Salon du Made in France : vifs échanges entre deux anciens ministres de l'Industrie sur l'Europe
Trop de directives, de normes, une commande publique trop restrictive… L'Europe est-elle un atout ou un frein pour le développement des produits français ? C'est la question qui a été posée à l'occasion du Salon du Made in France au moment où les relations commerciales se tendent un peu partout. Les anciens ministres de l'Industrie Arnaud Montebourg et Roland Lescure ont défendu deux visions radicalement différentes.

© @RolandLescure/ Table ronde au salon du "Made in France" en présence de Roland Lescure et Arnaud Montebourg
Malgré un afflux de visiteurs toujours plus nombreux, la douzième édition du Salon du Made in France s'est refermée le 11 novembre, porte de Versailles, à Paris, sur une note pessimiste. Si le gouvernement se targue de bons chiffres sur les ouvertures d'usines (voir notre article du 7 novembre), on ne peut pas dire que la situation se reflète sur la balance commerciale. Au troisième trimestre, le solde commercial s'est encore détérioré de 0,6 milliard d'euros par rapport au deuxième trimestre, selon les chiffres des Douanes. Une dégradation "principalement due aux produits manufacturés et, dans une moindre mesure, aux produits agricoles, alors que le solde de l’énergie est en hausse". Pire, la part du Made in France dans les produits achetés par les Français eux-mêmes ne cesse de dégringoler : elle a perdu 44 points entre 1965 et 2019, passant de 82% à 38% d'après l'Insee. Alors, l'Europe est-elle "un frein ou un atout pour le Made in France" ? C'est la question posée lors d'une table ronde organisée dans le cadre du salon, au cours de laquelle deux anciens ministres de l'Industrie ont confronté des visions opposées.
"On est dans une situation d'alarme, d'urgence", a clamé l'ancien ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, affublé d'une chasuble "Bleu blanc ruche", du nom de la marque de miel 100% français qu'il a lui-même créée. "Nous sommes la déesse de l'amour, Vénus, pendant que les autres nous font la guerre. Ils sont Mars (...). Les Chinois, les Américains n'ont rien à faire de notre gentillesse", a-t-il poursuivi avant de tancer la politique de l'Union européenne et le poids des normes. "Il y a au moins cinquante directives par an, personne n'arrive à suivre et à digérer cela, s'est-il exclamé, on a besoin d'une réduction de la tension normative et d'une augmentation de la pression agressive contre les autres pays." "A l'heure actuelle, l'Europe en est à la guerre de 14 alors que les autres en sont à la Troisième Guerre mondiale sur ce plan. Nous sommes en retard de deux guerres. On est attaqué partout et on ne se défend pas", a-t-il poursuivi en face de l'ancien ministre délégué à l'Industrie Roland Lescure qui s'est efforcé de défendre le bilan de ces sept années et le "changement de philosophie" de l'Union européenne. "L'Europe a été un frein, c'est aussi un accélérateur phénoménal, parce qu'elle donne accès à un marché qui est le plus grand du monde", a-t-il dit, concédant le besoin d'une "pause normative".
"On a la religion de la loi européenne"
Et Roland Lescure d'affirmer : "J'ai la conviction que la réélection de Donald Trump va servir de 'wakeup call' à des gens qui n'ont pas épousé l'idée qu'une politique industrielle européenne est le seul moyen de pousser l'Europe vers l'avant."
De quoi faire bondir Arnaud Montebourg. "Regardez ce qui nous arrive. L'automobile allemande est en bas. Le gouvernement allemand explose là-dessus", s'est-il emporté. Dans l'automobile française, "les boîtes les plus saines voient le cash qui est en train de fondre, on sait qu'on va perdre 40.000 emplois dans les années qui viennent. Alors on va entendre parler de Valéo, de Michelin... Mais dessous, c'est une boucherie. On a un record de faillites devant les tribunaux de commerce". Or, selon lui, "l'électricité en est la première cause", parce qu'"on a obéi aux règles stupides du marché européen que défend monsieur Lescure", "parce qu'on a la religion de la loi européenne".
