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Commande publique - Nullité du contrat et prescription quadriennale : mode d'emploi

Le fait d'écarter un contrat de l'application d'un litige peut-il interrompre le délai de prescription quadriennale ? Un arrêt du Conseil d'Etat du 9 décembre répond à cette "question inédite" et livre un "mode d'emploi" de l'appréciation du délai de prescription quadriennale entre deux contentieux.

L'arrêt du Conseil d'Etat du 9 décembre répond à une "question inédite" selon Gilles Pellissier, rapporteur public. Il s'agissait en l'occurrence de savoir si le fait d'écarter un contrat de l'application d'un litige pouvait interrompre le délai de prescription quadriennale. La relation contractuelle entre les deux parties avait déjà donné lieu à un premier contentieux. S'est alors posée, lors du deuxième conflit tranché par la Haute juridiction administrative, la question de l'articulation de la prescription quadriennale entre ces deux conflits.

Concession communale dans le domaine du stationnement

En l'espèce, la commune de Toulon avait conclu une convention de concession avec la société Vinci Park CGST en 1988 pour l'équipement de la voirie communale pour le stationnement payant, l'exploitation de ce stationnement et d'une fourrière, ainsi que la réalisation et l'exploitation de deux parcs de stationnement.
Un premier litige est né de l'exécution de ce contrat, concernant le mauvais fonctionnement des horodateurs. La société attributaire demandait des indemnités à la commune. Le tribunal administratif de Nice puis la cour administrative d'appel (CAA) de Marseille en 2003 avaient rejeté cette demande, cette dernière relevant d'office la nullité du contrat. En effet, les compétences concernées par la convention relevaient d'une activité de police et ne pouvaient être déléguées. En 2007, le Conseil d'Etat avait clos ce litige en confirmant cette analyse.
En 2012, un second litige a été introduit par la société devant le tribunal administratif de Toulon. Elle réclamait cette fois-ci une indemnité de plus de 55 millions d'euros au titre de l'enrichissement sans cause. En effet, le contrat étant "nul" la société ne pouvait plus tenter que d'engager la responsabilité de la commune sur le terrain quasi-contractuel en réclamant une indemnité au titre des dépenses utiles exposées dans le cadre de l'exécution du contrat. Les juges du fond ont rejeté cette demande, estimant que la créance en demande était prescrite. La société a fait appel de ce jugement et la CAA de Marseille a jugé que la créance n'était pas prescrite. La commune de Toulon a été tenue entièrement responsable de l'appauvrissement de la société. Elle a alors saisi le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation qui a été rejeté par le présent arrêt.

Le régime de la prescription quadriennale

Les sages du Palais Royal ont tout d'abord rappelé le principe de la prescription quadriennale, relevant de la loi du 31 décembre 1968. En vertu de son article 1er, "sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, [...] toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis". L'article 2 traite quant à lui de l'interruption du délai de prescription, qui peut notamment résulter d'un recours juridictionnel. Dans ce cas, "le nouveau délai [de quatre ans] court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée".
Le Conseil d'Etat a ensuite livré le mode d'emploi de l'appréciation du délai de prescription quadriennale entre deux contentieux. Après avoir rappelé que certaines situations ne faisaient pas courir le délai de prescription, il a précisé que la nullité du contrat antérieurement prononcée créait un lien avec la créance en demande.

Le cas de l'absence de prescription

L'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 fait état de situations où la prescription ne court pas. C'est notamment le cas quand le créancier ne peut agir en raison d'une cause de force majeure ou quand une partie "peut être légitimement regardé[e] comme ignorant l'existence de sa créance". En l'espèce, le contrat de concession a été exécuté pendant près de quinze ans, sans que sa nullité soit dénoncée par l'une des parties. Confirmant l'analyse de la CAA, le Conseil d'Etat a estimé que l'exécution normale du contrat pendant ces nombreuses années permettait de considérer que la société ne pouvait pas avoir connaissance de sa créance au titre de la responsabilité quasi-contractuelle de la commune. La créance en demande n'existait donc pas avant l'arrêt de la CAA de 2003 (premier contentieux), fixant le point de départ de la prescription.

Nullité du contrat et prorogation de la prescription quadriennale

En l'espèce, le contrat avait été déclaré nul par la CAA de Marseille en 2003, décision passée en force de chose jugée par l'arrêt du Conseil d'Etat du 19 décembre 2007. Le délai de prescription a donc été interrompu pendant cette période et un nouveau délai a commencé à courir le 1er janvier 2008. Cependant, selon le tribunal administratif de Toulon, saisi en 2009 dans le cadre du second litige, la créance était prescrite puisque privée de fondement contractuel. Toutefois, le Conseil d'Etat, confirmant la position de la CAA de Marseille, a jugé que la créance n'était pas prescrite car la demande d'indemnités est intervenue dans le délai légal, enclenché par la déclaration de nullité du contrat.

L'Apasp

Référence : CE, 9 décembre 2016, n°389910(Lien sortant, nouvelle fenêtre)
 

 

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