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Commande publique - Les sénateurs refusent que Bruxelles touche à la loi Sapin

Décidément, les parlementaires français spécialistes des questions européennes ont une dent ces temps-ci contre la Commission européenne. Une semaine après que la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale s'est prononcée contre l'intervention de Bruxelles sur la politique du logement française (voir notre article du 8 mars 2011), son homologue du Sénat vient d'adopter une résolution tout aussi critique. A l'initiative du sénateur Simon Sutour (PS, Gard), les membres de la commission des affaires européennes ont adopté mercredi 9 mars un projet de résolution s'opposant à une réglementation européenne sur les concessions de services. Les sénateurs craignent d'être obligés de réécrire la loi Sapin et de devoir suivre des procédures plus lourdes pour passer leurs délégations de service public.

La Commission européenne veut une directive sur les concessions de services

Rappelons le contexte : les marchés publics et les concessions de travaux sont soumis à diverses directives européennes. Pas les concessions de services, c'est-à-dire principalement en droit français les délégations de service public, par exemple sur les déchets, l'énergie ou les transports. Ou plus précisément, les concessions de services sont bien soumises à du droit européen, mais pas à un texte unique  : elles sont soumises aux traités, aux communications interprétatives et à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (pour un exemple récent de cette jurisprudence, voir encadré ci-dessous). La Commission européenne voudrait clarifier ce droit en faisant adopter une directive portant uniquement sur les concessions de services.
Le 28 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour les mois à venir (voir notre article ci contre du 2 novembre 2010). Or dans ce programme dénommé "Vers un acte pour le marché unique", elle indiquait qu'elle comptait présenter une proposition de directive sur ce sujet dès le début de l'année 2011. Pour la Commission, il faut un texte pour que puissent mieux se développer les partenariats public-privé au sein de l'Union et limiter les risques de corruption notamment dans les nouveaux pays membres. Pour l'instant, le Parlement européen s'est prononcé contre un tel texte : il estime que la Commission n'a pas démontré que le marché de l'Union européenne avait besoin de cette directive pour mieux fonctionner (voir notre article ci-contre du 19 mai 2010).

Unanimité contre ce texte en France

En France, la perspective d'une directive sur les concessions de services est accueillie avec beaucoup de méfiance tant par le gouvernement que par les parlementaires et les élus locaux. L'Association des maires de France et l'Assemblée des départements de France (ADF) ont déjà adressé à la Commission une lettre présentant leurs arguments en défaveur d'un tel texte. Il faut dire qu'actuellement, la loi Sapin du 29 janvier 1993 fait consensus. Tout en encadrant les délégations de service public, cette loi donne aux autorités délégantes la liberté de négocier avec les candidats de leur choix pourvu que les offres respectent le cahier des charges. Or, si une directive européenne était adoptée, la loi Sapin serait fortement révisée. Les parlementaires craignent que la Commission veuille calquer les directives marchés publics sur les concessions de services. Ce qui signifierait une forte réduction de la liberté de choix des autorités concédantes. Dans des déclarations récentes, le commissaire chargé du marché intérieur Michel Barnier, s'est voulu rassurant : la Commission s'orienterait "vers une initiative a minima, posant les grands principes". De plus, le droit français est cité comme modèle par la Commission.
En dépit de ces déclarations rassurantes, les sénateurs jugent que la "vigilance reste de mise". Dans leur résolution, ils considèrent que "les raisons ayant conduit à ne pas légiférer jusqu'à présent demeurent valables" e rappellent que le traité de Lisbonne "reconnaît une large autonomie des autorités publiques pour fournir et organiser les services publics". Ils souhaitent que si un texte européen était adopté, il "se limite à quelques grands principes, notamment en matière de publicité".
Les sénateurs "s'opposent fermement à l'adoption de procédures semblables à celles en vigueur en matière de marchés publics, se disent "attachés à la libre négociation des offres" et refusent toute remise en cause de l'équilibre de la loi Sapin. Cette résolution a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes, elle devrait être soumise prochainement au vote des sénateurs en séance plénière.

Hélène Lemesle

Références : Sénat, Proposition de résolution européenne sur les concessions de service public, présentée par Simon Sutour, 9 mars 2011

 

La CJUE précise la définition d'une concession de services

Saisie d'un litige concernant des contrats de prestation de services de secours conclus par le groupement communal de Passau (Allemagne), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rappelé les critères permettant de distinguer un marché de services d'une concession de services au sens de la directive 2004/18 du 31 mars 2004.
La différence entre un marché public de services et une concession de services repose principalement sur la contrepartie de la prestation. Un marché de services comporte en effet "une contrepartie qui, sans pour autant être la seule, est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire" (article 1, paragraphe 2 de la directive 2004/18). A contrario, dans le cas d'une concession de services, la contrepartie de la prestation "consiste dans le droit d'exploiter le service, soit seul, soit assorti d'un prix" (article 1, paragraphe 4 de la directive 2004/18). C'est donc le mode de rémunération qui constitue l'élément déterminant pour définir une concession de services.

Si les usagers paient, "un risque d'exploitation très limité" suffit

Lorsque la rémunération du prestataire provient exclusivement des tiers (c'est-à-dire des usagers), le transfert d'un risque d'exploitation même "très limité" est suffisant. La Cour avait déjà précisé que le fait que le cocontractant ne soit pas directement rémunéré par le pouvoir adjudicateur, mais qu'il puisse percevoir une rémunération auprès de tiers répondait à l'exigence d'une contrepartie prévue par la directive 2004/18. Elle avait en outre estimé que "la concession de services implique que le concessionnaire prenne en charge le risque lié à l'exploitation des services en question". La CJUE avait toutefois considéré, dans un arrêt du 10 septembre 2009, Eurawasser, C 206/08, que "lorsque la rémunération du prestataire provient exclusivement de tiers, le transfert par le pouvoir adjudicateur d'un risque d'exploitation très limité suffit pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une concession de services".
En l'espèce, la difficulté portait principalement sur le fait que la rémunération du prestataire ne provenait pas directement des usagers du service de secours mais d'un "bureau" payant pour des organismes de sécurité sociale.  Pour la CJUE, il suffit que "toutes les rémunérations du prestataire de services proviennent de personnes distinctes du pouvoir adjudicateur qui lui a attribué le contrat" pour qu'on soit dans le cas d'une concession de services. De plus,  la CJUE a estimé que l'opérateur encourait bien un risque d'exploitation, même très limité ce qui suffisait pour caractériser la concession. Et donc le contrat en cause n'avait pas à suivre les règles de passation s'appliquant aux marchés publics.

Les concessions de services doivent respecter les règles fondamentales de l'Union européenne

Cependant, la CJUE rappelle que si, à l'heure actuelle, les contrats de concession de services ne sont pas soumis aux règles de publicité et de mise en concurrence fixés par la directive marchés publics, "les autorités publiques qui concluent de tels contrats sont néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), notamment les articles 49 TFUE et 56 TFUE, ainsi que l'obligation de transparence qui en découle, au cas où […] le contrat concerné présente un intérêt transfrontalier certain". Les pouvoirs adjudicateurs sont donc tenus de respecter a minima les principes d'égalité de traitement, de transparence, de proportionnalité et de reconnaissance mutuelle (ou non-discrimination).

L'Apasp

Référence : CJUE, 10 mars 2011, "Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler c.Zweckverband für Rettungsdienst und Feuerwehralarmierung Passau", aff. C-274/09

 

 

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