Protection de l’enfance : Élisabeth Borne dévoile un arsenal de mesures… en attendant la "mobilisation État-départements"

Lors d’un Comité interministériel à l’enfance, Élisabeth Borne a présenté ce jour le troisième plan de lutte contre les violences faites aux enfants, ainsi que des mesures spécifiques pour les enfants protégés. Seront désignés de façon expérimentale, dans dix départements, des délégués départementaux de l’État à la protection de l’enfance, chargés de travailler avec les départements. Une feuille de route spécifique sur la scolarité des jeunes de l’ASE sera déployée et "un coup de pouce" de 1.500 euros sera versé automatiquement aux 18 ans, dans le cadre d’un "pack autonomie jeunes majeurs". La "mobilisation État-départements" promise par Élisabeth Borne sera quant à elle lancée fin 2023 ou début 2024.

En cette Journée internationale des droits de l'enfant, et trois jours après la publication du rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (voir notre encadré ci-dessous), la Première ministre présidait un Comité interministériel à l’enfance (CIE), avec à ses côtés treize ministres et secrétaire d’État (1).

Lors du lancement de cette instance il y a un an (voir notre article), la création d’un Office mineurs (Ofmin), office de police judiciaire centré sur les violences faites aux enfants, avait été annoncée. L’Ofmin dispose aujourd’hui de 35 enquêteurs et ce chiffre va être porté à 85 dans les deux ans. C’est l’une des mesures du troisième plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour la période 2023-2027, dévoilé ce 20 novembre 2023 par Élisabeth Borne. Un renforcement bienvenu, mais qui paraît encore faible au regard des centaines de signalements qui parviennent à l’Ofmin – chaque jour "près de 700 images ou vidéos mettant en scène des abus sexuels sur mineurs et échangés sur Internet en France", selon un enquêteur cité par l’AFP lors du déplacement de la Première ministre de ce matin dans cet Office.

Des moyens pour l’écoute, le contrôle et la formation 

Des postes supplémentaires sont en outre financés pour renforcer des dispositifs de prévention et d’écoute des enfants victimes : des "écoutants" pour le numéro 119 (enfance en danger) et le 3018 (dédié aux enfants victimes de harcèlement) et des postes pour le dispositif "Signal sport"

Un outil permettant de systématiser le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels et des bénévoles intervenant auprès d’enfants sera mis au point en 2024, puis déployé progressivement. L’objectif est de permettre à ces intervenants (2 millions de personnes environ) de produire leur propre "certificat d’honorabilité" pour le présenter à leur employeur ou organisme référent, selon Matignon. En cas d’antécédent, l’outil serait bloqué du côté de la personne sollicitant le certificat et l’organisme pourrait effectuer des vérifications complémentaires.  

Un vaste plan de formation sur la lutte contre les violences faites aux enfants sera également déployé dans les ministères, auprès des professionnels de l’enfance, de la santé et des encadrants du service national universel (SNU). En matière de sensibilisation, une campagne de communication sera portée chaque année sur un aspect en particulier des violences faites aux enfants (après l’inceste, cette année). La loi de 2019 interdisant les "violences éducatives ordinaires" sera par ailleurs mentionnée dans les carnets de santé.   

Dix délégués départementaux à la protection de l’enfance pour travailler avec les départements

Matignon annonce également la création de dix délégués départementaux à la protection de l’enfance, dans des départements expérimentant avec l’État le comité départemental pour la protection de l’enfance (voir notre article), à savoir : les Bouches-du-Rhône, le Cher, la Drôme, l’Eure-et-Loir, le Loiret, le Maine-et-Loire, le Nord, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques et la Somme. Placés auprès des préfets, ces délégués seront "les interlocuteurs privilégiés des conseils départementaux" et devront veiller à "une meilleure coordination de l’action locale". "Si le dispositif est concluant, il sera généralisé", précise Matignon.

Demandé par les acteurs du secteur (voir notre article), le développement des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) est confirmé, avec l’objectif d’atteindre 166 unités d’ici 2027. Le ministre de la Justice entend également revaloriser le statut de l’administrateur ad hoc, ajoute Matignon.

Une feuille de route "Scolarité protégée"

Des mesures concernant spécifiquement les "enfants protégés et vulnérables" sont annoncées, avec en particulier la présentation d’une feuille de route "Scolarité protégée" visant à renforcer le partenariat entre Éducation nationale et protection de l’enfance. Des "référents scolarité protégée" seront nommés dans les académies et les établissements scolaire et dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance (ASE), pour un meilleur suivi des jeunes. Des entretiens d’orientation seront également organisés aux 15 ans et aux 17 ans de l’enfant.

Des mesures sont également destinées à "simplifier le quotidien scolaire" des jeunes de l’ASE (par exemple, concernant des autorisations pour des sorties scolaires) et pour assurer la continuité pédagogique lors d’un placement en urgence. Un fonds de 15 millions d’euros sera enfin débloqué, dans le cadre du secrétariat général à l’investissement, pour soutenir des projets innovants sur la scolarité.

