’infiltrer dans les nappes phréatiques s’il n’y a pas des rangées d’arbres pour les stopper. Une fois dans les cours d’eau, ils entraînent un phénomène d’eutrophisation du milieu, c'est à dire une asphyxie du milieu en raison d'un trop plein d'algues, pouvant conduire à une oppression des cours d’eau et aux fameuses marées vertes. En France, la dépollution des nitrates coûte annuellement environ 1 milliard d’euros.

En France, les critères de définition des zones vulnérables sont définis réglementairement. Ces zones désignées par les préfets coordonnateurs de bassin sont révisées tous les 4 ans. Dans les zones vulnérables, c’est à la fois le Programme d'actions national nitrates (PAN) qui s’applique, complété de Programmes d’actions régionaux. Il définit les mesures de bonne gestion des fertilisants pour limiter les fuites de nitrates au niveau des parcelles agricoles. C'est le 7e PAN qui s’applique aujourd'hui. Dans une moindre mesure, les activités agricoles et les eaux domestiques mal épurées peuvent engendrer des pollutions aux phosphates, dont les conséquences sont similaires à celles des nitrates (eutrophisation). Néanmoins, suite à des politiques publiques d’encadrement efficaces, cette pollution est résiduelle, comparée aux nitrates.

Les pesticides

Le terme pesticide regroupe les produits phytosanitaires tels que les herbicides, fongicides et les insecticides. La plupart des pesticides ne sont pas sélectifs. Dans le cas du désherbant glyphosate par exemple, de loin le plus utilisé, il s’attaque par définition à toutes les espèces qui ne sont pas les espèces de culture sélectionnées. Or la pluie a tendance à le disperser dans les sols, ou il se fixe sur les racines de nombreuses espèces de plantes, atténuant leur capacité à absorber des minéraux essentiels à cette bonne santé. Perturbateur endocrinien pour les insectes, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a déclaré le glyphosate probablement cancérigène pour l’homme.

Des études récentes montrent par ailleurs une disparition sans précédent des insectes, dont les pollinistateurs, au niveau européen : entre 70% et 80% de leur biomasse en 30 ans pour l’Europe de l’Ouest. La cause majeure en est la diffusion, par les airs et par les eaux de pluie et de ruissèlement, dans l’ensemble des biotopes d’insecticides non sélectifs. Les molécules des pesticides sont de fait complexes. Au contact de la chimie et de la biologie des sols, elles vont être progressivement dégradées sous la forme de métabolites, qui sont des formes dégradées de la molécule initiale mais qui reste toujours assez proche chimiquement, dont les effets peuvent être similaires à ceux de la molécule d’origine. Une fois présents dans les ressources en eau, ils sont susceptibles d’être transférés dans l’eau distribuée au consommateur en l’absence d’une filière de traitement adaptée.

Les limites de pesticides tolérées en question

Dans le cadre du contrôle sanitaire régulier mis en œuvre par les Agences régionales de santé (ARS), des résidus de pesticides ou des métabolites sont parfois détectés au-delà des limites de qualité. Dès lors, la réglementation prévoit des actions de gestion à la demande des autorités sanitaires locales pour rétablir la conformité de l’eau dans des délais impartis légalement : protection accrue de la ressource, interconnexions entre différentes ressources d’eaux brutes, dilution, traitement renforcé de l’eau distribuée, etc.

Le laboratoire d’hydrologie de l’Anses mène régulièrement des campagnes pour mesurer la présence de composés chimiques qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers dans l’eau du robinet.
Dans le dernier rapport, paru en avril 2023 et portant sur environ 150 substances sur 136 000 échantillons (20% de l’eau distribuée), certaines d’entre elles ont été retrouvées dans des quantités inquiétantes. C’est le cas par exemple du chlorothalonil R471811, métabolite issu d’un fongicide utilisé jusqu’en 2020, retrouvé dans presque 60% des échantillons d’eau. Dans un tiers des échantillons, il dépasse même la limite qualité, fixée en 2007 à 0,1 microgramme par litre. Limite qui n’aurait "pas de signification sanitaire", selon la Direction générale de la santé.

L'association Solagro propose une carte interactive, la carte Adonis, qui permet de visualiser l’utilisation des pesticides dans chaque commune. Le plan gouvernemental de 2018 Écophyto II+ veut quant à lui atteindre l’objectif de réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50% d'ici 2025 et de sortir du glyphosate « au plus tôt ».

