Soutien public à l’économie sociale et solidaire : la Cour des comptes invite l’État et les collectivités à mieux se coordonner
La future stratégie nationale de l’ESS doit être coconstruite avec les régions et les intercommunalités, préconise en particulier la Cour des comptes. Rendu public ce 17 septembre 2025, le rapport dresse un panorama des subventions publiques attribuées aux structures de l’ESS – dont près de 7 milliards d’euros des collectivités et 8 milliards d’euros de l’État. La nécessité de mieux mettre en valeur "le poids économique et les apports de ce mode d’entreprendre" est également soulignée.

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Les subventions versées annuellement par les collectivités locales aux structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) ont augmenté de 26% entre 2018 et 2023, passant de 4,6 à 5,8 milliards d’euros (en euros constants 2018), selon la Cour des comptes qui rend public ce jour un rapport sur "les soutiens publics à l’économie sociale et solidaire". Ce panorama des financements répond à une demande qui avait été "formulée sur la plateforme citoyenne des juridictions financières".
Le périmètre de l’ESS est "difficile à tracer compte tenu de sa nature transversale et de la grande hétérogénéité des statuts juridiques des structures, avec des modèles économiques aux différences très marquées", rappelle la Cour des comptes en préambule. En 2021, l’ESS était composée d’1,1 million d’associations (dont 175.000 associations employeuses), 23.800 coopératives, 6.800 mutuelles, 2.300 fondations et 4.500 sociétés commerciales de l’ESS.
Les subventions des régions financent principalement la formation professionnelle
Les 6,7 milliards d’euros (en euros courants) de subventions des collectivités ont été d’abord attribuées par le bloc communal (2,1 milliards des communes et 1 milliard des intercommunalités), puis par les régions (2 milliards) et les départements (1,4 milliard). Les marchés publics, par lesquels les départements financent un grand nombre d’associations, ne sont ici pas comptabilisés.
Près de 207.000 structures ont bénéficié des subventions des collectivités en 2023, majoritairement des associations (95% des sommes versées) mais également des fondations, des coopératives et, de façon marginale, des mutuelles. Le périmètre des structures subventionnées inclut des associations non-employeuses (près de 128.000 en 2022), mais ce sont bien "les structures employeuses de l’ESS, dont le nombre est passé de 52.025 en 2018 à 72.357 en 2022, qui captent la quasi-totalité des crédits (90,92% en 2022), soit 1,8 milliard d'euros des 2,04 milliard d'euros supplémentaires distribués depuis 2018", précisent les rapporteurs. Toujours sur les crédits nouveaux versés entre 2018 et 2023, 86% ont servi à soutenir le fonctionnement des structures.
D’un point de vue thématique, quatre secteurs ont reçu 86% des subventions en 2023 : les "arts, spectacles et activités récréatives", les "autres activités de service", la "santé humaine et action sociale" et "l’enseignement". Les régions financent ainsi principalement des acteurs de l’enseignement et de la formation professionnelle (1,9 milliard d’euros en 2023) et octroient également des crédits à l’ESS au titre du développement économique (estimés, par Régions de France, à 138 millions d’euros en 2023). La Cour des comptes observe que les régions se sont saisies "à des intensités diverses" du "rôle particulier" que la loi de 2014 leur a octroyé en matière d’ESS.
Une "institutionnalisation" d’une partie des acteurs de l’ESS depuis les années 1980
Quant au soutien de l’État, il est estimé à 16 milliards d’euros en 2024, dont 8 milliards de subventions, 5 milliards de dépenses fiscales, près de 3 milliards d’aides au poste et d’exonérations (insertion par l’activité économique, établissements d’aide par le travail et entreprises adaptées) et 300 millions d’euros dédiés aux contrats aidés. Les subventions "ne concernent que 4% des acteurs de l’économie sociale et solidaire" (attribuées "à 93% des associations et à 98% des structures employeuses"), précisent les magistrats financiers. "Près de 80% de ces subventions sont des dépenses pour garantir des droits ou assurer des services dans le prolongement de l’action de l’État", ajoutent-ils, citant l’hébergement d’urgence (18% des subventions), le soutien à l’enseignement privé et à l’éducation (15,5%), l’accompagnement social et l’aide alimentaire (13%) et l’accompagnement des réfugiés et demandeurs d’asile (12%). Ces subventions aux acteurs de l’ESS ont augmenté de 23% en euros constants (et de 46% en euros bruts) entre 2018 et 2024, du fait à la fois de la croissance des besoins sociaux et du renchérissement du coût des prestations.
Pour la Cour des comptes, "l’importance des flux financiers vers l’ESS reflète ‘l’institutionnalisation’ d’une partie des acteurs de l’ESS qui est une tendance historique depuis les années 1980". Quant aux aides de l’État spécifiques au développement du "modèle" de l’ESS, elles n’ont représenté que 20 millions d’euros en 2024, en hausse de 10% depuis 2018 (en euros constants). Ces crédits financent le dispositif local d’accompagnement (DLA), "qui soutient les acteurs grâce à des prestations d’ingénierie assurées par un réseau de 120 opérateurs régionaux et départementaux", mais aussi les têtes de réseau, les chambres régionales de l’ESS (Cress), les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE, 2,5 millions d’euros en 2024) et l’innovation sociale (2,7 millions d’euros en 2024).
Les soutiens publics ne traduisent pas une "préférence affichée" pour l’ESS
Le rapport passe encore en revue les "multiples possibilités de financements européens dont la mobilisation reste complexe", les interventions des investisseurs publics - BpiFrance et la Caisse des Dépôts – et privés, les soutiens de la sécurité sociale et d’opérateurs tels que l’Ademe.
Les modalités de financement sont ainsi multiples, à l’image de la multiplicité de secteurs et d’acteurs qui composent l’ESS. "L’augmentation des soutiens publics constatée sur la période ne traduit pas une préférence affichée des acteurs publics pour ce mode d’entreprendre et ne s’inscrit pas dans une stratégie", estiment les rapporteurs. Ces derniers préconisent donc de "stabiliser le pilotage" de la politique de soutien à l’ESS, notamment en donnant au délégué ministériel - en poste depuis 2023 - un positionnement interministériel, et de "renforcer la coordination entre l’État et les collectivités territoriales". La future stratégie nationale de l’ESS doit être coconstruite avec les régions et les intercommunalités, est-il recommandé plus précisément.
Les autres préconisations portent notamment sur la nécessité de mieux mettre en valeur "le poids économique et les apports de ce mode d’entreprendre" et d’"améliorer l’organisation et l’efficacité des services de l’État" en charge de l’ESS – notamment d’outiller les greffes des tribunaux de commerce pour un meilleur contrôle "des critères d’appartenance des sociétés commerciales à l’économie sociale et solidaire au moment du dépôt de leurs statuts".
L’agrément "entreprise solidaire d’utilité sociale" (Esus) ne fait pas l’objet de recommandation, la Cour des comptes constatant pourtant en la matière un "pari manqué" puisque l’ambition de 2014 était de s’appuyer sur cet agrément pour "diffuser les principes de l’ESS au sein du système capitaliste". Alors que l’objectif était d’atteindre 10.000 à 12.000 Esus en 2025, 2.888 structures ont obtenu à ce jour l’agrément, dont 58% d’associations et seulement 29% de sociétés commerciales.