Logement : la proposition choc des sénateurs pour refondre, simplifier, décentraliser
Devant un marché du logement paralysé, les sénateurs LR Dominique Estrosi Sassone (Alpes-Maritimes) et Mathieu Darnaud (Ardèche) appellent à rebâtir les fondations de la politique nationale. Leur proposition de loi, présentée au Sénat le 2 décembre, vise un nouvel équilibre entre État et territoires, une réforme de la loi SRU, un soutien renforcé au parc social et une mobilisation accrue du foncier. Un chantier conçu pour relancer la construction et redonner prise aux élus locaux.
© Alexandre Prevot CC BY-SA 2.0
Face à une crise du logement jugée structurelle et profonde, les sénateurs LR Dominique Estrosi Sassone (Alpes Maritimes) et Mathieu Darnaud (Ardèche) ont déposé, mardi 2 décembre, une proposition de loi visant à refonder la politique du logement en France. Ce texte propose un vaste chantier de décentralisation et de simplification normative pour atteindre des objectifs de construction ambitieux, loin de ce que les auteurs perçoivent comme un "dogmatisme" étatique.
Le ton a été donné dès l’exposé des motifs, qui emprunte à Paul Valéry une formule poétique pour souligner l'urgence : "De tous les actes, le plus complet est celui de construire."
Une programmation nationale
Le Titre I de la proposition vise à rétablir une programmation nationale du logement. Selon les auteurs, l'État doit affirmer son rôle d’impulsion en fixant des objectifs de production précis à l’horizon 2030.
L'article 1er insère un nouveau chapitre au code de la construction et de l’habitation, détaillant les objectifs nationaux : la construction de 400.000 logements par an (dont au moins 120.000 sociaux), la réalisation de 800.000 rénovations d’ampleur par an d’ici 2030 soutenues par MaPrimeRénov’, et le soutien à l’adaptation d’au moins 50.000 logements par an au vieillissement ou au handicap via MaPrimeAdapt’.
Le pari de la confiance locale
L’un des piliers de cette proposition est le renouvellement du pacte entre l’État et les collectivités. L’article 2 prévoit de renforcer le statut de l’Autorité organisatrice de l’habitat (AOH), créée par la loi 3DS de 2022. Leurs compétences actuelles étant jugées trop limitées, les AOH pourront "contractualiser avec l’État afin d’adapter certaines normes en matière d’habitat et de logement et de réviser les zonages utilisés en matière de tension locative". De plus, elles pourront adapter les critères de logement décent et d'insalubrité dans les outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte) aux situations spécifiques de ces territoires.
Le logement social (Titre II) est au cœur de la décentralisation telle qu'envisagée par les sénateurs. L’article 3 s’attaque à la loi SRU, visant à la rendre plus pragmatique et moins punitive. Les auteurs estiment que "la loi doit cesser d'être un carcan uniforme, et l'État un donneur de leçon qui sanctionne au lieu d'accompagner les élus". Le texte prévoit notamment de supprimer certaines sanctions jugées contre-productives (comme la reprise par le préfet du droit de préemption ou l'instruction des permis de construire), de faire bénéficier l’échelon local du versement des pénalités pour financer le logement social (plutôt que de les faire remonter au niveau national), mais aussi de permettre aux communes sous contrat de mixité sociale (CMS) de comptabiliser une partie de leurs objectifs de rattrapage en logements intermédiaires. Le texte prévoit en outre de supprimer la commission nationale SRU qui "s'interpose entre les maires et les préfets et conduit à imposer des décisions nationales contre des accords locaux".
En vue de restaurer l’autorité municipale, l’article 4 donne la main aux maires sur les attributions de logements sociaux, "pour lutter contre un sentiment de dépossession". Les maires, premiers responsables de la construction et de l'accueil des populations, se voient accorder un droit d’opposition motivée pour l’ensemble des attributions de logements sociaux.
Mobilisation du foncier et financement du parc HLM
Afin de faciliter la production de logements, des mesures ciblent la mobilisation du foncier à coût abordable. L’article 5 introduit ainsi, à titre expérimental pour sept ans, un droit de préemption urbain visant spécifiquement la régulation des marchés pour lutter contre la spéculation, permettant aux collectivités d’agir lorsque les conditions d’aliénation d’un bien sont jugées excessives.
La transformation de bureaux en logements est également accélérée dans l’article 6, notamment en intégrant ces opérations dans le champ des opérations de revitalisation de territoires (ORT) et en octroyant des bonus de constructibilité dans ces périmètres.
Concernant les organismes HLM (Titre IV), la proposition cherche à "redonner des marges de manœuvre et de la visibilité financières". Dans le cadre du financement du fonds national des aides à la pierre (Fnap), le texte supprime l'inscription dans la loi d’une contribution annuelle fixe de 375 millions d’euros des organismes HLM. Surtout, l'article 13 acte le désengagement total de l’État du Fnap depuis 2018 et inscrit une trajectoire légale pour un financement à parité entre l’État et les bailleurs sociaux à l’horizon 2030. Enfin, une trajectoire de réduction de la réduction de loyer de solidarité (RLS) est prévue pour 2030, compensée par une augmentation des APL perçues par les locataires concernés.
Par ailleurs, l’article 15 autorise les bailleurs sociaux, lors de la remise en location d'un logement réhabilité, à fixer un loyer au niveau de ceux pratiqués pour le neuf, afin d'inciter et de responsabiliser les bailleurs dans leurs politiques de rénovation.
Protéger la propriété et faciliter l’accession
Le Titre III réaffirme le droit de propriété, considéré comme "droit inviolable et sacré inscrit à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789". L’article 8 vise à compléter la loi anti-squat de 2023 et pénalise "le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte", y compris dans les cas de location meublée touristique détournée. La procédure administrative d’expulsion est également élargie aux locaux qui ne sont pas des logements (bureaux, par exemple).
Pour desserrer l’accès au crédit, l’article 9 demande au Haut Conseil pour la stabilité financière (HCSF) de prendre en compte l’objectif constitutionnel de favoriser l’accès au logement.
Enfin, l’accession sociale est encouragée dans l’article 10 par la facilitation des sociétés immobilières d’accession progressive à la propriété (SCI-APP), notamment en supprimant leur durée maximale de 25 ans. L'article rétablit aussi la possibilité pour les organismes HLM d'autoriser la vente de logements aux locataires et aux gardiens avec une décote allant jusqu’à 20%, pratique que la loi ELAN de 2018 avait supprimée. L'objectif est de rétablir cette possibilité tout en encadrant le dispositif anti-spéculatif en conséquence.