Les perturbateurs endocriniens

Nous relarguons dans nos eaux de nombreuses substances médicamenteuses et hormonales qui peuvent perturber notre complexe et fragile système endocrinien, régulé par plus de 80 hormones et des centaines de systèmes de signalisation chimiques auxiliaires. Outre le fait qu’ils nous reviennent par notre alimentation et ont tendance à s'accumuler dans nos graisses, car difficiles à épurer, les conséquences sur la faune aquatique sont désormais connues : les œstrogènes, évacuées en grand nombre dans les urines des femmes qui prennent la pilule créent un déséquilibre entre les sexes des poissons, les mâles se faisant de moins en moins nombreux. 

Estradiol, estrone, progestérone, testostérone… autant de composés problématiques d’ailleurs souvent rejetés davantage au niveau des industries pharmaceutiques, établissements de soins et surtout des élevages, grands consommateurs de produits hormonaux. Les phtalates, présents dans les emballages plastiques, les peintures, cosmétiques, etc. font l'objet d'une attention particulière. Leur biodégradation semble assez rapide en condition aérobie, mais ils se concentrent dans les boues. Le bisphénol A, contenu dans les récipients plastiques, est lui aussi présent dans les eaux urbaines et surtout les eaux industrielles. Il est assez bien dégradé par les systèmes de boues activées, passage par lequel toutes les eaux traitées ne passent pas.

Moins connus, mais peut-être plus préoccupants encore, l'octylphénol et le nonylphénol sont des perturbateurs endocriniens puissants et persistants produits et relargués par les industries des résines, encres, revêtements, produits ménagers… Ils se stockent dans les graisses des animaux marins et remontent ainsi la chaîne alimentaire, depuis leur accumulation dans les sédiments.

Le cas du chlordécone est à part par son ampleur dans les Antilles : lessivé par les puits depuis les zones agricoles où il était utilisé, il s’infiltre partout pour une durée de vie de plusieurs siècles. Perturbateur endocrinien qui augmente aussi les risques de cancer de la prostate et de naissance prématurée, quelque 95% des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais présentent des traces de chlordécone dans le sang. Les recherches en matière de décontamination sont jugées prometteuses avec l’usage de nouveaux types de filtres à eau, de bactéries, de réducteurs chimiques et de compost intégrant des algues sargasses qui envahissent le littoral et qui représentent une piste d'autant plus intéressante que ces algues envahissent régulièrement les eaux antillaises.

Quels risques sur l’approvisionnement en eau potable ?

En 2022, l’alimentation en eau potable de la population française est assurée par près de 37 700 captages ou ouvrages de prélèvement dans les eaux souterraines. Ce nombre se réduit d’année en année, principalement pour réduire les dépenses publiques dans un contexte de resserrement des budgets. Ainsi, sur la période 1980-2021, 12 600 captages d’eau potable ont été fermés. La première cause d’abandon sur cette période est liée à la dégradation de la qualité de la ressource en eau (32,9 % des situations). Parmi les captages abandonnés pour cette raison : 40,7 % le sont du fait de teneurs excessives en nitrates et/ou pesticides, 24,1 % pour des raisons de microbiologie, 7,6 % du fait de présence d’arsenic, 6,6 % pour des excès de turbidité de l’eau et 20,2 % à cause d’autres paramètres en excès (hydrocarbures, sulfates, solvants, fer, manganèse, sélénium, fluorures et fluor, etc.).

En d’autres termes, la fermeture des points de captages et souvent préférée à l’investissement supplémentaire qui permettrait d’affronter les pollutions détectées. Une autre controverse naissante : celle du choix entre l’augmentation des seuils de polluants tolérés pour ne pas avoir à faire exploser les coûts ou fermer les points de captages, et le maintien d’un principe de précaution sanitaire fort. D’une manière générale, ce sont 15,1 milliards d’euros qui ont été consacrés aux différents objectifs de dépollution et de prévention des pollutions de l’eau en France (chiffre de 2020). Un montant globalement stable sur les dernières années. 85% de ce total concerne l’assainissement des eaux usées. Le renouvellement des équipements de dépollution basés sur des technologies nouvelles pourrait appeler néanmoins à une augmentation de l’effort budgétaire.