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Environnement / Funéraire - Mise aux normes des crématoriums : l'inquiétant retard français

Sur 167 crématoriums, la moitié sont mal partis pour respecter l'échéance de mise aux normes pourtant fixée à... 2018 ! Equipements coûteux, problème de foncier, manque d'anticipation et des effets malvenus de concurrence sont les principaux obstacles recensés par des élus locaux et spécialistes du secteur, réunis le 25 septembre à Champigny-sur-Marne (94), une ville qui a su prendre les devants et vient d'inaugurer un équipement innovant.

L'équipement, pourtant imposant, s'intègre bien dans le décor. A Champigny-sur-Marne, la ville a choisi d'offrir un lieu digne pour la crémation, niché au fond du cimetière. On est certes éloigné du centre, mais pas non plus en fin fond de zone industrielle, là où sont souvent relégués ces équipements vite perçus comme de seconde catégorie. A Champigny, cimetière et crématorium se sont pourtant longtemps tournés le dos, jusqu'à ce que des architectes parviennent à convaincre les élus de réaménager les abords du second, en l'ouvrant sur le cimetière, comme pour moins opposer les deux pratiques. Et rééquilibrer ainsi spatialement ce qui, dans les faits, se confirme : inconnue il y a trente ans (1% des obsèques en 1978), la crémation entre dans les mœurs et représente aujourd'hui un tiers des obsèques. Un essor qui, selon un sondage Ipsos réalisé l'an dernier, s'accélère et est en passe de devenir une norme sociale. Un phénomène nullement isolé en Europe : la Suisse dépasse les 85%, des capitales comme Londres et Copenhague les 90% et l'inhumation tend aussi à devenir minoritaire chez notre voisin allemand.

Vers un service public qui s'assume ?

Mais qui se saisit des questions délicates qu'elle pose ? Les professionnels du funéraire bien entendu et, depuis peu, face aux demandes des citoyens, des élus bien moins pressés qu'avant de transférer cette responsabilité communale à des entreprises privées, réputées pour se faire férocement concurrence. Rares sont en effet les établissements publics à disposer d'une structure et de personnels spécialisés. Une chance en Ile-de-France : un syndicat intercommunal du funéraire, le Sifurep, existe, fort de 81 collectivités adhérentes et gérant quatre crématoriums dont celui de Champigny (via une délégation de service public aux services funéraires de la ville de Paris) et de Nanterre, qui est en travaux jusqu'à la fin de l'année. A sa tête, Jacques Kossowski, député-maire de Courbevoie, défend l'idée d'aller plus loin en créant - tel qu'un projet de loi voté au Sénat l'a inscrit en mai dernier (voir notre article du 28 mai 2014) - un schéma directeur régional des crématoriums, pour contrer notamment un phénomène de multiplication abusive de projets (deux nouveaux dans la région), "qui pourrait remettre en cause l’économie de ceux en fonctionnement et surenchérir le prix de la crémation pour les familles". Mieux harmoniser les choses au niveau régional permettrait aussi de corriger le tir : ailleurs, dans le département de la Loire par exemple, deux crématoriums, un public, l’autre en gestion déléguée, se partagent et se font de l'ombre sur le même bout de territoire roannais, alors qu'un seul équipement suffirait.

Des enjeux environnementaux

Un arrêté de février 2010 sur les quantités de polluants rejetés par ces installations s'applique à celles nouvellement créées comme à celles en fonctionnement. "Mais cet arrêté a été publié sans qu'un décret ne suive ! Résultat, les crématoriums qui s'équipent actuellement de systèmes de filtration le font dans une certaine insécurité juridique", déplore François Michaud-Nérard, directeur général des services funéraires de la ville de Paris. A l'horizon mi-2015, ce décret devrait sortir. D'ici là, il est temps malgré tout pour les collectivités de penser à passer commande. "Car si un flot de commandes de systèmes de filtration survient à la dernière minute, il n'est pas certain que les quelques fabricants présents sur ce marché puissent y répondre à temps", poursuit-il. Dès lors, l'échéance pour s'équiper étant fixée à février 2018, et comme 30 crématoriums sur les 167 recensés le sont déjà, et qu'une cinquantaine d'autres ont passé commande, François Michaud-Nérard estime que les 82 à la traîne ont peu de chances d'être à temps dans les clous de la réglementation.

Respect des valeurs limites

Or, cette mise en conformité est importante car ces installations rejettent des polluants. Dès 1992, la convention Ospar relative à la lutte contre la dispersion du mercure a pointé du doigt la contribution particulière des crématoriums. Et s'il n'existe pas de texte européen sur ces rejets, de nombreux pays ont pris de l'avance en imposant leurs propres valeurs limites d'émission (VLE).  Dès 2006, des dépassements - principalement attribués aux traitements et garnissages des cercueils - ont été fréquemment observés sur les composés organiques volatils et les poussières. L'instauration en 2010 de VLE plus basses sur cinq polluants (oxydes d'azote, monoxyde de carbone, acide chlorhydrique, dioxyde de soufre et poussières), ainsi que la création de limites sur des polluants non pris en compte (mercure issu des amalgames dentaires et dioxine-furane issu des produits de la combustion), induisent d'installer des procédés de traitement et de filtration, avec un investissement moyen, hors génie civil, de 300.000 à 500.000 euros par crématorium.

Un lourd investissement

A Champigny-sur-Marne, l'opération a coûté 928.000 euros, travaux d'adaptation du bâtiment existants compris (il a fallu ouvrir le toit pour y insérer par grue les équipements). Lauréat d'un appel à projets pour l'amélioration de la qualité de l'air francilien, l'opération a – fait rare – bénéficié d'une subvention régionale de 100.000 euros. L'investissement se répercutera in fine sur le coût des obsèques supporté par les familles, mais faiblement (2% d'augmentation). Un même ajustement financier a été rendu possible à Strasbourg, premier crématorium français à s'être modernisé dès 2003, grâce à une gestion en régie locale. Entre temps, d'autres villes ont suivi : Olonne-sur-mer (Vendée), Paris (le Père-Lachaise s'est équipé fin 2008), Saint-Fargeau-Ponthierry (Seine-et-Marne), Quimper (Finistère) et d'autres ont passé commande. "Nous travaillons sur le crématorium de Béthune (Pas-de-Calais), l'insertion de nouveaux équipements de filtration nécessite une extension", illustrent Brigitte Ouen et Jean-Michel Tournoux, les deux associés d'Apui architectes, qui ont aussi œuvré sur celui du Père-Lachaise.
L'investissement sera-t-il plus difficile pour les plus petits crématoriums ? "Ce sont surtout les villes moyennes qui sont à la traîne", glisse François Michaud-Nérard. Et de conclure sur l'innovation apportée à Champigny : un système de récupération de la chaleur des appareils de crémation y a été installé, qui permet de préchauffer l'air de combustion, avec une économie de gaz de plus de 20% mesurée par rapport à une installation classique. Au Père-Lachaise, cette énergie perdue alimente les locaux du personnel. "En journée, sans apport complémentaire cela suffit", confie l'un de ses responsables. Récupérer cette énergie pour alimenter des bâtiments externes ne se pratique pas encore en France. Mais des pays voisins ont franchi ce pas, pour des piscines ou des écoles.