Généralisation des expérimentations "Santé protégée" et Pegase

Pour diminuer le non-recours aux soins, lutter contre les problèmes de santé mentale et mettre en place des "parcours de soin coordonnés" pour les jeunes pris en charge par l’ASE, Élisabeth Borne annonce la généralisation au 1er janvier 2025 des expérimentations "Santé protégée" et Pegase, à l’issue de l’évaluation finale de ces programmes.

Concernant la "double vulnérabilité" protection de l’enfance-handicap, l’enveloppe dédiée au médico-social dans la nouvelle contractualisation État-départements – au 1er janvier 2024 – sera doublée pour atteindre 50 millions d’euros, indique Matignon.

À propos de la mobilisation État-départements pour la protection de l’enfance annoncée par la Première ministre lors des Assises des départements à Strasbourg (voir notre article), le lancement officiel aurait lieu fin 2023 ou au plus tard "tout début 2024", précise Matignon. Le calendrier de travail sera "resserré" ("quatre à six mois") pour aborder "les difficultés les plus fortes de la protection de l’enfance".

Jeunes majeurs : "un coup de pouce" de 1.500 euros versé automatiquement aux 18 ans

Afin d’appuyer la mise en œuvre de l’accompagnement des jeunes majeurs prévu par la loi Taquet de 2022, le gouvernement a mandaté la mission d’appui de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour réaliser un état des lieux des pratiques des départements et des établissements et identifier des "bonnes pratiques" à diffuser.

Élisabeth Borne présente les contours d’un nouveau "pack autonomie jeunes majeurs" composé de plusieurs formes de soutien. Du fait d’un non-recours important, le pécule financier attribué jusqu’à présent aux jeunes majeurs (voir notre article) sera remplacé par "un coup de pouce" de 1.500 euros qui sera versé automatiquement – selon des modalités qui restent encore à définir – lors du passage à la majorité. Le gouvernement entend également généraliser le mentorat au bénéfice des jeunes majeurs et organiser chaque année, dans tous les départements, une cérémonie pour les jeunes de l’ASE ayant eu 18 ans.

Lors du CIE, le gouvernement a abordé également les sujets de la protection des enfants en ligne (voir notre article), de la participation démocratique des jeunes et de l’outre-mer. Des efforts seront portés pour améliorer le fonctionnement des services d’ASE et de PMI à Mayotte et pour déployer la politique des 1.000 premiers jours et de nouvelles solutions d’accueil des jeunes enfants dans les départements d’outre-mer. 

  1. Étaient présents autour d’Élisabeth Borne : Charlotte Caubel (Enfance), Gérald Darmanin (Intérieur), Gabriel Attal (Éducation nationale et Jeunesse), Olivier Dussopt (Travail et Insertion), Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires), Jean-Noël Barrot (Numérique), Olivier Véran (Renouveau démocratique), Bérangère Couillard (Egalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations), Philippe Vigier (Outre-mer), Agnès Firmin Le Bodo (Organisation territoriale et Professions de santé), Fadila Khattabi (Personnes handicapées), Sabrina Agresti-Roubache (Ville et Citoyenneté), Prisca Thevenot (Jeunesse et SNU).
  • Rapport de la Ciivise : 30.000 témoignages et un appel à "sortir du déni"

"160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques." Au terme de trois ans de travaux, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a remis son rapport le 17 novembre 2023. Sous différentes formes (mails et courriers, appels téléphoniques, questionnaires en ligne, prises de parole lors de réunions publiques et auditions individuelles), 30.000 témoignages ont été recueillis par la commission pluridisciplinaire, sur ces violences sexuelles qui concerneraient, selon le gouvernement, 160.000 enfants chaque année. La conclusion de cette commission pluridisciplinaire : le déni de ces violences constitue une erreur de la société tout entière. 

"Dans 81% des cas, l’agresseur est un membre de la famille" et "dans un peu plus d’un cas sur 10 (11%), les violences sexuelles sont commises dans un cadre institutionnel par un adulte, le plus souvent", selon le rapport. "Le plus souvent, l’enfant est cru mais n’est pas protégé", peut-on lire encore. En outre, "une plainte n’est déposée que dans 19% des cas et 12% dans les cas d’inceste" et, selon des données de la Justice, "seule une plainte sur six pour viol ou agression sexuelle sur mineur aboutit à la condamnation de l’agresseur et une sur 10 en cas d’inceste"

Pour "sortir du déni", la Ciivise formule des préconisations sur le repérage des violences sexuelles, leur traitement judiciaire, la "réparation incluant le soin" et la prévention. La dernière préconisation est de "maintenir la Ciivise", pour permettre de continuer aux victimes de témoigner. La Commission devrait continuer à exister avec "une nouvelle feuille de route", a déclaré la secrétaire Charlotte Caubel, dans une interview publiée dans le JDD du 19 novembre. La Ciivise pourrait voir ses missions élargies aux sujets de la pédocriminalité, de l’accès à la pornographie ou encore de la prostitution des mineurs.