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Prévention de la radicalisation - Personnes fichées : la CNCDH s'oppose à la transmission aux maires

Dans un avis sévère sur la politique de lutte contre la radicalisation menée depuis trois ans, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s'oppose à la transmission aux élus des noms de personnes fichées sur leur territoire. Une mesure pourtant récemment préconisée par un rapport sénatorial.

"Lorsque l’Etat de droit est menacé, il doit montrer sa capacité à résister à des tentations sécuritaires aveuglantes." C’est la mise en garde sévère adressée aux autorités par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un avis adopté le 18 mai, sur les politiques de "déradicalisation" mises en place depuis 2014. La Commission critique tout d’abord l’absence de définition claire du phénomène de "radicalisation" et trouve "surprenant" qu’un concept aussi vague puisse "donner lieu à une série d’items relativement précis et objectifs", notamment pour signaler des individus suspects. A ce titre, elle attire l’attention sur les pressions qui pèsent sur les travailleurs sociaux à qui l’on demande de signaler les personnes présentant un risque, et ce en contradiction avec le "lien de confiance" sur lequel repose leur travail. "La contamination du champ de l’action sociale par les impératifs du renseignement tend à produire les effets inverse à ceux poursuivis."
La CNCDH revient par ailleurs longuement sur le fichage des personnes radicalisées, et demande la suppression du nouveau fichier, le FSPRT (fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste) instauré en mars 2015. Elle déplore le fait que les décrets constitutifs de ce fichier n’aient pas fait l’objet de publication. La commission s’oppose à l’idée de la mission d’information du Sénat de mars 2017 qui préconisait de porter à la connaissance des élus locaux les informations contenus dans ce fichier comme celles des fichiers FIJAIT (fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes) et FPR (fichier des personnes recherchées). Cette proposition "ferait peser sur le respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée par rapport à l’objectif de sécurité". Elle demande aussi de déconnecter des services de renseignement le numéro vert destiné aux familles et de le transférer au 119 qui gère l’enfance en danger.

Effets d'aubaine pour les associations

La commission n’est pas plus clémente à l’égard des mesures de prise en charge des personnes radicalisées. Les préfectures ont à ce titre mandaté des associations. Or la réponse aux appels d’offres est "en grande partie due à des effets d’aubaine", juge-t-elle. "Dans un contexte de raréfaction des subventions publiques, les associations arborent la lutte contre la radicalisation afin de recueillir des financements." Autre effet induit : l’objectif de lutte contre le terrorisme "a capté une grande partie des budgets consacrés jusque-là à la lutte contre la délinquance". La commission demande donc de favoriser la prise en charge des mineurs dans le cadre du droit commun par un travail d’accompagnement et d’insertion.
Elle revient aussi sur l’échec retentissant du "Centre de réinsertion et de citoyenneté" de Pontourny que Manuel Valls voulait reproduire dans chaque région. L’expérimentation a récemment été suspendue, après le départ du dernier "locataire". La Commission ironise sur le principe de "l’adhésion volontaire" sur lequel reposait le dispositif et dénonce son coût de fonctionnement avoisinant les 2,5 millions d’euros par an.
L’avis n'est guère plus amène à l’égard des mesures prises en milieu carcéral. On notera au passage la mise en place d'un "atelier d'escrime thérapeutique" dans l'unité dédiée d'Osny ! Certains programmes de déradicalisation se sont avérés "contreproductifs". La commission regrette notamment que la prise en charge des détenus radicalisés repose "trop souvent sur un 'contre-discours'" reposant sur les "valeurs de la République". Or "une telle approche ne peut qu’alimenter le ressentiement et la frustration de personnes en rupture avec la société".

Police de la pensée

L’avis de la CNCDH émet aussi de sérieuses mises en garde contre les risques encourus pour la liberté de pensée et la liberté religieuse, dans le cadre de cette politique. Elle s’inquiète des dérives "de ce qui pourrait s’apparenter à une police de la pensée" et souligne "qu’il n’est pas possible de contraindre une personne à changer d’opinion". Un accompagnement approprié (notamment en recourant aux repentis) peut cependant "l’amener à reconsidérer ses convictions", estime-t-elle. Le principe de laïcité "ne saurait être utilisé afin d’établir quelles formes d’islam sont acceptables ou non".
A cet égard, la commission demande l’abrogation du délit de consultation de sites djihadistes (art. 421-2-5-2 du Code pénal) réintroduit par la loi sur la sécurité publique du 28 février 2017 (après avoir été retoqué par le Conseil constitutionnel dans une décision du 10 février 2017). Elle réitère sa demande de levée de l’état d’urgence (comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire en 2016 et début 2017).