Orientation scolaire : les territoires, angles morts du droit à l'orientation

Si l'orientation scolaire constitue un droit fondamental pour les élèves du secondaire, la défenseure des droits constate, dans un rapport publié le 3 juin 2025, que l'effectivité de ce droit dépend largement du territoire de résidence. Moyens alloués, offre de formation, accès aux lieux et ressources d'information : les jeunes ne sont pas égaux devant l'orientation. Un constat préoccupant qui appelle une réponse ambitieuse de la part des collectivités comme de l'État.

Depuis la loi du 5 mars 2014, la compétence en matière d'orientation scolaire est partagée entre l'État et les régions. L'État définit la politique d'orientation dans le système éducatif et en assure l'accompagnement scolaire (via l'Éducation nationale, les PsyEN, les CIO, les programmes comme Parcours Avenir). Les régions, elles, sont responsables de l'information sur les métiers et les formations et de la coordination du service public régional de l'orientation (SPRO), notamment pour les publics scolaires, apprentis et étudiants.

Mais cette "répartition des compétences ne s'est pas traduite par une clarification des rôles", note le rapport de la défenseure des droits publié le mardi 3 juin 2025. En réalité, la gouvernance apparaît "confuse", ce qui nuit à la cohérence de l'accompagnement. Les diagnostics "d'absence de pilotage national", "de dilution des responsabilités", ou encore "de multiplicité d'acteurs" se succèdent depuis une décennie, sans que des solutions structurelles soient apportées.

Grande hétérogénéité des moyens consacrés à l'orientation entre régions

Un point central du rapport concerne la très grande hétérogénéité des moyens consacrés à l'orientation entre régions. Faute de données consolidées par l'État, les comparaisons sont délicates, mais les analyses régionales disponibles montrent que les budgets varient fortement selon les territoires, tout comme les modalités d'intervention : événements, outils numériques, dispositifs d'accompagnement.

La charge financière liée à l'organisation d'actions pédagogiques ou de forums de l'orientation est d'autant plus lourde dans les territoires étendus, peu denses ou faiblement desservis. Dans certains lycées ruraux, le seul coût du transport suffit à renoncer à toute sortie vers un salon. L'effort des collectivités est alors décisif, mais reste très variable selon les priorités régionales, le tissu économique ou le degré d'implication du rectorat.

L'association Régions de France rappelle que les transferts de compétences n'ont pas été compensés à hauteur des besoins. La dissolution des Dronisep (délégations régionales de l'Onisep) s'est accompagnée de transferts partiels de missions, mais sans moyens pérennes associés. Pour toutes ces raisons, Régions France revendique donc une compétence pleine et entière (notre article du 24 mars 2025 et du 10 avril 2025

Une offre de formation déséquilibrée

Pour les élèves, l'offre locale en formations est un facteur structurant, mais fortement inégalitaire. Certains lycées ne proposent qu'un nombre limité de spécialités, voire aucun bac professionnel, tandis que d'autres, mieux implantés ou historiquement plus dotés, offrent un large panel de filières. "L'offre de formation structure l'orientation réelle, bien plus que les projets ou les compétences", analyse le rapport.

Ces déséquilibres ne sont pas neutres : ils contribuent à orienter par défaut de nombreux élèves vers des filières disponibles localement, sans lien avec leurs aspirations. En particulier, les territoires ruraux ou ultramarins, ainsi que les zones périurbaines éloignées des pôles universitaires, voient se renforcer les logiques de renoncement à certaines ambitions éducatives, faute de solution de proximité.

Le nombre de centres d'information et d'orientation en baisse de 23% en 12 ans 

Autre constat alarmant : la disparition progressive des lieux physiques d'orientation. Le nombre de centres d'information et d'orientation (CIO) a chuté de 539 en 2013 à 413 en 2025, soit une baisse de 23 % en douze ans. Dans plusieurs départements, il ne reste qu'un seul CIO pour des dizaines de milliers d'élèves.

Or ces structures, en lien avec les PsyEN, sont les seules à proposer un accompagnement entièrement dédié à l'orientation, ouvert hors temps scolaire et indépendant de l'établissement. Le rapport souligne qu'elles sont peu connues des jeunes, peu accessibles hors centre urbain et que leurs horaires comme leur implantation géographique sont souvent inadaptés aux réalités locales.

Ce manque d'accessibilité pénalise particulièrement les jeunes en milieu rural, en quartiers prioritaires ou en situation de handicap, pour qui la médiation humaine est essentielle, en particulier face à la complexité croissante des outils numériques d'orientation (Parcoursup, Avenir(s), etc.).

L'exemple emblématique des stages

L'accès aux stages d'observation, devenu obligatoire en troisième et en cours de généralisation en seconde, cristallise ces inégalités territoriales. Dans les zones rurales ou peu industrialisées, les structures d'accueil manquent cruellement. A contrario, dans les métropoles, les opportunités existent mais supposent des démarches, des réseaux et des transports, souvent hors de portée des familles modestes.

Le rapport relève que les élèves sans réseau personnel ou familial sont ceux qui bénéficient le moins de ces expériences pourtant structurantes. Les établissements font parfois face à des refus répétés de structures locales, faute de convention ou de capacité d'accueil. Le rôle des collectivités devient alors central pour développer des partenariats territoriaux, faciliter la logistique et garantir l'équité.

Une orientation subie, faute de mobilité

L'un des angles morts de la politique d'orientation reste la très faible mobilité scolaire des élèves. À la différence des étudiants, rares sont les collégiens ou lycéens capables ou autorisés à envisager une orientation hors de leur département ou bassin de vie. En pratique, les inégalités d'accès à certaines filières se doublent d'inégalités de projection.

La défenseure des droits appelle à systématiser les passerelles entre voies et filières, dès la classe de troisième, et à reconnaître un véritable droit à la réorientation. Mais pour que ce droit soit effectif, encore faut-il que les filières soient accessibles géographiquement — ce qui est loin d'être le cas partout.

Un impératif de transparence et de suivi

Face à ces constats, le rapport recommande la mise en place d'un suivi consolidé, à la fois qualitatif et quantitatif, des politiques régionales d'orientation. Il s'agirait de documenter les moyens engagés, les actions conduites, les outils disponibles et leur appropriation par les élèves.

En complément, la défenseure des droits propose :
- la création de bureaux de l'orientation dans chaque établissement, pour garantir un accompagnement de proximité et centraliser les ressources ;
- la valorisation des CDI comme lieux d'accès à l'information sur les métiers et formations ;
- la mise en place de dispositifs d'"aller-vers" dans les zones peu dotées, par exemple via des bus d'information, des permanences mobiles ou des actions de terrain coordonnées ;
- une meilleure articulation entre les échelons régionaux et nationaux, notamment autour de la plateforme Avenir(s), encore très peu utilisée.

Sortir d'une logique de renvoi de responsabilité

Le rapport invite enfin à sortir d'une logique de renvoi de responsabilité entre acteurs. "Chacun se renvoie la responsabilité des échecs et s'attribue les succès", pointe-t-il. L'enjeu est de mettre en place une action coordonnée, lisible et équitable, où l'élève n'est plus tributaire du hasard géographique. Comme le résume Claire Hédon, "pour que l'école reste un levier d'émancipation et permette la réussite de toutes et tous, elle doit garantir à chaque élève la possibilité de choisir et non de subir son orientation".

 

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