Fermetures de commerces : les élus demandent une réponse urgente

La ministre chargée du commerce Véronique Louwagie a réuni "acteurs économiques, élus locaux et réseaux consulaires" à Bercy, mardi 8 juillet, pour réfléchir aux "mutations des commerces en centre-ville".  L’objectif : trouver de nouvelles solutions alors que la situation du commerce de centre-ville se dégrade rapidement, sous les coups de boutoir des plateformes asiatiques et l'effet des nouveaux modes de consommation. Pour les élus, notamment les maires de villes moyennes, il est urgent d’agir.

Signe des temps, fin juin, la plateforme asiatique Shein ouvrait pour dix jours une boutique éphémère en plein centre de Dijon en proposant "une expérience immersive à ses clients autour d'un message fort : la mode doit être accessible à toutes et tous".  De quoi provoquer une levée de boucliers des commerçants et de la maire de la ville Nathalie Koenders. "Les méthodes de production de cette marque vont à rebours des combats essentiels que nous devons mener", avait protesté l’édile, sur Facebook. Car depuis quelques mois, cette plateforme comme d’autres (Alibaba ou Temu), est accusée de servir de cheval de Troie pour inonder le marché européen à coups de promotions sur les réseaux sociaux. L’"atelier du monde" est en passe de devenir la "boutique du monde", se passant désormais des plateformes plus anciennes telles qu’Amazon. 

"Leur arme fatale, c’est surtout le régime des franchises douanières de l’Union européenne (règlement CE 1186/2009), qui affranchit de droits à l’importation les biens de moins de 150 euros, ce qui exonère de facto tous leurs colis de ces frais, leur valeur étant systématiquement moindre", analysait le député européen S&D Pierre Jouvet, fin 2024, dans une note pour la fondation Jean Jaurès. Or le président de Villes de France, Gil Avérous, mettait en garde, dans Localtis, au mois de mai, contre un report possible vers l'Europe des produits destinés aux Etats-Unis, après les taxes américaines contre les importations chinoises (voir notre article du 7 mai). Mais pendant ce temps, les déconvenues s’enchaînent pour les grandes enseignes du prêt à porter. Hier Camaïeu, Pimkie, Kookaï, Burton of England, aujourd’hui Jennifer ou Naf Naf… On ne compte plus les liquidations judiciaires. Celles que l’on qualifiait de "locomotives" des centres-villes sont à bout de souffle. "Depuis de nombreux mois, nous n’avons cessé d’alerter le gouvernement sur les difficultés rencontrées par nos commerçants de centre-ville (…) Manifestation la plus visible et massive : la fermeture des grandes enseignes d’habillement et du textile partout en France, qui déséquilibre structurellement nos centres-villes", alerte Villes de France, dans une résolution adoptée lors de son congrès de Libourne, le 4 juillet. "Il est d’une absolue nécessité d’agir avant qu’il ne soit trop tard", martèle-t-elle. 

La vacance commerciale passée de 6 à 14% depuis 2010

Enfin, le gouvernement semble prendre la mesure du problème. La ministre chargée du Commerce, de l’Artisanat, des PME et de l’ESS Véronique Louwagie a réuni "acteurs économiques, élus locaux et réseaux consulaires" à Bercy, mardi 8 juillet, pour réfléchir aux "mutations des commerces en centre-ville". "En 2024, le taux de vacance commerciale dans les rues marchandes atteint 14%, contre 6% en 2010", indique le ministère, jugeant le niveau "critique". Et le premier semestre 2025 ne s’est pas amélioré. Au mois de juin, la fréquentation des points de vente a diminué de 4,3% par rapport au même mois l’année dernière, avec un chiffre d’affaires en recul de 3,2%, selon la fédération du commerce spécialisé Procos qui pointe "la pire évolution mensuelle depuis début 2025". 

"On vit une mutation du commerce extrêmement rapide et déstabilisante, les fondamentaux sont en train de changer : on assiste à des ruptures technologiques en même temps que des changements dans les modes de vie et de consommation, auxquels s’ajoutent les difficultés d’achat de nos concitoyens, et des éléments de contexte international, avec le poids de la Chine et la montée en puissance des plateformes", constate Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne) et vice-présidente de Villes de France. Si la vacance commerciale dans les centres des villes moyennes avait commencé à se redresser entre 2016 et 2020, sous l'effet notamment des mesures prises dans le cadre du programme Action Coeur de ville (ACV), elle s'est inversée avec l'extinction de certains dispositifs nationaux (Fisac, cofinancement des managers du commerce...) et le renversement de conjoncture. "Le covid, les effets de la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l'énergie qui a impacté tous les métiers de bouche, l'inflation engendrant un réflexe d'épargne... les commerces se sont tout pris à la vitesse d'un TGV", poursuit l'élue. 

