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Projet de loi CAP - Archéologie préventive : le Sénat ne veut pas de l'extension du rôle de l'Inrap

La commission des affaires culturelles du Sénat a adopté, le 27 janvier, 183 amendements au projet de loi relatif à la "liberté de création, à l'architecture et au patrimoine" (CAP). Une partie d'entre eux visent à empêcher la "reconcentration de l'archéologie préventive entre les mains de l'Inrap, au détriment des services de collectivités territoriales et des opérateurs privés". Parmi les autres modifications (voir en encadré), les sénateurs ont rebaptisé les "cités historiques" en "sites patrimoniaux protégés" et renforcé le rôle des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture. A noter également : le recours à un architecte pour tous les projets de lotissement ; la suppression du "pouvoir d'expérimenter" en dérogeant à certaines normes de construction... Le texte sera examiné en séance publique à partir du 9 février.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a examiné et adopté, le 27 janvier, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (dit, projet de loi "CAP"). A cette occasion, les deux rapporteurs - François Ferat, sénatrice (UDI-UC) de la Marne, et Jean-Pierre Leleux, sénateur (Les Républicains) des Alpes-Maritimes, - et les membres de la commission se sont attardés sur l'archéologie préventive en général et sur l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) en particulier. Les relations entre le Sénat et l'Inrap n'ont pas toujours été des plus cordiales - notamment autour de la durée de chantiers de fouille et de l'ouverture à la concurrence - et ce passif se ressent dans les amendements adoptés par la commission.

Empêcher une "tentative de reconcentration de l'archéologie préventive"

Celle-ci a ainsi introduit plusieurs modifications au - volumineux - article 20 du projet de loi adopté le 6 octobre dernier, en première lecture, par l'Assemblée nationale. Ces amendements visent à empêcher ce que le Sénat considère comme une tentative de "reconcentration de l'archéologie préventive entre les mains de l'Inrap, au détriment des services de collectivités territoriales et des opérateurs privés".
La commission a également (amendement com-231) soumis la procédure d'habilitation d'un service archéologique d'une collectivité à l'avis du Conseil national de la recherche archéologique, allégé les éléments à fournir et - surtout - supprimé l'obligation de passer convention avec l'Etat en contrepartie de l'habilitation. Selon l'exposé des motifs, il s'agit de supprimer une disposition "qui, soit est incantatoire, soit peut s'avérer dangereuse pour la libre administration des collectivités territoriales".
Un autre amendement (com-227) porte d'une semaine à 21 jours le délai laissé à une collectivité pour décider si elle entend faire réaliser le diagnostic d'archéologie préventive par son service d'archéologie et répondre ainsi à l'Etat. Ce délai avait été ramené à une semaine - "sans consultation avec les collectivités territoriales" - par le décret du 9 juillet 2015 relatif à la réduction des délais d'instruction des autorisations d'urbanisme.

Pas de monopole de l'Inrap sur les fouilles sous-marines

La commission a supprimé (com-236) le monopole accordé à l'Inrap par le projet de loi sur les fouilles sous-marines intervenant sur le domaine public maritime et la zone contiguë. Les sénateurs ont en effet estimé que cette situation de monopole, introduite par l'Assemblée nationale, "s'oppose à l'esprit de la loi de 2003 qui a ouvert le secteur des fouilles au secteur concurrentiel".
Dans un autre amendement (com-237), la commission a supprimé les dispositions introduites par l'Assemblée et qui durcissaient les exigences (non scientifiques) vis-à-vis des opérateurs privés, au point de prendre un caractère vexatoire. La disposition supprimée par le Sénat obligeait en effet les opérateurs à transmettre chaque année à l'autorité compétente de l'Etat un bilan scientifique, administratif, social, technique et financier de son activité en matière d'archéologie préventive, alors qu'il est déjà prévu un renouvellement périodique de l'agrément. Dans le même esprit, un autre amendement (com-238) - de portée plus symbolique - introduit dans la loi l'implication des opérateurs privés dans la recherche archéologique, aux côtés de l'Inrap et des services de collectivités territoriales agréés.

