Quand Shein arrive en ville... tout le monde change de trottoir

L’annonce de l’ouverture prochaine de six boutiques du géant du commerce en ligne Shein à Paris et en province a provoqué une onde de choc chez les élus qui se désolidarisent de cette opération. C’est aussi le cas de la Caisse des Dépôts qui travaille actuellement à la création d'une foncière immobilière avec la SGM, l’exploitant du BHV, à Paris, où Shein a décidé de s’implanter

Quelques mois après avoir fait polémique en ouvrant une boutique éphémère dans le centre de Dijon (voir notre article), la plateforme de commerce en ligne Shein voit plus grand, avec un véritable plan de conquête des centres-villes. Mercredi, le groupe chinois et la Société des grands magasins (SGM) ont en effet annoncé une alliance visant à ouvrir six boutiques "en dur", l’une occupant tout le sixième étage du BHV, magasin phare du centre parisien, d’ici au mois de novembre, et cinq autre avant la fin de l’année dans cinq Galeries Lafayette en province, à Angers, Limoges, Dijon, Reims et Grenoble. Sachant que ces magasins de province sont aujourd'hui gérés en franchises par la SGM. Une annonce qui intervient alors que le prêt-à-porter en centre-ville est au plus mal, de nombreuses enseignes ayant fait faillite ces derniers mois (Camaïeu, Pimkie, Kookaï, Burton of England, Jennifer ou Naf Naf), notamment sous l’effet de la concurrence de ces plateformes qui cassent les prix. À la base du succès de Shein : un système de production à la demande grâce à la gestion des données clients, qui permet d’éviter les stocks.

Symbole de "l’ultra fast fashion" critiquée sur tous les tons, mais adulée par les jeunes consommateurs, le géant dont le siège est à Singapour et le siège européen en Irlande a voulu apporter des garanties. "C’est tout un écosystème qui sera valorisé et cela créera de l’emploi. Nous contribuons ainsi au renouveau des centres-villes historiques de France et à la préservation de l’héritage durable du commerce français", a promis Donald Tang, président exécutif de Shein, dans les colonnes du Figaro.

"Profond désaccord"

Quand bien même, cette annonce – présentée comme une première mondiale pour le groupe - a entraîné une levée de boucliers. Mercredi, les Galeries Lafayette (qui ne sont donc plus l'exploitant des magasins visés) ont exprimé "leur profond désaccord avec cette décision au regard du positionnement et des pratiques de cette marque d’ultra fast fashion qui est en contradiction avec leur offre et leurs valeurs" et annoncé qu’elles feraient tout pour empêcher sa mise en oeuvre. Le lendemain, la Caisse des Dépôts, qui étudie en ce moment la mise en place d’une foncière entre la Banque des Territoires et la SGM, a, elle aussi, pris ses distances. Le groupe a indiqué, dans un communiqué, qu’il n’avait "jamais été informé des projets commerciaux de la SGM avec l'entreprise Shein avant les informations parues dans la presse" et qu’il n’y est "pas favorable". Toute décision d’investissement de la Caisse des Dépôts et de ses filiales est "strictement conditionnée au respect des valeurs qui fondent notre action : soutenir une économie responsable et de proximité, favoriser la transition écologique et accompagner les collectivités locales et les acteurs de terrain dans leurs projets à impact positif", souligne-t-elle, précisant que le projet de foncière immobilière (dont la SGM resterait majoritaire) "ne concerne en aucun cas ce partenariat commercial". Entamée au mois de juin, les discussions visent à permettre l’acquisition des murs du BHV toujours propriété des Galeries Lafayette. L’opération s’inscrit "dans un projet de transformation durable de l’actif, visant à conforter les commerces de proximité au cœur de Paris".

Le désarroi des élus

Du côté des élus, c’est le désarroi qui domine. Ainsi du maire de Limoges, une ville qui participe actuellement au programme de revitalisation Action cœur de ville. Émile Roger Lombertie explique sur le réseau X avoir appris cette annonce "par voie de presse". "Aucune réglementation ne prévoit une consultation ou autorisation préalables de la mairie dans ce type de projet", semble-t-il se défendre auprès de ses administrés. Il n’est pas du pouvoir d’un maire d’interdire l’implantation d’un commerce "en dehors d’exceptions très encadrées", souligne-t-il, appelant à la "responsabilité des consommateurs". Ce sont également les arguments qu’avait fait valoir la maire de Dijon, Nathalie Koenders, au mois de juin, quand Shein avait ouvert sa boutique éphémère. "Il ne s’agit pas de stigmatiser les clients qui parfois ne peuvent pas faire autrement que de consommer à très bas coût, mais de questionner collectivement nos modes de production et de consommation", avait-elle cependant nuancé, précisant que Shein n'est que "l’un des symboles d’un système plus large : celui de la fast fashion et de la surconsommation, aux lourdes conséquences sociales et environnementales".

"Shein fait le choix de s’installer à Angers. Mais en aucun cas Angers n’a fait le choix de Shein !", s’est aussi défendu le maire d’Angers, Christophe Béchu, ex-ministre de la Transition écologique qui avait soutenu la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite loi "anti-fast-fashion". "Nous ne voulons pas à Angers d’un modèle qui épuise les ressources naturelles. (…). Angers fait le choix de défendre le commerce de proximité et la qualité des produits vendus", affirme-t-il.

Une lente riposte

Le patron de Shein esquive ces accusations et estime que ses magasins serviront de locomotives pour les autres marques et les quartiers alentours. Mais pour le député LR Antoine Vermorel-Marques, "derrière ces beaux lieux symboliques, Shein tente surtout de s’acheter une bonne réputation". Selon lui, le problème reste le même : "une production qui ne respecte pas nos normes sociales, sanitaires et environnementales, des produits bas de gamme et non recyclables qui inondent notre marché, et un modèle qui fragilise nos commerces en centre-ville", s’indigne-t-il sur son compte Linkedin. 

En France, premier marché à l’international pour le groupe chinois, la riposte contre la mode éphémère se met lentement en place avec cette proposition de loi déjà adoptée par l’Assemblée en mars 2024 et par le Sénat en juin dernier. Elle vise à obliger les plateformes à sensibiliser les consommateurs sur l’impact environnemental des produits, renforce le mécanisme des "écocontributions", sortent de pénalités appliquées aux pratiques les moins durables, et pose le principe d'une interdiction totale de la publicité pour les produits concernés. Enfin, les sénateurs ont ajouté une taxe sur les petits-colis de ces plateformes, aujourd’hui exonérés de droits de douane, dans des montants (2 à 4 euros) qui, toutefois, risquent de s’avérer peu dissuasifs.

Mais la mise en œuvre de la proposition de loi risque de prendre encore du temps. Faute d’accord entre les deux chambres, elle doit passer en commission mixte paritaire, en attendant les futurs décrets d’application. Plusieurs députés, dont Antoine Vermorel-Marques, ont écrit au Premier ministre pour lui demander de convoquer rapidement la CMP.  Il faudra cependant aussi compter avec les écueils du droit européen. Hasard du calendrier, la Commission européenne a transmis au gouvernement, le 29 septembre, son avis sur le texte, dévoilé mercredi par Les Echos. Si elle en valide le principe général, elle estime que l’interdiction de la publicité contrevient aux règles européennes sur le e-commerce.

 

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