PLF 2026 : les coups de gueule et cartons rouges du réseau Amorce
À l’occasion de son 39e congrès, et au lendemain de la présentation du projet de loi de finances pour 2026 en conseil des ministres, Amorce, l’association d'élus et d'entreprises chargées de la gestion des déchets, de l'eau et de l’énergie, a identifié et analysé les principaux points de crispation budgétaires - récurrents pour la plupart - pesant sur les projets de transition énergétique des territoires et fait à nouveau part de ses propositions de recettes.

© Régine Lemarchand/ Manifestation Amorce à Angers
Le 39e congrès du réseau Amorce, organisé du 15 au 17 octobre à Angers, est placé sous l'actualité brûlante de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 (lire nos articles des 14 et 15 octobre 2025). Dans un contexte de fortes tensions budgétaires et de réduction des soutiens de l’État, l’agacement est perceptible bien que le thème du congrès soit placé sous le signe de la pugnacité avec pour mot d’ordre "Transition écologique et énergétique : faire plus avec moins !". "La situation, c'est quand même celle de l’alerte" avec de nombreux reculs dans les domaines de l’eau, des déchets et de l’énergie, et l’occasion est saisie d’exprimer "le coup de gueule d’Amorce", a d'emblée relevé Jean-François Debat, le premier vice-président délégué aux relations institutionnelles de l’association, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue en ouverture de l’évènement ce 15 octobre.
Fiscalité des déchets : une bonne et une mauvaise nouvelle
Au titre du "verdissement de la fiscalité des déchets" figure dans le PLF 2026 (au sein de l’article 21) l'instauration d'une taxe sur les emballages plastiques non recyclés ciblant les éco-organismes pour pousser au réemploi et au recyclage et se conformer aux objectifs européens. Avec un taux de recyclage des emballages plastiques de 25,9%, la France est encore très loin de l’objectif fixé par l’Europe à 50% à horizon 2025. Et ce retard pèse lourd : selon le chiffrage d’Amorce, pour le seul gisement des emballages ménagers, c’est de l’ordre de 750 millions d’euros pour l’État, et la moitié, c’est-à-dire environ 370 millions d’euros, pour les collectivités. Tandis que les éco-organismes économisent de leur côté près de 900 millions d’euros sur les tonnages non recyclés. Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, se félicite de cette "grande victoire" sur une mesure poussée par l’association, y voyant "une révolution culturelle". Même si le taux proposé est encore "très bas à ce stade" : 30 euros par tonne non recyclée en 2026 pour atteindre progressivement 150 euros par tonne en 2030. Le grand combat sera de "maintenir" cette proposition lors de la discussion budgétaire et de "la renforcer financièrement". Amorce plaide pour rehausser le montant de la taxation et en outre pour l’étendre à tous les gisements sous REP (responsabilité élargie du producteur). "Il y a le début de quelque chose d’intéressant mais l’éco-organisme a toujours intérêt à ne pas atteindre ses objectifs", remarque Nicolas Garnier. "Si cela coûte 30 euros la tonne de payer la taxe sur les emballages plastiques non recyclés et entre 800 et 1.000 euros de soutenir une tonne qui serait dans le bac jaune, il y a encore une très forte tentation de ne pas collecter sélectivement", explique-t-il.
Hausse de la TGAP : une "gabelle de la poubelle"
On l’aura compris le coup de gueule s’adresse à "la nouvelle trajectoire de hausse" de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) applicable aux déchets non dangereux, d’autant qu’Amorce n’a pas été mis au courant par l’État. C’est donc la douche froide. Les élus participant au congrès ont d’ailleurs brandi symboliquement leur carton rouge à l’adresse de ce qu'ils ont qualifié de "gabelle de la poubelle", une "taxe injuste, punitive et non-affectée, prélevée par l'État et payée par les collectivités (qui) alourdit directement la facture des usagers du service public". Ce sera d’après l’association "480 millions d’euros de TGAP en plus à la charge des collectivités et des usagers en 2030 à tonnage de déchets constant". Avec un deuxième calcul tenant compte d’une baisse d'à peu près 5% par an sur la partie stockage, ce sera tout de même "240 millions d’euros de TGAP en plus à la charge des collectivités en 2030". "C'est encore une très très lourde facturation", relève Nicolas Garnier. Petite consolation avec une compensation "partielle" qui pourrait découler de l’application du taux de 5,5% à l’ensemble des prestations achetées par les collectivités en matière de collecte et de traitement des déchets.
Des contre-propositions remises au goût du jour
en matière de déchets
"Nous n'avons toujours pas la fameuse TGAP amont", déplore Nicolas Garnier. L’association promeut de longue date une réforme en profondeur de la TGAP intégrant des mesures de responsabilisation des producteurs par la mise en place d’une "TGAP amont" ciblant les metteurs en marché de déchets non recyclables ou non couverts par une filière REP. Sur la base de 5 centimes sur chaque produit concerné (hors produit de première nécessité), elle pourrait générer 500 millions d’euros de recettes a calculé Amorce.
Déjà évoquée lors du précédent budget, est aussi reprise dans les propositions pour responsabiliser les eco-organismes, celle d'une TGAP sur chaque tonne d’écart envoyée en stockage ou unité de valorisation énergétique par rapport à l’objectif à atteindre en termes de recyclage, qui pourrait générer un milliard d’euros de recettes.