Contraintes allégées pour les appels d'offres

La commission a sensiblement allégé (com-239) les contraintes mises en place autour des appels d'offres en archéologie préventive, en refusant notamment que les services régionaux d'archéologie (SRA) reçoivent l'ensemble des offres et qu'ils les notent, car "cela outrepasserait leur mission de contrôle".
De même, l'amendement limite au seul projet scientifique d'intervention (PSI) le contrôle de conformité aux cahiers des charges par les services régionaux d'archéologie, la commission considérant que "les autres éléments de l'offre n'ont pas à être connus des SRA". Il rétablit aussi la possibilité du recours à sous-traitance, en considérant que "tous les opérateurs - y compris l'Inrap - sous-traitent une partie des opérations pour répondre aux exigences de la prescription édictée par l'Etat". Enfin, la commission a rétabli la possibilité, pour les opérateurs privés, de bénéficier du crédit impôt recherche.
Le texte adopté par la commission sera examiné par le Sénat, en séance publique, à partir du 9 février 2016.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, (adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, examiné par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat le 27 janvier 2016.).

Autres amendements adoptés en commission du Sénat

Outre les amendements concernant l'archéologie préventive, la commission des affaires culturelles du Sénat a adopté d'autres modifications au projet de loi dite "CAP", relatif à la "liberté de création, à l'architecture et au patrimoine". Zoom sur quelques amendements adoptés, dans l'ordre d'apparition.

Monuments et cités historiques

Commission nationale des cités et monuments historiques (art.23) - La "Commission nationale des cités et monuments historiques" devient "Commission nationale du patrimoine et de l'architecture", afin de "mieux refléter l'étendue de ses missions". Plusieurs amendements viennent en modifier la composition et le fonctionnement, ainsi que ceux des commissions régionales du même nom qui auront "un véritable pouvoir d'initiative en matière de patrimoine et d'architecture".

Patrimoine (art. 23) - Deux amendements concernent les sites inscrits au patrimoine mondial de l'Humanité de l'Unesco. Le premier indique que le périmètre du site et sa "zone-tampon" font l'objet d'une "élaboration conjointe par l'Etat et les collectivités territoriales intéressées". Le second rend obligatoire leur prise en compte par les documents d'urbanisme des collectivités.

Monuments historiques (art. 24) - Un amendement rend "inconstructible, à l'exception des bâtiments strictement nécessaires à leur entretien et à leur visite par le public", le périmètre des monuments historiques. Un autre étend aux "établissements publics qui possèdent en bien propre des immeubles classés ou inscrits aux monuments historiques", la disposition d'inaliénabilité du domaine national. Un troisième "octroie à l'Etat un droit de préemption sur toute vente d'une partie d'un domaine national appartenant à une personne autre que lui ou l'un de ses établissements publics". Un quatrième impose "une consultation systématique de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture, et un accord du ministre chargé de la culture préalablement à toute cession" de bien classé monument historique.

Règle des 500 mètres (art. 24) - Il est donné aux collectivités concernées la possibilité de choisir entre "la règle des 500 mètres" de protection automatique des abords des monuments historiques, et le régime de délimitation au cas par cas introduit par l'Assemblée en première lecture. Un amendement est "destiné à lever une ambiguïté en précisant que l'enquête publique unique s'impose dans les cas où il y aurait une concomitance entre la délimitation du périmètre des abords et l'élaboration, la modification ou la révision du PLU" seulement. "La rédaction actuelle de l'alinéa 19 peut laisser à penser que l'élaboration, la modification ou la révision du PLU s'accompagne nécessairement de l'élaboration ou de la révision du périmètre délimité des abords, ce qui ne doit pas être le cas", précise l'exposé des motifs.

