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Culture - Loi Création : ce qui change pour les collectivités

Adoptée après un accord en commission mixe paritaire et le vote final par l'Assemblée et le Sénat (voir nos articles ci-contre de juin 2016), la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine restera comme le principal texte du quinquennat dans le secteur culturel. Avec nombre de dispositions importantes intéressant les collectivités...

Article initialement publié le 12 juillet 2016 

Longtemps attendue, âprement discutée dans certaines de ses dispositions avant l'accord final en commission mixte paritaire (CMP), la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine sert de véhicule législatif - au-delà de sa propre logique d'origine - à un grand nombre de dispositions de toute nature. D'où un côté un peu "fourre-tout", auquel les 2.800 amendement déposés sur le texte ont contribué. Si le champ couvert est ainsi très large - des quotas de chansons françaises à la protection du patrimoine -, nombre de dispositions n'en intéressent pas moins très directement les collectivités territoriales.

"La création artistique est libre"

Fort de six chapitres, le titre Ier de la loi est consacré à la liberté de création et à la création. Face à la tendance générale à une certaine logorrhée législative - régulièrement dénoncée par le Conseil d'Etat -, l'article Ier du texte tente d'imiter, dans sa brièveté, l'article Ier de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ("L'imprimerie et la librairie sont libres"). Il proclame en effet : "La création artistique est libre." Mais le contexte d'aujourd'hui n'est pas vraiment celui de 1881 et la création artistique n'a pas attendu 2016 pour être libre...
Cette proclamation s'accompagne toutefois de quelques conséquences pratiques : sanctions (un an de prison et 15.000 euros d'amende) pour "entrave concertée et par menaces" à l'exercice et à la diffusion de la création artistique (article 2) et reconnaissance législative d'une "politique de service public construite en concertation avec les acteurs de la création artistique" par l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics (art.3), avec une liste de 21 objectifs à mettre en œuvre...
Plus concrètement, la loi (art. 4) modifie le code général des collectivités territoriales, en prévoyant que "chaque conférence territoriale de l'action publique comprend au moins une commission thématique dédiée à la culture", avec obligation, pour le président du conseil régional, d'inscrire à l'ordre du jour un débat sur la politique en faveur de la culture au moins une fois par an.
Pour sa part, l'article 5 donne un cadre législatif à la délivrance, par l'Etat, de labels et au conventionnement avec les structures du spectacle vivant ou des arts plastiques (toujours après avis des collectivités territoriales concernées, y compris pour un retrait de label).

Clarification de la pratique amateur

Consacré au partage et à la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique, le chapitre II (articles 7 à 30) n'a que peu d'impacts directs sur les collectivités. Même chose pour le chapitre III (article 31), consacré au soutien à la création artistique (mais en fait au droit d'auteur après le décès du créateur et au droit de suite). A signaler toutefois : la loi (art. 20) ajoute l'éducation artistique et culturelle (EAC) aux actions financées par les sociétés de gestion de droits d'auteur (comme la Sacem). L'EAC rejoint ainsi les actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes.
Le chapitre IV (articles 32 à 40) se consacre à la promotion de la diversité culturelle et à l'élargissement de l'accès à l'offre culturelle. Il donne notamment (art. 32) une définition de la pratique amateur : "toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n'en tire aucune rémunération", avec toutefois une possibilité de remboursement de frais. Surtout, il confirme que ce mode de pratique artistique ne relève pas du contrat prévu par le code du travail, tout en n'empêchant pas la mise en place d'une billetterie payante dès lors que les recettes financent les activités et les frais. En revanche, si le spectacle est organisé dans un cadre lucratif, toute personne qui y participe relève des articles L.7121-3 et L.7121-4 du code du travail (présomption d'un contrat de travail).
De même, l'article 33 règle la question de l'exception handicap, en autorisant la reproduction - hors droit d'auteur - de toute œuvre par des moyens adaptés en vue "d'une consultation strictement personnelle de l'œuvre par des personnes atteintes d'une ou de plusieurs déficiences des fonctions motrices, physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques et empêchées, du fait de ces déficiences, d'accéder à l'œuvre dans la forme sous laquelle l'auteur la rend disponible au public".