"Un plan social de 50.000 personnes"

Selon, elle, les changements d’habitudes de la "génération Z" sont également à prendre en compte. Les jeunes se détournent des boutiques pour passer commande depuis leur téléphone, et "leurs achats évoluent de plus en plus des biens vers les services". Ce qui se traduit pas une "explosion des salles de sport", de "réalité virtuelle"... "Ils recherchent plus les loisirs et les moments vécus que les biens", analyse-t-elle. Tout cela doit conduire à changer de modèle, traiter des locaux qui ne sont plus adaptés. Si elle juge "extrêmement intéressantes", les foncières de redynamisation portées par la Banque des Territoires, les effets ne seront "pas immédiats". "Ces sujets prioritaires vont mobiliser beaucoup d'argent dans le mandat qui arrive", anticipe-t-elle. Dans leur résolution, les maires de villes moyennes demandent de poursuivre le programme ACV qui arrive à son terme en 2026. L'absence de François Bayrou à leur congrès n'a pas permis de connaître la position du gouvernement sur le sujet.

Frédérique Macarez s’est récemment vu confier, avec Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires et Dominique Schelcher, PDG de Système U, une mission sur l’avenir du commerce de centre-ville et dans les quartiers prioritaires (voir notre article du 28 mai). Leurs recommandations sont attendues en septembre. "Ce qui se passe, c’est l’équivalent d’un plan social de 50.000 personnes, sans que réellement il n’y ait eu une réaction au plan gouvernemental. Enseigne après enseigne, on assite à un délitement", déplore-t-elle.

La maire de Saint-Quentin était présente, mardi, à Bercy où Véronique Louwagie a commencé à égrainer des solutions encore timides. La ministre entend par exemple lancer une consultation pour élaborer une "charte de la ville commerçante" d’ici la rentrée. A travers cette charte, les futures communes signataires pourront s’engager avec les associations commerçants sur des sujets tels que la sécurité, l’accessibilité, l’emploi, l’urbanisme ou la "gouvernance locale du commerce". Les chambres de commerce s’engageraient aussi à financer des postes de managers du commerce (ce qui laisse les élus sceptiques vu les capacités financières des chambres après des années de coupes dans les budgets). Par ailleurs, une expérimentation sera lancée à l’automne pour "mettre à disposition temporairement des cellules vacantes dans les communes au profit de fabricants et artisans locaux", au moment du "mois de l’achat français" qui devrait se tenir en novembre pour inciter les consommateurs à acheter français. 

Vers une révision de la taxe sur les friches commerciales

Mais surtout, Véronique Louwagie a accédé à l'attente forte des maires : le "lancement de travaux afin de simplifier et optimiser la taxe sur les friches commerciales (TFC)". Cette taxe sur les locaux commerciaux vacants existe depuis 2008. Elle visait à l’origine à inciter les propriétaires à accélérer le retour d’une activité commerciale, mais elle se trouve aujourd'hui bien peu dissuasive. Notamment pour les grandes foncières qui ont tout intérêt fiscalement à laisser des locaux vacants pour constituer du déficit. "Je ne connais pas un maire qui n’ait connu d’exemple de ce type", affirme Frédérique Macarez. Autre phénomène pointé par les élus : la flambée des loyers des grandes majors de l’immobilier commercial qui ne correspondent plus à la capacité financière des enseignes. Les maires souhaiteraient enfin avoir leur mot à dire dans l’attribution des locaux, alors que certaines activités servent de paravent pour l’économie souterraine. Certes, la loi "narcotrafic" qui vient d’être votée a prévu de s’attaquer au problème en donnant au préfet la possibilité d’ordonner une fermeture administrative pendant six mois (voir notre article du 16 juin). Mais de telles opérations demandent de "mobiliser d’importants moyens de l’Etat pendant plusieurs mois", fait valoir l’élue, alors que la réponse doit être urgente.

S’agissant des plateformes, le 20 mai, la Commission européenne a annoncé vouloir mettre en place une taxe de deux euros sur les petites commandes, répondant ainsi à une requête de la France qui, quelques jours plus tôt, avait suggéré une taxe sur les frais de gestion et non sur les droits de douane, afin de ne pas pénaliser les consommateurs. Une mesure transitoire avant la réforme de l’Union douanière annoncée pour 2028 qui mettrait fin à l’exemption douanière pour les colis de moins de 150 euros. Sauf que la mesure, d'un montant ridicule, ne serait pas mise en œuvre avant 2026. "On est complètement à côté de la plaque", avait sèchement réagi le président de la CPME Amir Reza-Tofighi, devant la délégation aux entreprises du Sénat. Cette réponse est "inadaptée", abonde Frédérique Macarez, rappelant la proposition du patron de Carrefour Alexandre Bombard de taxer "100% de la valeur des colis". Les élus attendent aussi des propositions d’évolution règlementaire, sachant que, d'après le gouvernement, 94% des produits contrôlés en provenance de ces plateformes son nont conformes aux normes sociales et environnementales. "Le temps joue contre nous, soupire Frédérique Macarez. Chaque fois qu’on attend, le secteur est de plus en plus en difficulté."

 

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