Mariage d'un étranger en situation irrégulière : le Sénat vote l'interdiction malgré les barrières juridiques

Soutenue par Gérald Darmanin et Bruno Retailleau mais contraire à la jurisprudence constitutionnelle, l'interdiction du mariage pour les étrangers en situation irrégulière a été approuvée ce jeudi 20 février au Sénat en première lecture.

"Le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national" : la proposition de loi du sénateur de la Somme Stéphane Demilly, qui tient en une phrase, a été adoptée à 227 voix contre 110 ce jeudi 20 février au Sénat en première lecture.

"Ce texte est simple, univoque, laconique", a résumé son auteur, "choqué" de voir les maires priés de "lire des articles de la loi française à de futurs époux alors qu'ils n'ont rien à faire dans le pays". L'initiative du parlementaire entend répondre par la loi à l'affaire du maire UDI d'Hautmont (Nord), Stéphane Wilmotte, assigné en justice par un ex-responsable de mosquée expulsé vers l'Algérie qu'il avait refusé de marier en juin 2023.

L'objectif de l'élu à la Haute A&ssemblée : lutter contre des mariages "blancs" ou "gris", c'est-à-dire simulés, arrangés, "de complaisance" ou "frauduleux", contractés pour faciliter par la suite l'obtention de la nationalité française. Ce vote intervient de surcroît deux jours après la convocation devant le procureur de Montpellier du maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, poursuivi pour avoir refusé de célébrer un mariage entre une Française et un Algérien en situation irrégulière, en juillet 2023. L'édile, qui estime "ubuesque" de plaider coupable, risquait en théorie jusqu'à cinq ans de prison, une amende de 75.000 euros et une peine d'inéligibilité. "Le maire ne doit plus être laissé seul, en première ligne face aux brèches de notre législation actuelle", écrit-il dans son exposé des motifs.

L'actualité judiciaire et l'agenda parlementaire se rejoignant, ce dossier a rapidement gagné le sommet de l'exécutif, avec des prises de position des ministres de la Justice et de l'Intérieur, Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, en faveur de cette proposition de loi, qui doit encore passer par l'Assemblée nationale avant d'être adoptée définitivement.

Sauf que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est très claire sur ce sujet : "Le respect de la liberté du mariage (...) s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé", indiquent les Sages dans une décision de 2003. Néanmoins, "poser deux fois la même question au juge constitutionnel à vingt ans d'intervalle n'est ni insolent ni kamikaze. C'est reconnaître que la société évolue", a insisté le garde des Sceaux devant les sénateurs.

L'écologiste Mélanie Vogel a dénoncé "une attaque en règle contre la Constitution, contre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et donc contre l'état de droit", quand la socialiste Corinne Narassiguin a fustigé une initiative qui "reprend le programme de l'extrême droite" pour "alimenter des fantasmes et amplifier un climat anxiogène de xénophobie et de racisme". L'élue pointe aussi la "volte-face" de Gérald Darmanin, qui s'était clairement opposé à cette proposition lors des débats sur la loi immigration fin 2023 devant la chambre haute.

Si l'alliance LR-centristes, majoritaire au Sénat, a fait adopter l'article unique de la proposition de loi, elle l'a assorti d'autres dispositifs jugés plus "solides" juridiquement. Elle a ainsi voté une mesure, avec l'appui du gouvernement, pour imposer aux futurs époux de nationalité étrangère de fournir au maire des justificatifs de séjour. Cet outil devant permettre aux maires de caractériser une "absence de consentement" suspectée, par exemple, avant de saisir le procureur de la République, seule autorité pouvant interdire une union.

Les sénateurs ont aussi allongé le délai du "sursis au mariage", soit le temps d'enquête du procureur saisi par le maire en ce sens. Sursis qui serait réputé automatique en l'absence de réponse du procureur sous 15 jours. Autant d'aménagements destinés à "trouver une voie de passage", insiste Stéphane Demilly, qui estime que "ce n'est pas parce que le Conseil constitutionnel dresse un immense nuage noir au-dessus de nos têtes qu'on n'a pas le droit d'essayer de passer à travers".

L'Association des maires de France (AMF), ou du moins son président, juge nécessaire de légiférer en ce sens. "Si on accepte ce genre de situation", celle d'accepter le mariage d'un étranger soumis à une OQTF, "on fait monter l'incivisme (...) il faut changer la loi", déclarait ainsi mercredi David Lisnard sur Europe 1. Le président de l'AMF a d'ailleurs rappelé que la députée Alexandra Martin, dont il est le suppléant, avait déposé en 2023 une proposition de loi, qui n'avait pas été inscrite à l'ordre du jour faute, dit-il, "d'intérêt de la majorité gouvernementale de l'époque"... et a fait savoir que l'élue des Alpes-Maritimes venait de redéposer ce texte à l'Assemblée(Lien sortant, nouvelle fenêtre). Là encore, un article unique : "Le mariage ne peut être célébré si l’une des deux personnes est soumise à une obligation de quitter le territoire français." Son champ semble à première vue plus restreint que celui de la proposition de loi sénatoriale qui, elle, inclut tous les étrangers ne disposant pas d'un titre de séjour valide.

Référence : proposition de loi(Lien sortant, nouvelle fenêtre) visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire.
 

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