Régions de France demande une délégation intégrale de l'orientation

Les dernières Rencontres interrégions de l'orientation, à La Rochelle, ont été l'occasion de mettre en avant l'amélioration des relations entre les conseils régionaux et l'Éducation nationale. Mais devant des points noirs persistants, les régions demandent une délégation intégrale de la compétence orientation. 

Le ton a changé. À propos de leurs relations avec l'État dans le cadre de la loi du 5 septembre 2018 qui leur a attribué une partie de la compétence de l'orientation, les régions ne sont plus sur la défensive. Lors des quatrièmes Rencontres interrégions de l'orientation, tenues à La Rochelle le 12 novembre 2025, François Bonneau, président de la commission éducation-orientation-formation-emploi de Régions de France, a affirmé d'emblée que les régions étaient engagées dans "une forme de collaboration" par rapport à un passé où l'"on était véritablement dans une confrontation". "Alors que l'Éducation nationale était sur le frein par rapport à l'intervention des régions, ajoute le président de Centre-Val-de-Loire, aujourd'hui, les rectorats, les établissements, les enseignants, les acteurs de l'orientation baissent progressivement leur niveau de prévention par rapport à ce que nous apportons, et on a, au contraire, des actions communes". Pour Jean-Louis Nembrini, vice-président de la Nouvelle-Aquitaine chargé de l'éducation, "la glace est brisée et on reconnaît les compétences des uns et des autres".

Parmi les sujets de satisfaction, on note d'abord que le transfert de la compétence orientation aux régions a évité l'écueil de l'inégalité territoriale. "Quand les régions ont pris la responsabilité sur le patrimoine des lycées lors de la première décentralisation, pointe François Bonneau, un certain nombre de républicains sincères se sont dit que la France allait être complètement fracturée. Or après dix ou vingt ans, les régions, et l'ensemble des départements s'agissant des collèges, ont porté la responsabilité bien au-delà des moyens qui leur ont été donnés pour le faire et le niveau moyen de tous les établissements a largement progressé. C'est la même chose quand on parle d'orientation. Il faut chasser de nos têtes le fait qu'avec la diversité des approches et des moyens, on fracture."

Quand les régions innovent

À côté des relations avec l'Éducation nationale, les représentants des régions se félicitent aussi des nombreuses réussites dont ils sont à l'origine. Willy Bourgeois, vice-président de Bourgogne-Franche-Comté chargé des lycées, estime que la région a su, en matière d'orientation, "apporter de la politique différenciée sur les territoires selon les bassins de vie, que l'on soit en quartier prioritaire de la ville, en zone rurale, que l'on ait des bassins d'emploi tendus ou au contraire avec des taux de chômage importants". 

Parmi les réalisations mises en avant, les responsables régionaux vantent ces évènements, fruits du volontarisme politique, qui font du sur-mesure pour chaque territoire. En Bourgogne-Franche-Comté, le salon Explore demain, adossé à la compétition des World Skills pour mieux faire adhérer les jeunes, a reçu 7.000 visiteurs la première année, le double un an plus tard. Un salon des métiers fait par et pour les jeunes, c'est aussi le choix de l'Occitanie. Cette région a par ailleurs mis en place, en s'appuyant sur sa compétence économique, une plateforme pour que ses entreprises proposent jusqu'à 10.000 offres de stage aux élèves de troisième. En Centre-Val-de-Loire, le salon Made in Val-de Loire permet de découvrir concrètement la production industrielle tandis que d'autres rendez-vous, plus petits, mettent les projecteurs sur ce que l'on a sous les yeux sans le voir : "On travaille sur des territoires très ruraux, et pour certains, c'est assez difficile de venir dans les plus grands salons, explique François Bonneau. On s'interrogeait sur les villages-entreprises, en se disant que les élèves allaient être d'une certaine manière enfermés, qu'ils ne verraient que les métiers autour d'eux. Mais ces métiers autour d'eux, ils les connaissent absolument pas." 

Quand l'État ne partage pas

Malgré ces progrès unanimement reconnus, les participants aux rencontres de La Rochelle ont tout aussi unanimement convenu que le chemin était encore long pour parvenir au plein exercice de la compétence orientation. "On peut mieux faire", a résumé Willy Bourgeois, qui concentre ses critiques sur l'Éducation nationale : "L'État est très intéressé quand il a des idées et a besoin de moyens financiers. Il sait alors se tourner vers la collectivité régionale. Mais à l'inverse, il sait aussi ne rien partager avec nous." Un sentiment partagé par Jean-Louis Nembrini. Cet ancien inspecteur général de l'Éducation nationale reconnaît que "l'État n'a pas l'habitude de travailler autrement que par instruction, par circulaire, par modalité venant d'une organisation hiérarchique". Parmi les points noirs, il y a le pilotage de l'orientation, "encore mal identifié", qui crée de la confusion chez ceux qui devraient bénéficier des actions d'orientation et des doublons chez ceux qui devraient les accompagner. 

