Outre-mer : la Cour des comptes pointe les faiblesses des contrats de convergence territoriale
Dans un rapport publié le 24 juillet 2025, la Cour des comptes analyse de manière très critique les contrats de convergence territoriale (CCT) qui ont remplacé depuis 2019 les contrats de plan État-régions (CPER) en outre-mer. Peu de marge de manœuvre pour les élus locaux dans l'utilisation des crédits, peu ou pas de suivi, pas de dialogue sur le développement des territoires… la Cour estime que les CCT correspondent davantage à des catalogues d'orientations qu'à de véritables politiques de développement des territoires d'outre-mer.

© ROLANDO DIAZ-The New York Times-REDUX-REA/ Pointe-a-Pitre, Guadeloupe
"Les ambitions stratégiques conférées par la loi aux contrats de convergence territoriale sont restées sans portée concrète. Les plans de convergence s'apparentent à des catalogues d'orientations et d'objectifs généraux peu constables, couvrant tous les champs de l'action publique, mais ne comportent ni hiérarchisation, ni chiffrage, ni cibles définies." Dans un rapport paru le 24 juillet 2025, la Cour des comptes dresse un bilan sévère de ces contrats qui sont venu remplacer les contrats de plan État-régions (CPER) en outre-mer depuis 2019. Pourtant les crédits ont augmenté : le montant total contractualisé pour la période 2019-2022 atteint 3,1 milliards d'euros, dont 1,8 milliard apporté par l'État, soit le triple de l'engagement consenti auparavant. Pour la période suivante, 2024-2027, l'engagement est le même mais sans intégrer le plan d'investissement dans les compétences (PIC), "ce qui équivaut à un accroissement de 37% des crédits propres aux CCT", précise la rue Cambon. Et d'autres crédits viennent s'ajouter (issus des autres signataires et financeurs des contrats), pour un montant qui excède même les crédits contractualisés (4,4 milliards d'euros contre 2,7 milliards d'euros*).
Un rattrapage plus qu'une véritable politique de convergence ?
Mais même sur ce point, la Cour des comptes est critique : "Les changements de périmètre rendent les comparaisons malaisées", insiste-t-elle, et les crédits "sont souvent utilisés par l'État ou les collectivités comme moyen d'affichage de dépenses sans rapport avec le contrat, ce qui diminue la lisibilité de maquettes budgétaires déjà complexes et affaiblit la portée réelle des CCT en tant qu'outils à part entière". L'État s'en est aussi servi pour alimenter les plans d'urgence qui ont été mis en place à la suite des crises subies en outre-mer, empêchant d'apprécier la portée réelle de l'augmentation de budget. "Les crédits de l'État sont majoritairement concentrés sur des infrastructures de base", précise la Cour, on parle par exemple de la mise à niveaux des établissements d'enseignement secondaire à Mayotte, du réseau routier en Guyane, des opérations liées à la prévention des risques ou des installations de collecte, traitement ou valorisation des déchets. Si "elles sont nécessaires", elles "relèvent davantage d'un rattrapage ou d'une mise à niveau que d'une véritable politique de convergence et de transformation, assurent les magistrats, rien n'a de fait été mis en œuvre pour faire des CCT davantage qu'une présentation synthétique de politiques sectorielles juxtaposées sur les territoires".
Les crédits fléchés dès le mandat de négociation
Autre critique : les financements sont largement décidés a priori en administration centrale par les ministères ou les opérateurs de l'État (Ademe, Office français de la biodiversité...). "85% des crédits sont ainsi fléchés dès le mandat de négociation adressé aux préfets par le Premier ministre, ce qui ne laisse en fait que peu de marge de négociation pour répondre localement aux besoins exprimés par les exécutifs locaux et développer une stratégie de territoire", indique le rapport regrettant le manque de dialogue sur le développement de ces territoires, au-delà de la gestion des crises et des urgences. L'objectif de stratégie partagée peine à se mettre en place car les instances contractuelles de pilotage et de programmation ne se réunissent pas régulièrement. Les données quant à la consommation des crédits sont aussi peu suivies. "À l'exception de la Guadeloupe, où la préfecture s'est adjointe pour cela les services de consultants extérieurs, les bilans de mise en œuvre de la première génération de contrat n'ont pas été effectués, ni en cours de contrat, ni même à l'issue du CCT, avant l'élaboration de la génération suivante", précise la note. Il n'y a pas d'outil ni de méthode de suivi, chaque préfecture utilisant ses propres tableaux, voire un simple tableur… "En dehors des périodes de négociation des contrats, la direction générale des outre-mer (DGOM) n'assure pas non plus de réel pilotage, ni d'animation du dispositif, et n'y consacre pas particulièrement de moyens humains, déplore le rapport. Elle suit, en lien avec les ministères concernés, la consommation des crédits des CCT, mais ne renvoie pas l'information vers les préfectures."
Le retour des outre-mer au droit commun des CPER ?
Pour la Cour des comptes, les dépenses justifieraient de consacrer un minimum de ressources à la mise en œuvre et au pilotage, avec l'aide de consultants, comme en Guadeloupe, ou en interne, en établissant une méthodologie et en confiant, nationalement ou localement, le tout à une personne dotée de l'autorité, de la compétence et de la disponibilité nécessaire. "Faute de réunir ces conditions, les CCT, qui regroupent une grande partie de l'investissement de l'État outre-mer, ne constituent pas l'instrument nécessaire d'une politique de développement des outre-mer concertée avec les régions et les collectivités, conclut la Cour des comptes. La question devrait être posée d'un retour des outre-mer au droit commun des CPER qui moyennant de faibles aménagements pourrait permettre de répondre aux ambitions et prescriptions de la loi Erom", la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017.
*Ces chiffres portent sur la somme de cinq territoires, Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Mayotte, soit 90% des montants.