Loi SRU : quand les "contraintes" masquent un manque de volonté politique
Tandis que l'examen du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables approche, la fondation Abbé-Pierre a présenté le 23 mai les résultats d’une étude menée avec l’université Paris 1 pour distinguer les communes confrontées à de réelles difficultés dans l’application de la loi SRU de celles qui utilisent ces contraintes pour masquer leur manque de volonté politique.

© Aurélie Roudaut
Les résultats du dernier bilan triennal de la loi SRU présenté courant avril par le ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian, étaient sans appel : les communes sont toujours plus nombreuses à ne pas atteindre leurs objectifs en matière de logement social. Sur 1.031 municipalités, 659 étaient dans ce cas sur la période 2020-2022 (lire notre article). Pour expliquer les performances inégales concernant le respect de la loi SRU, la fondation Abbé-Pierre et les étudiants de master 2 urbanisme et aménagement de l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) ont mené une enquête de terrain approfondie auprès de 12 communes déficitaires, confrontées à des contraintes immobilières, foncières, réglementaires, architecturales, naturelles et techniques importantes mais de natures différentes.
Biarritz, Toulon, Nice et Bois-Guillaume font ainsi face à des difficultés d’accès au foncier, puisqu’une grande partie de leur territoire est déjà artificialisée et que la densité résidentielle y est particulièrement importante. De fortes contraintes naturelles sont présentes à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, Fréjus, Toulon et Biarritz, tandis que l’enjeu de préservation du patrimoine représente un réel frein à la construction à Saint-Cloud, Carpentras ou à Annecy. "Pourtant confrontées à des contraintes similaires, les dynamiques de production de logements sociaux sont parfois radicalement différentes d’une commune à l’autre", relève l’étude.
Un usage inégal des outils
Dans les municipalités ayant connu une alternance politique récente entre droite et gauche (telles que Bois-Guillaume, le Bourget-du-Lac et Carpentras), les dynamiques de rattrapage dans la production de logements sociaux s’accélèrent grâce au déploiement d’outils opérationnels diversifiés. À Bois-Guillaume par exemple, le plan local d’urbanisme impose un taux particulièrement ambitieux supérieur à 50% par opération sur la totalité du territoire communal. À l’inverse, Nice et Toulon n’imposent que des taux de 30% sur un nombre réduit d’opérations.
L’étude révèle en outre qu’Annecy, Nice et Biarritz constituent les communes les plus actives pour financer le logement social, les aides pouvant s’élever à 90.000 euros par logement. "A contrario, Saint-Cloud et Toulon n’accordent aucune subvention à la construction de logements sociaux. Cependant, si des villes carencées comme Biarritz (5% des objectifs) ou Nice (13%) se distinguent par le montant important de subventions qu’elles accordent au logement social, ces dépenses sont ensuite déduites de leur prélèvement SRU, preuve qu’elles ne satisfont à une volonté de construire que sous la contrainte. Ainsi, les communes étudiées sont confrontées à différentes contraintes et mobilisent inégalement les outils à leur disposition, selon la volonté des élus à remplir les objectifs SRU."
Les élus face à la loi SRU
Tandis que certaines villes se distinguent par des dynamiques de rattrapage largement entamées, quelques-unes présentent un discours plus ambigu quand d’autres encore assument la non-atteinte de leurs objectifs. Caractérisés par de très mauvais bilans triennaux, les mandats de Gilbert Renard, ancien maire LR de Bois-Guillaume, ont ainsi laissé place à des objectifs 2020-2022 atteints à 136%, soit plus du triple des périodes précédentes, après l’élection du maire (sans étiquette) Théo Perez et le changement de majorité à la métropole de Rouen.
En dépit de son appréhension positive du logement social (81% d’objectifs triennaux atteints pour un taux SRU élevé de 22%), la ville d’Annecy se caractérise par un refus de la densification de son territoire depuis 2020 qui amène in fine à un ralentissement de la construction de logements sociaux. "Cette politique a conduit à un – quasi – arrêt des délivrances de permis de construire – logements sociaux ou libres – qui fait courir le risque de retarder l’atteinte de l’objectif de 25% de logements sociaux", prévient l’étude.
En Île-de-France, la commune de Saint-Cloud se distingue quant à elle par son opposition frontale et explicite à la loi SRU. Avec un taux global de 17% et 37% d'atteinte des objectifs triennaux 2020- 2022, ses visées quantitatives n’ont en effet jamais été atteintes au cours des périodes triennales successives. En cause notamment : "un PLU hostile à la densification". Son refus d’utiliser les outils propres à favoriser la production sociale aura d’ailleurs valu à la commune d’être la première des Hauts-de-Seine à perdre la délivrance des permis de construire en 2020.