À La Rochelle, le doublon à faire sauter en priorité a été pointé du doigt : l'Onisep (Office national d'information sur les enseignements et les professions). "En 2018, les moyens de l'Onisep avaient été transférés en grande partie aux régions, s'insurge Jean-Louis Nembrini. Le phénix revient et on a Parcours Avenir(s) [plateforme nationale mise en œuvre par l'Onisep en 2024, ndlr]. Autrement dit, c'est du gaspillage d'argent public et c'est un défi à la confiance." François Bonneau abonde dans ce sens : "Sur l'Onisep, on a demandé la responsabilité des outils, ça nous a été refusé dans les faits."

Des enseignants hors de portée

Autre "échec cuisant", toujours selon Jean-Louis Nembrini, la capacité des régions à former les enseignants. Voire même à leur parler. Car si François Bonneau reconnaît qu'il lui a fallu des années pour pouvoir s'adresser aux principaux de collège, Kamel Chibli, vice-président de l'Occitanie chargé de l'éducation, déplore aujourd'hui ne pas avoir la capacité de s'adresser à des professeurs principaux, censés assurer la coordination et le suivi de l'orientation des élèves. Ce manque d'accès au corps enseignant est d'autant plus problématique que "les régions s'emparent de la pédagogie de l'orientation", selon Jean-Louis Nembrini. Pourquoi ? "Par volontarisme politique, répond Kamel Chibli. La région ne s'est pas résolue à s'occuper uniquement de ses compétences classiques. Elle a toujours fait au-delà parce qu'il y avait des difficultés dans le territoire". 

Parmi ces sujets : mettre en adéquation l'orientation des jeunes avec les besoins locaux, par exemple en redorant l'image de certaines filières, à commencer par l'industrie. "Il n'y a pas d'orientation s'il n'y a pas derrière une préoccupation territoriale, plaide Jean-Louis Nembrini. Et la préoccupation territoriale, en redevenant adéquationniste, c'est l'industrie telle qu'elle vit sur les territoires et telle qu'elle se projette. Quand la fonderie Ucelia, à Ussel, souffre de ne pas pouvoir embaucher, que faut-il faire ? Nous avons organisé à Ussel une conférence territoriale, nous avons mis tout le monde y compris les jeunes autour de la table, pour voir ce qu'il était nécessaire de faire en matière de carte des formations, parce que nous ne pouvons pas dissocier la question de l'orientation et la question de la carte des formations." Mais ce qui est vrai à Ussel, est différent en Bourgogne-France-Comté : "La région est à la confluence des décisions de l'État, des filières stratégiques au sein de chacune des régions et des PME locales, qui ne s'inscrivent pas forcément dans des filières stratégiques, illustre Willy Bourgeois. Chez moi, j'ai une ville très concentrée sur la filière lunettes, une commune qui a beaucoup d'entreprises sur la filière du jouet, une autre sur l'horlogerie. Ce sont des filières peut-être intimistes mais qui ont des perspectives de développement économique. Et de ce fait-là, c'est bien la région qui par son chef-de-filât en matière de stratégie économique est à la confluence des politiques d'orientation."

Aller plus vite et plus loin

On l'a compris, si le temps est à la détente entre l'État et les régions en matière d'orientation, les points à améliorer ne manquent pas. Régions de France n'est d'ailleurs pas venue les mains vides à La Rochelle. À l'heure des vœux, ses représentants étaient unanimes : il faut aller plus vite et plus loin sur le transfert de compétences. L'association a donc proposé au Premier ministre de déléguer aux conseils régionaux la compétence de l'orientation dans le cadre du nouvel acte de décentralisation. "Cette délégation intégrale de l'orientation aux régions aura pour premier objectif de structurer l'offre de service local aux jeunes, aux familles et aux établissements. Elle s'appuiera sur les acteurs économiques que les régions, compétentes sur le développement économique, sont les mieux placées pour mobiliser", explique Régions de France. Cette structuration pourrait notamment prendre la forme de maisons de l'orientation. Ces "guichets uniques pour l'orientation tout au long de la vie à l'échelle des bassins de vie" pourraient prendre appui sur le maillage des centres d'information et d'orientation (CIO). Enfin, les régions demandent la mise à disposition des personnels et des moyens budgétaires des CIO, de l'Onisep, des bureaux des entreprises des lycées professionnels et des personnels en charge des comités locaux école-entreprise (CLEE). La réponse du gouvernement à cette demande confirmera – ou non – que les relations entre régions et Éducation nationale ont franchi un cap en matière d'orientation. 

 

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