Cités historiques (art. 24) - Les sénateurs donnent le nouveau nom de "sites patrimoniaux protégés" aux "cités historiques" du projet de loi initial. Sur le fond, un amendement donne à la commission nationale du patrimoine et de l'architecture et aux commissions régionales du patrimoine et de l'architecture la possibilité de proposer le classement de sites au titre des sites patrimoniaux protégés. Un autre amendement lui permet "d'indiquer, à l'occasion de son avis sur la décision de classement en site patrimonial protégé et sur le périmètre du futur site, le document qui lui paraît le plus approprié pour garantir la protection, la conservation et la mise en valeur effectives du patrimoine culturel". Un troisième amendement lui permet de "demander un rapport ou émettre un avis sur l'état de conservation (du site patrimonial protégé)" à tout moment.

Plan de sauvegarde et de mise en valeur (art. 24) - Un amendement permet que "la mise en œuvre du site patrimonial protégé ne relève pas du PLU mais d'un règlement spécifique, dénommé plan de sauvegarde et de mise en valeur, annexé au PLU". "L'objectif est de donner à la fois plus de force et de stabilité à la protection du patrimoine sur le périmètre du site patrimonial protégé, en conservant un document autonome comme il en existe pour la mise en œuvre d'une ZPPAUP ou d'une Avap", explique l'exposé des motifs. Son contenu et ses règles d'élaboration, de modification et de révision sont définis par un autre amendement, visant à ce que ces règles "s'inspirent très largement des règles actuellement en vigueur concernant les Avap".

Autorisation de travaux (art. 24) - Un amendement "étend" d'une part "l'autorisation de travaux à la question du second œuvre", et d'autre part, protège les parties intérieures des immeubles bâtis "dès que le principe de l'élaboration d'un plan de sauvegarde a été acté, sans attendre son adoption définitive, qui peut parfois prendre plusieurs années. Le droit en vigueur prévoit déjà que le régime des travaux s'applique aux parties intérieures dès la décision de classement en secteur sauvegardé a été prise, avant même l'élaboration du PSMV", précise l'exposé des motifs.

Architectes des bâtiments de France (art. 24) - Un amendement limite le contrôle des ABF sur les demandes d'autorisation préalable au respect des règles du secteur sauvegardé ou du périmètre de l'Avap, dès qu'ils existent, et non au respect de l'ensemble des règles contenues dans le PLU.

Commission locale (art. 24) - Un amendement "institue une commission locale du site patrimonial protégé, composée de représentants locaux permettant d'assurer la représentation de la ou des communes concernées, de représentants de l'Etat et de personnalités qualifiées au titre, d'une part, de la protection du patrimoine et, d'autre part, des intérêts économiques locaux".

"1 % artistique" (art. 26 bis) - La modification du "1 % artistique" introduite à l'Assemblée nationale est supprimée. Elle imposait la sélection "le plus tôt possible de l'artiste qui sera à l'origine de l'œuvre insérée" et voulait favoriser la "diversité des arts auxquels il est fait recours". Les sénateurs l'ont estimé "de nature infra-législative".

Ordonnance (art. 30) - Les sénateurs suppriment l'habilitation à légiférer par ordonnance, accordée au gouvernement sur de nombreux sujets dont les cités historiques.

Elaboration du plan de sauvegarde... avec l'Etat (art. 36) - Un amendement permet à une commune classée en site patrimonial protégé de solliciter l'aide de l'Etat pour conduire les études préalables à l'élaboration d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur, avant de porter la question devant l'EPCI compétent en matière de documents d'urbanisme. Un autre amendement rétablit l'élaboration conjointe des plans de sauvegarde et de mise en valeur entre l'Etat et la commune ou l'EPCI, comme le prévoit le droit en vigueur.

