PLF : la partie recettes rejetée en bloc par l'Assemblée, cap sur le Sénat

L'Assemblée nationale a rejeté à la quasi-unanimité vendredi soir la partie recettes du projet de loi de finances. Ce rejet emporte l'ensemble du texte. En sachant que les députés venaient de voter plusieurs amendements intéressant les collectivités. Le texte est maintenant entre les mains des sénateurs, qui vont repartir de la copie initiale. La commission des finances du Sénat a démarré ses travaux ce lundi matin, votant à son tour une série d'amendements favorables aux finances des collectivités. L'examen en séance débutera jeudi. L'objectif, rappelé par le sénateur Jean-François Husson, rapporteur général du budget : faire passer l'effort des collectivités de 4,6 milliards à 2 milliards d'euros. Pendant ce temps, le Premier ministre espère sortir de la possible impasse budgétaire en mettant en place des discussions parallèles sur quelques thématiques jugées prioritaires.

Fait inédit : la quasi-totalité de l'Assemblée a rejeté dans la nuit de vendredi à samedi (21 au 22 novembre) la première partie – partie recettes – du projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Un vote sans surprise mais qui augure mal de son adoption avant la fin de l'année. Après 125 heures de débats parfois houleux, 404 députés ont rejeté cette partie du texte (un vote pour, 84 abstentions), sachant que ce rejet emporte l'ensemble du projet de loi, sans même que ne soit étudiée la partie "dépenses". Les groupes de gauche et le RN ont voté contre, ceux du camp gouvernemental se sont divisés entre votes contre et abstentions. Seul à voter pour, le député du groupe centriste Liot Harold Huwart. L'an dernier aussi l'Assemblée avait rejeté le PLF. Mais pas avec une telle ampleur.

On rappellera que ce PLF 2026 avait déjà été largement rejeté en commission des finances (voir notre article) et que c'était donc la version initiale du texte qui était débattue en séance. Le patchwork issu de cet examen ne pouvait au final satisfaire personne. Le Premier ministre, qui s'est exprimé ce lundi à Matignon, a lui-même convenu que le rejet était "assez attendu" et même "relativement normal". Le camp gouvernemental a en tout cas largement invoqué les mesures votées par les oppositions pour justifier son absence de soutien au texte de l'exécutif.

Vendredi avant le vote de rejet, les députés avaient voté plusieurs amendements intéressant les collectivités. Qui de fait tombent à l'eau. Parmi eux :

L'Assemblée nationale avait ainsi approuvé le doublement du fonds de sauvegarde des départements, concrétisant l'annonce faite par Sébastien Lecornu le 14 novembre en clôture des Assises des départements (voir notre article). "Nous portons le fonds de sauvegarde en faveur des départements de 300 à 600 millions d'euros", ce qui "permettra d'élargir également le nombre de bénéficiaires de 54 à 58 départements", avait assuré Amélie de Montchalin juste avant l'adoption de l'amendement à l'unanimité.

Contre l'avis du gouvernement cette fois, les députés avaient aussi adopté des amendements transpartisans créant un "fonds de mobilisation départementale pour les jeunes majeurs de la protection de l’enfance" sous la forme d’un prélèvement sur les recettes de l’État et dont bénéficient les départements. Constitué de deux parts, il devait être doté, en 2026, de 800 millions d’euros.

Concernant les régions, les députés LR avaient fait adopter une enveloppe supplémentaire de 220 millions d'euros notamment pour leurs dépenses de "formation des filières paramédicales et sociales". La ministre y était défavorable, arguant qu'un "accord" avait déjà été trouvé avec Régions de France pour que le gouvernement inscrive dans le budget de l'Etat "une dotation de 191 millions d'euros, au vu de la démographie de formation des infirmières en 2026".

Avec l'adoption d'un autre amendement LR, les députés avaient supprimé "le retour à une DGF régionale" et donc maintenu la fraction de TVA allouée aux régions.

Un amendement défendu par Stéphane Delautrette, le président PS de la délégation aux collectivités de l'Assemblée, était revenu sur certaines des "restrictions proposées par le gouvernement aux dépenses éligibles en matière de FCTVA", en rétablissant l’éligibilité des contributions des collectivités liées aux concessions d’aménagement et aux opérations portées par des sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national.

D'autres amendements étaient venus supprimer le dispositif prévoyant une réduction de 25% de la compensation aux collectivités de l’abattement de 50% sur la base des locaux industriels assujettis à la taxe foncière, comme le souhaitait notamment France urbaine.

Enfin, plusieurs des amendements adoptés portaient sur le fonds national des aides à la pierre (Fnap), proposant un abondement par les bailleurs sociaux (via la Caisse de garantie du logement locatif social, CGLLS) en contrepartie d’une RLS abaissée.

Le Sénat pour repêcher des dispositions en faveur des collectivités ?

Le budget va désormais être examiné par le Sénat, qui doit en débattre dans l'hémicycle dès ce jeudi 27 novembre, en repartant du projet initial du gouvernement. Son adoption avant la fin de l'année apparaît comme une gageure, en termes de délais comme en termes de majorité pour le voter.

La majorité de droite au Sénat, qui veut parvenir à l'objectif d'un déficit public à 4,7% du PIB en 2026, veut tailler dans les dépenses publiques, plutôt que d'alourdir les impôts. Elle entend cependant épargner les collectivités locales, dont l'effort passerait de 4,6 milliards d'euros – dans la copie du gouvernement – à 2 milliards, comme l'a confirmé le président du Sénat, Gérard Larcher, lors du congrès des maires de France, le 20 novembre (voir notre article).

"Le Sénat garde le cap, c'est-à-dire un effort raisonnable et supportable", mais "nous voulons tenir l'engagement tout en participant bien sûr au redressement des comptes publics", a confirmé le rapporteur général du budget, Jean-François Husson (LR), lors d'une conférence de presse, ce lundi 24 novembre. 