Droit du travail et collectivités entrepreneurs de spectacle vivant

Traitant du développement et de la pérennisation de l'emploi et de l'activité professionnelle, le chapitre V (articles 41 à 50) apporte une précision importante. Il indique en effet (art. 47) que "lorsque les collectivités territoriales ou leurs groupements [...] agissent en qualité d'entrepreneur de spectacles vivants, les artistes du spectacle vivant qu'ils engagent pour une mission répondant à un besoin permanent sont soumis aux dispositions applicables aux agents contractuels de la fonction publique territoriale".
 En revanche, ces artistes relèvent du code du travail lorsqu'ils effectuent une activité répondant à la définition du contrat à durée déterminée (donnée par l'article L.1242-2 du même code).
Les collectivités sont également très directement concernées par le titre VI de la loi (articles 51 à 54), consacré à l'enseignement artistique spécialisé et à l'enseignement supérieur de la création artistique et de l'architecture. La loi précise la définition et détaille les missions et les modalités de fonctionnement de ces établissements. Elle confie à l'Etat et aux collectivités le soin de garantir "une véritable égalité d'accès aux enseignements artistiques, à l'apprentissage des arts et de la culture". Elle donne à la région la possibilité d'élaborer un schéma régional de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique. Ce document régional doit s'articuler avec les schémas départementaux.

Patrimoine mondial de l'Unesco, Frac et archives

Le titre II de la loi regroupe les dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l'architecture. Son titre Ier (articles 55 à 69) aborde ainsi la protection et la diffusion du patrimoine culturel. Il renforce les sanctions contre le trafic d'éléments du patrimoine (art. 56) et intègre au code du patrimoine les modalités de gestion des biens inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco (art. 55).
La loi précise également (art. 57) les conditions d'octroi du label "Fonds régional d'art contemporain" (Frac) et les obligations qui en découlent. Elle précise (art. 61 et 62) la possibilité ouverte à la commune de déposer des archives au service d'archives du groupement de communes à fiscalité propre dont elles sont membres ou au service d'archives de la commune membre désignée par ce groupement pour gérer les archives, ou encore au service départemental d'archives compétent. Au passage, la loi renforce le contrôle d'Etat sur l'intégrité des archives (art. 63 à 65), mais aussi sur la préservation des biens appartenant aux établissements détenteurs du label "Musées de France" (art.67).

Archéologie préventive : le retour de l'Etat... et de l'Inrap

Le chapitre II (art. 70 et 71) a été l'un des plus débattus. Il porte en effet sur la réforme du régime juridique des biens archéologiques et des instruments de la politique scientifique archéologique, à commencer par l'Inrap. Le très volumineux article 70 réforme ainsi en profondeur l'archéologie préventive.
Sans revenir officiellement sur le principe de l'ouverture à la concurrence - mise en place en 2003 avec l'ouverture aux services des collectivités territoriales et aux opérateurs privés -, il renforce le contrôle scientifique de l'Etat sur le domaine et favorise clairement l'Inrap. La loi crée notamment un Conseil national de la recherche archéologique et des commissions territoriales de la recherche archéologique (présidées par le préfet). Ce même article précise également le régime de propriété applicable aux biens archéologiques mobiliers mis au jour à la suite d'opérations de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites avec, là aussi, le souci de faire primer la sauvegarde entre les mains de l'Etat.

Protection du patrimoine : l'arrivée des "sites patrimoniaux remarquables"