Suppression des délais (art. 40 et 42) - Le délai de dix ans pour substituer aux règlements d'Avap ou de ZPPAUP un plan de sauvegarde et de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine est supprimé. Sont également supprimés les délais prévus pour l'instruction et l'approbation selon les règles de droit actuellement en vigueur des projets de plan de sauvegarde et d'Avap mis à l'étude avant l'entrée en vigueur de la loi.

Architectes et architecture

Recours à un architecte pour tous les lotissements (art. 26 quater et 26 quinquies) - Les sénateurs vont plus loin que les députés, qui avaient, sur proposition du gouvernement, rendu obligatoire le recours à un architecte et, le cas échéant, aux professionnels compétents en matière d'urbanisme et de paysage, pour l'élaboration du projet architectural, paysager et environnemental d'un lotissement, au-dessus d'un seuil à fixer en Conseil d'Etat. Ils suppriment ce seuil, rendant le recours obligatoire pour toutes les surfaces de lotissements. Ils précisent en outre que l'architecte doit "présenter, ou réunir auprès de lui, les compétences nécessaires en matière d'urbanisme et de paysage".

Recours à un architecte pour les PC de maisons (article 26 quinquies) – En revanche en ce qui concerne les permis de construire des maisons individuelles, les sénateurs suppriment l'article 26 quinquies qui abaissait le seuil de recours obligatoire à l'architecte, à 150 m². Il remonte donc à son niveau actuel, soit 170 m².

Concours d'architecture (art. 26 septies) - L'article 26 septies introduit à l'Assemblée est supprimé. Il posait "le principe du concours d'architecture pour les projets d'importance, publics ou privés" et fixait "le principe de l'établissement d'un dialogue, à un moment de la procédure, entre les candidats et le maître d'ouvrage, visant à permettre au candidat d'expliciter son projet et au maître d'ouvrage de le faire évoluer s'il ne correspond pas tout à fait à ses besoins". Selon l'exposé des motifs, ces dispositions sont en effet "dépourvues de normativité" et n'ont "qu'une portée symbolique".

Signatures de complaisance (art. 26 octies) - Un amendement "rappelle que le conseil régional de l'ordre des architectes est le garant du respect des obligations déontologiques des architectes inscrits au tableau régional. Le cas échéant, il est tenu d'examiner sans délai les demandes de vérification adressées par les services compétents". Selon l'exposé des motifs en effet, la rédaction issue de l'Assemblée national "tendait à faire peser la responsabilité de la lutte contre les signatures de complaisance sur les services chargés de l'instruction des permis de construire plutôt que sur les instances de l'ordre des architectes, dont c'est pourtant le rôle".

Réforme territoriale et CROA (art. 26 decies) - Les conseils régionaux de l'ordre des architectes sont par ailleurs maintenus dans leur périmètre actuel jusqu'à leur prochain renouvellement, lors duquel ils adopteront les nouveaux périmètres régionaux.

Dérogations à certaines règles en matière de construction (art. 26 undecies) – La commission supprime la possibilité ouverte pour sept ans à l'Etat et aux collectivités territoriales d'expérimenter un dispositif de dérogations à certaines normes devant être fixées en Conseil d'Etat dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs desdites normes. Selon l'exposé des motifs, "cette expérimentation ne saurait se substituer à la nécessaire simplification des normes en matière de construction. Le choix d'une expérimentation, au champ mal défini, dont l'État et les collectivités territoriales seraient les seuls bénéficiaires apparaît contestable".

Délais d'instruction (art. 26 duodecies) - Les sénateurs reviennent sur la réduction de moitié des délais d'instruction des demandes de permis de construire en cas de recours à un architecte pour les projets situés en deçà du seuil de recours obligatoire. "Dans le cadre de la stratégie nationale pour l'architecture, une expérimentation est menée (...) afin de mettre en place un permis de construire simplifié dans le cas d'un recours à un architecte pour des projets situés sous le seuil d'obligation", rappelle l'exposé des motifs.

AEF

 

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