La ligne fixée par la majorité sénatoriale a été suivie lors de l'examen ce lundi matin par la commission des finances du Sénat d'une petite trentaine d'amendements du rapporteur général du budget sur la première partie du PLF 2026. Des amendements tous validés et parfois à l'unanimité, comme a tenu à le souligner le président de la commission, le socialiste Claude Raynal. On y retrouve nécessairement des points communs avec ceux qui avaient été adoptés côté Assemblée.

L'un d'eux tend à "supprimer le dispositif de maîtrise de l’évolution des fractions de TVA affectées aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale" prévu dans le projet de loi. Simultanément, il procède au doublement du fonds de sauvegarde des départements, en le faisant passer de 300 à 600 millions d'euros. Un autre amendement réduit de moitié (de 1,2 milliard d'euros à 0,6 milliard) la réduction de la compensation de l'allègement des impôts fonciers au bénéfice des établissements industriels. En outre, il plafonne l'effet de la mesure à 2% des recettes réelles de fonctionnement des communes et intercommunalités. Un troisième amendement maintient l'assiette actuelle du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), notamment en prévoyant que les dépenses d'entretien de la voirie demeurent éligibles – contrairement aux dispositions figurant dans le projet de loi initial.

En outre, les sénateurs ont affecté aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) 100 millions d'euros provenant des mises aux enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre - alors que cette ressource était de 50 millions d'euros en 2025 pour les AOM.

Dilico : les communes exonérées ?

"Les collectivités ne sont pas responsables du déficit et de la dette publics", a insisté Jean-François Husson. "En 2025, a-t-il indiqué, les dépenses des collectivités ont même augmenté moins vite que les dépenses de l'État et de la sécurité sociale". C'est ce que met en évidence le projet de loi de finances de fin de gestion que le Sénat examine actuellement. 

Lors de l'examen le 19 novembre des dispositions de la mission "Relations avec les collectivités territoriales" (RCT), la commission des finances du Sénat avait déjà adopté plusieurs amendements favorables aux collectivités, dont la suppression de la fusion de plusieurs dotations d'investissement, une mesure gouvernementale qui s'accompagne de la réduction de 200 millions d'euros desdites dotations. La commission avait toutefois réservé son vote sur le nouveau dispositif d'épargne forcée ("Dilico 2") dont le montant est fixé à 2 milliards d'euros. L'examen de la disposition est prévu lors d'une réunion de la commission, le 26 novembre. Mais la majorité sénatoriale a déjà une idée précise de ce qu'elle souhaite à l'égard du dispositif, comme l'a confirmé le rapporteur général du budget : "une division par deux" de la contribution des départements et des intercommunalités à fiscalité propre au Dilico et une exonération totale pour les communes. Les maires sont "les élus préférés des Français", a notamment justifié Jean-François Husson. Par ailleurs, le Sénat opterait pour la reconduction des modalités de fonctionnement du Dilico dans sa version 2025, donc pour la suppression du "Dilico 2".

On notera que parmi les amendements sur la première partie du PLF 2026 adoptés ce 24 novembre par la commission des finances du Sénat, une disposition ramène de trois ans à un an le report de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, qui servent de base au calcul des impôts locaux. "À un moment, on doit pouvoir avancer sur ces valeurs locatives, qui si elles étaient mises à jour, offriraient un peu plus de ressources aux collectivités", a estimé le rapporteur général du budget.

Le marathon budgétaire débutera en séance le 27 novembre pour les sénateurs, le vote sur l'ensemble du texte étant prévu pour le 15 décembre. L'objectif : "trouver une voie de passage", selon les termes du sénateur de Meurthe-et-Moselle, qui s'est montré déterminé à "un moment particulièrement grave".

En parallèle, des discussions sur cinq thèmes prioritaires

Martelant que son fragile gouvernement "n'a aucun autre agenda que de permettre à la France d'avoir un budget pour l'État et pour la Sécurité sociale pour l'année prochaine", le Premier ministre s'est dit rester convaincu, dans son allocution ce lundi matin à Matignon, qu'il peut exister "une majorité" à l'Assemblée nationale. Mais, soulignant "l'alerte" constituée par le rejet quasi-unanime du volet recettes du PLF par les députés, le Premier ministre a annoncé un changement de méthode d'ici la reprise des débats budgétaires à l'Assemblée mi-décembre. Il compte recevoir l'ensemble des formations politiques ainsi que les partenaires sociaux pour discuter de cinq thèmes vus comme des "priorités (...) absolues" : le déficit, la réforme de l'État et la décentralisation, l'énergie, l'agriculture, ainsi que la sécurité intérieure et extérieure. Le résultat de ces discussions pourrait donner lieu dans la foulée à des votes par thématique afin de créer ensuite "un cadre de compromis" sur le budget, a précisé Matignon.

Le gouvernement saisira ainsi dès la semaine prochaine l'Assemblée nationale et le Sénat d'un vote spécifique sur la défense. Sur les autres sujets qui pourraient être débattus au Parlement, Sébastien Lecornu estime que l'énergie est "un enjeu majeur" : le Parlement doit "clarifier la stratégie de la programmation pluriannuelle pour l'énergie" qui n'est "pas sans impact sur les finances publiques" et "est un énorme enjeu de pouvoir d'achat". Quant à l'agriculture, "la négociation de la future politique agricole commune avec Bruxelles" doit faire l'objet "d'un consensus le plus large possible". Concernant la réforme de l'Etat et la décentralisation, il a redit vouloir "avancer rapidement" pour un projet de loi qui pourrait être proposé au conseil des ministres d'ici la fin de l'année.

 

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