Mal-logement : "Les dysfonctionnements s’accumulent", alerte la fondation Abbé-Pierre

La fondation Abbé-Pierre considère dans son rapport sur l'état du mal-logement 2024, qui doit être officiellement présenté ce 1er février, que 2023 est l'année de "l'aggravation alarmante de la crise du logement". Si le chiffre de 4,1 millions de mal-logés reste stable sur un an, d'autres indicateurs appellent à un renforcement de l'action du gouvernement, notamment sur l'habitat indigne qui fait l'objet d'un chapitre dédié.

"L'urgence est là", affirme Christophe Robert, le délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Il y a un an, la perspective du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement, lui laissait entrevoir un espoir. "Le gouvernement n'a pris aucune décision d'ampleur dans la foulée et a globalement poursuivi une politique marqué par le sceau de la rigueur budgétaire", a-t-il déploré le 25 janvier, lors de la présentation à la presse du rapport 2024 sur l'état du mal-logement, qui marque les 70 ans de l'appel de l'Abbé Pierre.

Une déception accentuée par "l'aggravation alarmante de la crise du logement" dans le courant de l'année passée. "La production de logement s'effondre, il n'y pas vraiment de mesures de régulation de l'immobilier, la pression est forte sur les personnes sans-domicile", relève Christophe Robert. Avec une nouveauté : "la constitution d’un diagnostic assez largement partagé" par l'ensemble des acteurs du secteur sur la crise. Seule la rénovation et le logement intermédiaire font l'objet, selon lui, d'une attention particulière de l'État.

Le rapport 2024 fait ainsi état de 4,1 millions de mal-logés, soit le même niveau qu'en 2023, dont près de 1,1 million de personnes privées de logement personnel (330.000 sans domicile) et près de 2,9 millions de personnes vivant dans des conditions de logement "très difficiles". 

Mouvement HLM "à la diète"

Au-delà de ces chiffres, la fondation Abbé-Pierre s'inquiète des tendances. La production de logements devrait atteindre moins de 300.000 en 2023, dont quelque 82.000 logements sociaux en raison d'un mouvement HLM "à la diète" ; l'effort public stagne ces dernières années ; le nombre de demandeurs de logement HLM approche les 2,5 millions ; les demandes non pourvues au 115 ont connu un pic à l'automne dernier, incluant une moyenne de 2.400 chaque soir émanant de mineurs ; 17.500 expulsions locatives (chiffre 2022) qui repartent à la hausse après deux années marquées par la crise sanitaire.

"Les dysfonctionnements s’accumulent sans pour autant qu’à la fin de l’année 2023 se dessinent les prémices d’une politique du logement à la hauteur des difficultés sociales et économiques générées", est-il écrit dans le rapport. Le plan Logement d'abord 2 est considéré comme moins ambitieux que le premier dans la mesure où il ne prévoit d'augmentation de la production de logements très sociaux et des craintes sont exprimées sur l'apparition de limites à l'inconditionnalité de l'hébergement. Les décisions relatives à l’indemnisation des chômeurs, aux règles du RSA ou à la fin du chèque énergie laissent aussi planer des risques de précarisation en matière de logement. 

"La liste est longue s'agissant des actions urgentes à mener de la part d’un gouvernement qui voudrait faire reculer le mal-logement : relancer le financement du logement social, revaloriser les APL, rehausser les minima sociaux, soutenir le travail social, généraliser l’encadrement des loyers, ériger en priorité nationale que plus personne ne dorme à la rue, en prenant appui sur la philosophie du Logement d’abord", liste la fondation. 

1 million de personnes en habitat indigne

Cette dernière s'est intéressée plus particulièrement cette année à l'habitat indigne, qui fait l'objet d'un chapitre dédié du rapport. Un phénomène qui serait difficile à évaluer : face au chiffre "sous-estimé" de 420.000 logements concernés selon l'État, la fondation Abbé-Pierre avance celui "d'au moins" 600.000, et de 1 million de personnes concernées. 

"Nous avons l'impression que c'est un puits sans fond car alors qu'il y a des rénovations, on n'en voit pas le bout, relève Manuel Domergue, directeur des études de la fondation. Tant que des gens restent à la rue, les taudis resteront une solution." Celui-ci considère que le projet de loi qui vient d'être adopté à l'Assemblée nationale à ce sujet (voir notre article du 24 janvier) est "positif mais ne va pas régler le problème".

Si le sujet est connu sous l'angle des marchands de sommeil ou des copropriétés dégradées, il touche aussi le logement social et pourrait même concerner le neuf. Manuel Domergue signale ainsi de premiers plans de sauvegarde dans des logements des années 2000 financés par le biais d'investissements défiscalisés. Le contexte social ne devrait rien arranger, une hausse des impayés de charges de copropriétés étant déjà constatée, signale le directeur des études.

"La lutte contre l’habitat indigne est une action publique complexe, portée par différents acteurs appartenant à plusieurs champs de compétences. Sans une collaboration organisée entre ces acteurs [...], le traitement de l’habitat indigne peine à être efficace", notent les auteurs du rapport. Les dispositifs existants se heurtent aussi au manque de personnes sur le terrain pour faire les démarches et accompagner les personnes concernées. 

Disparités dans l'action des collectivités

La fondation Abbé-Pierre a constaté "une forte hétérogénéité de moyens (humains et financiers) et de compétences entre les collectivités locales". Certaines manquent donc d’ingénierie et de personnel qualifié pour réaliser les diagnostics et rédiger les arrêtés. Elle note par ailleurs que la méconnaissance de la réglementation en matière d’habitat indigne par de nombreux maires de petites communes est "un obstacle majeur" à leur action. "Non seulement le nombre d’arrêtés pris chaque année est insuffisant pour endiguer l’habitat indigne, mais de nombreux arrêtés arrivent à échéance sans avoir été suivis d’effets", ajoute-t-elle.

Le rapport appelle donc l'État à renforcer le pilotage national en la matière, à mettre la lutte contre l'habitat indigne en cohérence avec les autres politiques publiques et à accroître les moyens financiers et humains qui y sont consacrés. Il lui apparaît aussi nécessaire de renforcer l’accompagnement des occupants de logements indignes et de soutenir les collectivités locales dans l’exercice de leurs responsabilités "en leur donnant notamment les moyens d’agir et la capacité de mener des travaux d’office".

Le ministre Christophe Bechu, qui sera présent ce jeudi 1er février lors de la présentation du rapport, a tenu à nuancer sensiblement le tableau dressé par la fondation, estimant que "bien que le constat soit sérieux, bien qu’il mette en lumière des initiatives locales et des bonnes pratiques territoriales, l'analyse qui en découle est à charge". Et le ministre de déclarer à la presse : "Je ne peux que regretter une lecture visant la seule responsabilité de l’Etat, là où chacun sait que le logement est une compétence partagée. L’action publique de lutte contre l’habitat indigne, tout comme la requalification des copropriétés en difficulté, impliquent à la fois l’Etat et les collectivités locales qui possèdent chacun des compétences en termes de police de l’habitat, de relogement…".

 

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