Santé mentale : une grande cause nationale pour quels effets ?

Intensifier la prévention, mettre en place une offre de soins graduée et désengorger les urgences, réduire les inégalités d’accès aux soins et susciter des vocations… les défis associés à la grande cause nationale santé mentale sont de taille, à l’heure où les enveloppes publiques se réduisent. Malgré l’ampleur des obstacles, il y a "des raisons d'espérer", selon le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, qui estime que "les choses bougent localement". Si l’année 2025 ne suffira pas à atteindre les objectifs assignés à la grande cause, elle permet en tout cas la diffusion d’un grand nombre d’expressions et d’analyses – autant de ressources pour les élus locaux qui souhaiteraient s’emparer du prisme de la santé mentale pour conduire leurs politiques publiques. 

Il y avait eu le plan Cancer en 2003 et, la même année, la grande cause sur le handicap qui a conduit à la loi emblématique de 2005. Sur la santé mentale, "nous sommes dans le même ordre d'ambition pour améliorer le travail et aider tous ceux qui sont touchés par ces enjeux", avait affirmé en octobre 2024 Michel Barnier, alors Premier ministre, lors du lancement de la grande cause nationale 2025 qu’il avait appelée de ses vœux. 

Confirmée en janvier par François Bayrou, son successeur à Matignon, cette grande cause poursuit quatre objectifs, qui avaient été présentés par l’ancienne ministre de la Santé en conseil des ministres : la "déstigmatisation", ou le changement de regard sur les troubles psychiques ; le développement de la prévention et du repérage précoce ; "l'amélioration de l'accès aux soins en tous points du territoire par la gradation des parcours, le développement des nouveaux métiers de la santé mentale en veillant aux soins des personnes les plus fragiles" ; et "l'accompagnement des personnes concernées dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne". 

Une demande qui dépasse l’offre disponible 

Concernant le premier objectif, cinq ans après une pandémie et des mesures de confinement qui ont dévoilé de façon crue – et ont accentué – les problématiques de santé mentale, les prises de paroles et publications de témoignages intimes se multiplient. La grande cause nationale permet de valoriser des initiatives locales et donne lieu à des campagnes d’information, dont celle du Collectif santé mentale qui réunit 3.400 organisations. 

Ainsi "l’augmentation des sollicitations en santé mentale reflète-t-elle une hausse réelle des troubles ou une meilleure capacité à les repérer ?" interroge la députée Nathalie Colin-Oesterlé en préambule de son rapport sur la santé mentale des jeunes (voir notre encadré ci-dessous). Avant de répondre : "Sans doute un peu des deux. Cependant une chose est certaine : la demande est plus importante que l’offre et nos infrastructures ne sont aujourd’hui plus en mesure d’y répondre." 

"Pas de ‘grande cause’ sans grands moyens" ? 

En juin 2025, le gouvernement a présenté son plan Psychiatrie et santé mentale dont l’ambition est de "reconstruire la psychiatrie" en mobilisant davantage les acteurs de premier recours (voir notre article), en instaurant une culture du repérage passant notamment par le déploiement de protocoles santé mentale dans les collèges et les lycées (voir notre article). De nombreux rapports, notamment parlementaires et associatifs, ont en effet mis l’accent sur l’urgence d’agir en faveur d’un secteur en souffrance, confronté à la fois à la hausse des besoins, à une offre "insuffisante et illisible" et à une crise des vocations. Tous insistent sur la nécessité d’y mettre les moyens adéquats, à l’instar de la mission d’information sénatoriale qui a intitulé son rapport publié le 25 juin 2025 "Santé mentale et psychiatrie : pas de ‘grande cause’ sans grands moyens". 

Auditionné en mars 2025 par la commission des affaires sociales du Sénat, le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, a fait le point sur la mise en œuvre de la feuille de route santé mentale et psychiatrie – qui date de 2019 et qui "comprend trois axes : promotion d'une bonne santé mentale et prévention ; offre de soins ; inclusion sociale". En dépit des "sujets de préoccupation majeure [qui] persistent" - il cite les "inégalités quantitatives et qualitatives dans l'offre", l’"inadéquation entre les besoins et l'offre", mais aussi les "délais d'attente dans les centres médicopsychologiques (CMP)", la "saturation des urgences" et "le découragement des équipes soignantes" -, le délégué ministériel a mis en avant "des raisons d'espérer". 

Se référant à un récent rapport réalisé par sa délégation sur les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), Frank Bellivier estime que "les choses bougent localement, que la dynamique d'innovation est importante". Il appelle par ailleurs l’ensemble des acteurs concernés à "agir de façon très volontariste sur les déterminants de la santé mentale : violences subies, en particulier dans l'enfance ; situations de migration ; appartenance à des minorités ; précarité financière ; accès au travail, au logement, à la culture ou au sport". "Pour cela, une mobilisation interministérielle est nécessaire, ainsi qu'une mobilisation des collectivités locales et des acteurs économiques", insiste-t-il. 