Le chapitre III (articles 72 à 92) - le plus volumineux de la loi - entend valoriser les territoires par la modernisation du droit du patrimoine et la promotion de la qualité architecturale. Son contenu principal (art. 74 et 75) refond le dispositif de protection et de valorisation du patrimoine, avec plusieurs dispositions importantes. Ainsi, dans un souci de simplification et de lisibilité, la loi crée un nouveau régime de protection : les sites patrimoniaux remarquables, définis comme "les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public". Peuvent également être classés à ce titre "les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou quartiers un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à leur conservation ou à leur mise en valeur".
Le classement de ces sites patrimoniaux remarquables relève d'une décision du ministre de la Culture, après avis de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture - qui remplace la Commission nationale des monuments historiques - et enquête publique conduite par l'autorité administrative. Celle-ci se fait "sur proposition ou après accord de l'autorité compétente en matière de plan local d'urbanisme, de document en tenant lieu ou de carte communale et, le cas échéant, consultation de la ou des communes concernées".
Un plan de sauvegarde et de mise en valeur (voir ci-après) peut être établi sur tout ou partie du site patrimonial remarquable, en concertation avec l'architecte des bâtiments de France. La loi prévoit également la création d'une commission locale du site patrimonial remarquable, composée de représentants de la ou des communes concernées, de l'Etat, des associations et de personnalités qualifiées.

Assouplissement de la zone des 500 mètres

La loi remet aussi en cause un dispositif qui semblait jusqu'alors intangible : le périmètre de protection de 500 mètres autour d'un monument classé. Le texte généralise en effet les possibilités de dérogation (à la baisse ou à la hausse), dès lors qu'un document "pris par décision de l'autorité administrative", sur proposition de l'architecte des bâtiments de France, définit le périmètre de la zone protégée. A défaut, c'est la règle des 500 mètres qui s'appliquera.
Enfin, la loi crée un label pour le patrimoine architectural de moins d'un siècle (qui ne peut être classé monument historique). Ce label vise "les immeubles, les ensembles architecturaux, les ouvrages d'art et les aménagements, parmi les réalisations de moins de cent ans d'âge, dont la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant". Il est accordé par décision motivée de l'autorité administrative, après avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. Sans avoir la valeur juridique d'un classement, il permet d'imposer une concertation avec les services du patrimoine avant toute modification du bien.

Les architectes tirent leur épingle du jeu

En matière d'architecture, la principale disposition (art. 82) - elle aussi très discutée - fixe à 150 m2 la surface de plancher à partir de laquelle le recours à un architecte est obligatoire (hors le cas des bâtiments agricoles). Autre disposition à ce titre : l'intervention d'un architecte et d'un paysagiste sera également obligatoire pour les projets de lotissements (art. 81).
En matière d'urbanisme et de logement, la loi (art. 88) prévoit qu'à titre expérimental et pour une durée de sept ans, l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que leurs groupements et les organismes HLM "peuvent, pour la réalisation d'équipements publics et de logements sociaux, déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles".
De même (art. 89), l'autorité compétente en matière de délivrance du permis de construire peut réduire les délais d'instruction des demandes de permis de construire présentées par les personnes physiques et morales, lorsque le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire a été établi par un architecte.

Ordonnances et dispositions diverses

Le projet de loi comporte aussi plusieurs articles habilitant le gouvernement à procéder à certaines réformes par ordonnances. L'un d'entre eux (art. 93) concerne la modification du code du cinéma et de l'image animée. Pour sa part, l'article 95 autorise le gouvernement à compléter et modifier par ordonnance le code du patrimoine. Il s'agit essentiellement de mesures d'adaptation et d'harmonisation des dispositions actuelles.
S'ajoutent à ces dispositions une vingtaine d'articles consacrés aux dispositions diverses, transitoires et finales. Outre les traditionnels articles sur les dispositions propres à l'Outre-mer, on retiendra quelques mesures intéressant les collectivités. L'article 101 donne ainsi satisfaction aux défenseurs des moulins, en prévoyant que "la gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances [...], protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables".
Pour sa part, le long article 105 apporte plusieurs modification au code de l'urbanisme : possibilités accrues de dérogations pour "les projets soumis à autorisation de construire dont la réalisation présente un intérêt public du point de vue de la qualité ainsi que de l'innovation ou de la création architecturales", et - surtout - mise en place du "plan de sauvegarde et de mise en valeur", jusqu'alors réservé aux "secteurs sauvegardés". Sur le secteur qu'il recouvre, ce plan "tient lieu de plan local d'urbanisme".

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : loi 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (Journal officiel du 8 juillet 2016).

 

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