Murielle Fabre – "Il faut continuer à promouvoir l'engagement municipal car c'est le cœur battant de la démocratie locale"
À quelques mois des municipales de 2026, l'Association des maires de France (AMF) fait de la question de l'engagement le fil rouge de son action. Entre crise civique, perte de sens du collectif et conditions d'exercice du mandat parfois décourageantes, l'association veut à la fois redonner envie de s'impliquer et soutenir les élus en poste. Alors que s'ouvre le Congrès des maires, Murielle Fabre, secrétaire générale de l'AMF, détaille pour Localtis le champ des possibles.
© Alain Escudier pour l’AMF/ Murielle Fabre
Localtis - L'AMF a fait de la thématique de l'engagement un axe fort de son action en 2025. Pourquoi cette priorité ?
Murielle Fabre - L'engagement est prégnant pour les collectivités. Quand on parle d'engagement, on pense d'abord aux élus, bien sûr, mais aussi à l'engagement associatif. C'est agir pour le bien commun, être au service de sa collectivité, renforcer la cohésion sociale et le "mieux vivre ensemble". Or, aujourd'hui, que ce soit dans le monde associatif ou municipal, être candidat à des fonctions bénévoles n'est pas forcément simple. On vit une véritable crise civique : le lien se délite jour après jour. C'est pour cela que l'AMF a fait de cette thématique un fil conducteur tout au long de l'année 2025, en vue des municipales de 2026, mais plus largement pour raviver notre démocratie.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à cet engagement ?
Il y a plusieurs facteurs. D'abord, la question du temps : beaucoup estiment ne pas en avoir assez pour s'investir sur le long terme. Ensuite, l'incapacité à agir pèse lourd. Quand on est élu et qu'on ne peut pas faire, la frustration est forte, et cela décourage. Il faut aussi redéfinir ce qu'est l'engagement aujourd'hui et redonner envie, notamment aux jeunes générations, qui sont celles que l'on attend à nos côtés.
Cette crise du désengagement est-elle liée, selon vous, à la défiance vis-à-vis de la politique plus générale ?
Oui, sans doute. On vit dans une société où l'intérêt collectif s'efface au profit de l'individuel. Il faut donc retisser ce lien de confiance et de représentativité. Nous aurons besoin, en mars 2026, de nouvelles forces vives aux côtés des candidats aux municipales. C'est tout le travail que nous menons : campagnes de communication, actions de sensibilisation, notamment auprès des jeunes. Nous avons d'ailleurs fait appel à cinq créateurs de contenu pour parler d'engagement sous des formes différentes, plus proches de leurs codes.
Comment l'AMF agit-elle concrètement pour améliorer les conditions du mandat municipal ?
C'est un travail de longue haleine. L'AMF agit à la fois sur l'amélioration des conditions d'exercice du mandat et sur la simplification du cadre d'action. Nous avons obtenu une première avancée avec l'adoption, au Sénat, d'un texte qui prévoit des mesures pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle et renforcer la reconnaissance de l'élu. Nous travaillons aussi sur les finances locales, qui conditionnent la capacité d'agir, et sur la simplification normative à travers le comité législatif créé il y a quatre ans. Enfin, nous accompagnons les maires au quotidien, en lien avec les associations départementales.
La question du pouvoir d'agir des maires reste centrale…
Oui, c'est un enjeu majeur. On ne peut pas parler d'engagement si les élus n'ont pas les moyens d'agir. Cela renvoie directement à la décentralisation. Nous plaidons pour un pouvoir réglementaire accru des maires, notamment sur les sujets qui impactent directement leur territoire – je pense, par exemple, aux fermetures de classes. Il faut aussi revoir la question de la fiscalité locale, car on perd en autonomie.
Selon certaines études, 42% des maires seulement envisagent de se représenter en 2026. Ce chiffre vous inquiète-t-il ?
C'est à la fois une réalité et un signe de renouvellement. Il faut prendre en compte la fin d'une génération de maires : beaucoup ont déjà accompli trois, quatre ou cinq mandats. Ce renouvellement peut être positif pour la démocratie. Ce qui sera à surveiller, en revanche, c'est le nombre de jeunes maires – ceux qui n'ont fait qu'un ou deux mandats – qui ne se représenteront pas. Là se posera la question du découragement ou de la lassitude.
Les démissions ont aussi marqué ce mandat…
Oui, le phénomène est préoccupant. On a enregistré environ 42 démissions de maires par mois depuis 2020. Les causes sont multiples : la montée des violences, la difficulté à concilier vie professionnelle et personnelle, les tensions internes dans les conseils municipaux… et, surtout, le sentiment d'impuissance. Quand on ne peut pas mettre en œuvre les politiques pour lesquelles on a été élu, la frustration est énorme. C'est pourquoi il faut agir de manière globale, sur tous les leviers à la fois.
Comment promouvoir à nouveau l'engagement municipal, notamment chez les jeunes ?
Les communes jouent un rôle clé : 78% d'entre elles mènent déjà des actions en faveur de la participation ou de l'engagement des jeunes, même si l'impact reste encore limité. L'AMF encourage la création d'instances comme les conseils intergénérationnels ou les conseils des jeunes, qui permettent un premier pas vers la vie publique. Nous soutenons aussi les dispositifs de valorisation du bénévolat ou le passeport du civisme. Enfin, nous avons organisé les Assises du civisme, car il est essentiel de replacer cette notion au cœur du lien social et de redonner à l'engagement toute sa "noblesse".
À l'approche des municipales de 2026, quel message souhaitez-vous faire passer ?
Il faut continuer à promouvoir l'engagement municipal, car c'est le cœur battant de la démocratie locale. Les communes ont prouvé, au fil des crises, leur rôle d'amortisseur social et de moteur économique. C'est là, dans la proximité, que se vit la démocratie. Nous devons tout faire pour que cette vitalité ne s'éteigne pas.