Ces nouvelles recettes permettraient d’alimenter "un véritable fonds économie circulaire" doté de 1,2 milliard d’euros par an. C’est "une autre bataille à mener" alors que Bercy envisage un fonds économie circulaire réduit à 100 millions d'euros à ce stade.dans le domaine de l’eau
Au moins 1,5 milliard d’euros par an sont nécessaires pour la mise en place d’une partie des traitements des micropolluants en captage et des traitements quaternaires exigés par la directive eaux résiduaires urbaines révisée (Deru 2), sans tenir compte des stratégies préventives, selon les estimations d’Amorce. Là encore, les propositions de l’association sont déjà sur la table depuis un bon moment : création d’une redevance "micro-polluants" due par les metteurs sur le marché (industries pharmaceutiques, cosmétique, textiles, ustensiles de cuisine, plastiques) avec une recette attendue de 500 millions d’euros ; introduction d’un seuil plancher – et multiplication par 5 des plafonds – de la redevance dite "pollution non domestique" de l’eau (en particulier du secteur industriel), affectée aux agences de l’eau, avec une augmentation escomptée de 260 millions d’euros ; revaloriser la redevance "pollution diffuse" par une forte hausse des taux (multipliés par 3 dès 2026 et par 5 en 2028), avec un élargissement aux engrais et pesticides impactant les ressources en eau, pour en retirer 385 millions d’euros supplémentaires.
Amorce réclame aussi un "fléchage" prioritaire de ces trois leviers vers les collectivités, de façon à "rerouter au moins 50% des aides des agences de l’eau".
Pour financer la sobriété en eau, Amorce promeut aussi un alignement des taux plancher de la redevance "prélèvement" à 1,7 centimes d’euros/m³ (équivalente au taux moyen du secteur domestique) et la mise en place d’un taux intermédiaire plancher de 1,2 centimes d’euros/m³ (correspondant au taux moyen appliqué à l’irrigation non gravitaire) pour ramener 210 millions d’euros de recettes.dans le domaine de l’énergie
Pour élargir un débat jugé "trop focalisé sur l’électrification", selon Nicolas Garnier, Amorce reprend en la matière ses propositions axées sur les économies d’énergie. Et réclame tout d’abord d’instaurer un amortisseur socio-environnemental sur le prix des énergies fossiles (gaz et essences) ou en tout cas "un plancher de prix" des énergies carbonées (à partir de 45 euros le MW/h).
Sur le fonds Chaleur, 1,5 milliard d’euros seraient nécessaires dès 2026. "Ceux qui nous disent 'soyez satisfait avec 800 millions d’euros, c’est l’un des rares fonds qui ne baisse pas' [dans le PLF 2026], il faut savoir que ce sont des dizaines de projets locaux de réseaux de chaleur qui sont aujourd’hui bloqués" ou "fragilisés" par les tentatives de l’Ademe d’optimiser les aides, s’agace Nicolas Garnier. D’autant qu’avec le retard pris, il manque déjà 500 millions d’euros pour financer le développement de tous les projets encore dans les cartons. Amorce questionne aussi l’allongement des durées d’amortissement des réseaux (à compter de 2027) et la "priorisation" qui devrait être mise en place par l’Ademe à partir de 2026 sur la base de trois critères -l’efficience de l’aide, la diversification de la ressource et les enjeux territoriaux - pour faire face à cette baisse du fonds chaleur. Autre sujet d’inquiétude : le fonds vert qui devrait être à nouveau divisé par deux et s’établir autour de 650 millions d’euros. Nicolas Garnier reconnaît que certaines actions ont été "moins performantes" mais l’association préconise de maintenir un fonds vert suffisamment doté pour la rénovation énergétique des bâtiments publics et le tri à la source des biodéchets. Le fonds territorial climat - jamais vraiment concrétisé - va-t-il totalement disparaître ?, s’interroge également Amorce.
Quant à la baisse de MaPrimRenov’ - moins de 2 milliards d'euros dans le PLF 2026 contre 2,5 milliards en 2025 - assortie d'un recentrage sur les logements prioritaires en ce qui concerne les rénovations d'ampleur, tandis que les aides versées au titre des rénovations dites par "geste" cibleront en priorité la décarbonation, elle "pose une question quasiment philosophique", estime Nicolas Garnier.
Décentraliser la fiscalité écologique
Le chantier de la décentralisation, relancé par Sébastien Lecornu, pourrait permettre de rebattre les cartes, en donnant une voix prépondérante aux collectivités dans les votes des taux des redevances et des affectations des agences de l’eau (à proportion de leurs contributions), fait valoir Amorce. Et dans le domaine de l’énergie, en introduisant une modulation de la taxe foncière par les collectivités en fonction du diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements, voire de la contribution foncière des entreprises en fonction des émissions de gaz à effet de serre. Le réseau d'élus fait également une proposition surprenante relative au secteur des déchets : confier la gestion de la TGAP aux collectivités "en circuit court". Une partie de la TGAP pourrait aussi être transférée à la Région et affectée à l’économie circulaire des documents de planification.
Amorce passe à l’offensive sur la filière emballages ménagers
Une demande préalable a été adressée au gouvernement pour obtenir la refonte du cahier des charges, a officialisé Amorce. Quatre manquements sont soulevés dans le courrier parti la semaine dernière, le 10 octobre : l’insuffisance des mesures permettant l’atteinte des objectifs de prévention d’une part, et de recyclage, d’autre part, (en particulier des emballages plastiques), l’absence de volet relatif au contrôle par l’État du respect des obligations par l’éco-organisme et d’un mécanisme dissuasif de sanction, et l’insuffisance de la prise en charge des coûts supportés par les collectivités. En fonction de la réponse de l’État dans le délai de deux mois, Amorce saisira le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir qui tranchera sur une éventuelle annulation de l’arrêté de 2023 portant cahier des charges.