Référé "mesures-utiles" : le juge peut enjoindre au titulaire de continuer d'exécuter le marché
Dans un arrêt du 25 juin 2018, le Conseil d’Etat a prononcé, dans le cadre d’un référé "mesures-utiles", une "obligation de faire" à l’encontre d’un cocontractant de l’administration. Il a enjoint au titulaire du marché de continuer à exécuter ses prestations jusqu’à ce que le juge statue au fond.
En l’espèce, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) avait conclu un marché public tendant à la mise en place d’une application informatique de type progiciel avec la société GFI Progiciels. La société s’engageait notamment à fournir plusieurs catégories de licences aux agents de l’Ademe. Au cours de la phase de conception et d’installation du progiciel, la société a décidé de modifier la répartition des catégories de licence. Cette nouvelle réparation ne s’est finalement pas révélée adaptée et la société informatique a donc augmenté le nombre de licences dites "utilisateurs complets". Ce rééquilibrage des catégories de licences a entraîné un surcoût de 371.000 euros mais l’Ademe a refusé de le prendre en charge, estimant qu’il s’agissait d’une erreur de conception de la part de la société titulaire. La situation s’est alors compliquée, la société annonçant à l’acheteur qu’en l’absence de régularisation de paiement, elle supprimerait un certain nombre d’accès au plus tard le 31 janvier 2018. Sans réponse de la société au 12 janvier, l’Ademe a décidé de saisir le juge du référé "mesures-utiles" du tribunal administratif (TA) de Nantes. Sa demande tendait à ce que le juge enjoigne à la société de maintenir jusqu’au terme normal ou anticipé du marché "l’ensemble des licences nécessaires pour répondre aux besoins des profils d’utilisateurs contractuels, sous astreinte de 20.000 euros par jour de suppression". Suite au rejet de sa demande, l’Ademe a saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.
Le Conseil d’État a tout d’abord rappelé les règles selon lesquelles il pouvait, dans le cadre d’un référé " mesures-utiles ", intervenir dans l’exécution d’un marché public. Ce pouvoir ne lui est consenti que " si l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle ". En outre, la personne publique doit aussi démontrer qu’elle se trouve dans une situation d’urgence. Le juge des référés pourra alors " prendre à a titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement ".
Le TA de Nantes avait refusé de faire droit à l’injonction requise par l’Ademe, cette demande ne revêtant pas un caractère provisoire. La demande principale avait effectivement pour objet de contraindre la société informatique à maintenir l’ensemble des licences nécessaires jusqu’au terme du marché. Si le juge avait fait droit à cette demande, cela revenait à forcer les parties a exécuter leurs obligations jusqu’au bout, ce qui n’a rien de provisoire. Le Conseil d’État a toutefois annulé cette ordonnance, faute pour le TA de ne pas avoir statué sur les demandes secondaires de l’Ademe. En effet, cette dernière demandait à titre subsidiaire que cette même injonction soit prononcée seulement " jusqu’à ce que le juge du fond statue ".
Dès lors, les juges de cassation ont examiné cette demande subsidiaire. Ils ont estimé que la restriction de l’utilisation du progiciel, ce dernier constituant " l’unique outil comptable, budgétaire et achats de l’Ademe " et permettant ainsi aux agents d’exercer leurs missions quotidiennes, portait une atteinte immédiate au bon fonctionnement de cette administration. Au vu de l’urgence de la situation, le Conseil d’État a donc enjoint à la société de maintenir l’ensemble des licences nécessaires jusqu’à ce que le juge du fond statue. Il n’a en revanche pas estimé nécessaire de prononcer une astreinte.
Référence : CE, 25 juin 2018, n° 418493