Pour Roland Lescure au contraire, "si on n'avait pas eu le marché européen [de l'électricité] on se serait trouvé avec des prix bien plus élevés". Même s'il reconnait un problème de compétitivité face aux Etats-Unis dans ce domaine. Il s'est félicité à cet égard des propositions du rapport de Mario Draghi visant à mobiliser "600 milliards d'euros d'investissement pour décarboner l'industrie traditionnelle, pour faire du Made in Europe dans l'industrie de demain". Rapport qui plaide aussi pour une harmonisation juridique et une simplification administrative (voir notre article du 10 septembre). "Il est génial le rapport de Mario. Mais moi je ne veux pas un rapport, je veux une politique, je veux des mesures, je veux des décisions", a martelé en retour Arnaud Montebourg. "Nous sommes le déversoir de la tenaille Chine-Amérique et nous allons en être les premières victimes", a-t-il alerté. Mais "méfiez-vous de nos amis européens, on n'a pas besoin d'ennemis", a-t-il lancé.
"90% de la viande dans les cantines scolaires est importée"
Le débat a ensuite glissé, en l'absence d'Arnaud Montebourg, sur le rôle de la commande publique qui ne permettrait pas de promouvoir la production tricolore. Roland Lescure a pris le contrexemple de Carelide, dernier fabricant français de poches de perfusion qui a failli fermer l'an dernier. Après avoir passé "100 coups de fils", Bercy a fini par trouver un repreneur l'an dernier. Mais le gouvernement a demandé en échange que les hôpitaux et les acheteurs publics se fournissent chez lui "pendant trois ou quatre ans, le temps de redresser la boîte de manière à ce qu'elle retrouve sa compétitivité et puisse réinvestir". "On peut montrer par l'exemple qu'on a été capable de changer ça, y compris vis-à-vis du droit de la concurrence."
Interrogé par Natacha Polony, directrice du magazine Marianne, partenaire du Salon du Made in France, sur l'absence de formation de l'ensemble des fonctionnaires pour réorienter la commande publique, Roland Lescure a déclaré au contraire avoir "réuni les acheteurs publics l'an dernier". "Nous leur proposons des labels et ils achètent de plus en plus français", a-t-il assuré. En mars 2024, l'ancien ministre, en association avec Thomas Cazenave, alors ministre délégué chargé des Comptes publics, avait en effet réuni les secrétaires généraux des ministères et les responsables ministériels des achats pour évoquer les priorités de la politique des achats de l'Etat pour 2024-2027. "On l'a fait en 2010 en Midi-Pyrénées, a abondé Alain Di Crescenzo, le président de CCI France. On a simplement fait rentrer l'empreinte carbone et la distance. Cela marche". L'empreinte carbone a été intégrée dans un règlement européen il y a deux ans, est venu préciser Roland Lescure. "Ca commence à avancer." Mais, pour Natacha Polony, "il n'y a pas de politique en France de réorientation de la commande publique vers les produits locaux". "90% de la viande dans les cantines scolaires est importée", a-t-elle fait valoir. Pour l'ancien ministre, il s'agit avant tout d'un "problème de compétitivité de la filière bovine", notamment par rapport à l'Irlande.
D'après les estimations de l'économiste Olivier Lluansi, auteur d'un rapport sur la réindustrialisation à l'horizon 2035, le levier de la commande publique pourrait représenter un potentiel de 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire pour le Made in France, soit un quart du déficit commercial de biens (voir notre entretien du 1er octobre).
Les secteurs où les produits Made in France ont la cote à l'étranger97% des Chinois et 85% des Italiens ont déjà consommé des produits Made in France. Les consommateurs chinois interrogés, visiblement satisfaits, déclarent l’avoir fait plusieurs fois (38 %). C'est ce qui ressort d'une enquête réalisée en octobre 2024 par OpinionWay sur la perception des produits français à l'étranger publiée par CCI France le 9 novembre, à l'occasion du Salon du Made in France. Les consommateurs des pays interrogés sont plutôt intéressés par l'alimentation, les vins et les spiritueux, puis les produits cosmétiques, le textile et la maroquinerie. Ils considèrent les produits français dans ces domaines de meilleure qualité et ils apprécient leur prestige. Une majorité d'entre eux souhaiteraient en consommer davantage (96% pour la Chine, 78% pour les Etats-Unis, 74% pour l'Allemagne et l'Italie). Ils aimeraient que ces produits soient plus présents dans les magasins près de chez eux et pouvoir disposer d'une plus grande diversité de l'offre. |