Les élus locaux en première ligne 

La grande cause nationale implique justement une mobilisation interministérielle, ce qui se traduit par exemple par l’élaboration d’un guide par le ministère des Sports (voir notre article) ou encore par une consultation des élus conduite par le ministre de l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, via les associations d’élus. Dans les espaces publics ou encore dans les écoles, les maires et leurs équipes sont en effet en première ligne face aux conséquences de la dégradation de la santé mentale, comme ils ont pu en témoigner lors du dernier congrès des maires (voir notre article). Selon une étude récente, près d’un tiers des maires sont d’ailleurs eux-mêmes guettés par un risque d’épuisement (voir notre article). 

"Nous pouvons agir par l’urbanisme, la culture, l’école, l’action sociale, le sport… et par l’écoute, tout simplement", a témoigné Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage (Pas-de-Calais), en mai dernier sur les réseaux sociaux. Dans sa commune, son engagement se traduit par la formation d’agents et d’élus aux premiers secours en santé mentale (qui ont fait l’objet d’une proposition de loi, voir notre article, et que le gouvernement souhaite développer), des interventions dans les écoles ou encore la publication d’un guide pratique sur les ressources locales.

L’élu LR avait été désigné par Michel Barnier pour porter la grande cause nationale aux côtés du professeur de psychiatrie Michel Lejoyeux et de la déléguée générale de l'Alliance pour la santé mentale, Angèle Malâtre-Lansac. Le trio a récemment rencontré le président de l’AMF David Lisnard, avec lequel "nous avons la volonté de faire avancer concrètement la prévention, l’accès aux soins et la lutte contre la stigmatisation", a indiqué Daniel Fasquelle sur les réseaux sociaux. Pour cela, "un guide de bonnes pratiques sera mis à jour et largement diffusé auprès des élus municipaux après les élections de 2026". D’ici là, communes et intercommunalités peuvent consulter les travaux du Réseau français villes-santé et notamment une récente publication intitulée "Repenser les actions de la ville au prisme de la santé mentale". 

Quant aux départements, ils sont doublement concernés au titre de leurs politiques en faveur des adultes handicapés et de l’aide sociale à l’enfance - l’ASE qui accueille beaucoup d’enfants et de jeunes souffrant d’un trouble psychique ou de difficultés psychologiques et pour lesquels l’accès aux soins ou à un soutien psychologique adapté n’est pas aisé (voir notre article).

› Santé mentale et psychiatrique : des diagnostics et des propositions pour sortir de la crise 

La santé mentale a fait l’objet, ces derniers mois, de plusieurs rapports parlementaires dont celui des députées Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau qui alertaient en décembre 2024 sur la situation alarmante des urgences psychiatriques (voir notre article). 

En juin 2025, une mission d’information de la commission des affaires sociales du Sénat a estimé dans son rapport que "la dégradation de la santé mentale est une tendance de fond" qui "[trouve] sa source au milieu des années 2010" et "s’est accélérée pendant la crise du covid-19". Insistant sur "l'impérieuse nécessité de réduire les inégalités territoriales dans l'accès aux soins", les trois rapporteurs - Jean Sol, Daniel Chasseing et Céline Brulin – s’inquiètent particulièrement de "l'explosion des troubles psychiques chez les jeunes". Un indicateur est cité : "En 2024, les risques de troubles anxiodépressifs touchent près de 30% des 11-24 ans." 

Même constat du côté de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, avec le rapport des députées Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons) et Anne Stambach-Terrenoir (LFI) consacré à la santé mentale des mineurs et publié le 10 juillet 2025. Si elles citent d’autres facteurs expliquant la forte dégradation de la santé mentale des jeunes, les députées insistent particulièrement sur "l’absence des parents" et l’exposition croissante aux écrans et aux réseaux sociaux (en moyenne 4 heures par jour pour les 12-17 ans selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Tout en analysant en détail une "offre de soins insuffisante et illisible", les députées attirent l’attention sur la tendance actuelle à l’hyperspécialisation, qui "privilégie la recherche du diagnostic au détriment d’une approche globale". Les risques qui en découlent, selon les experts cités, sont ceux d’une "médicalisation excessive de phénomènes développementaux non pathologiques" et d’"effet d’étiquetage" - soit l’impact que l’"attribution trop précoce ou trop rigide d’un diagnostic" peut avoir sur la perception que l’enfant a de lui-même et sur son développement. Les députées appellent donc à "consolider l’offre de soins existante" (médecins généralistes, maisons des adolescents, psychologues, centres médicopsychologiques au "maillage renforcé", en y ajoutant des "centres de crise adossés aux urgences pédiatriques et aux hôpitaux psychiatriques") et à "réaffirmer les principes fondateurs de la sectorisation, plutôt que de développer de nouveaux dispositifs et de multiplier les centres experts". 

"Alors que les discours mettent en avant la prévention et l’accompagnement, la part des 16-24 ans disposant d’un faible soutien social a plus que doublé entre 2019 et 2021, passant de 6% à 14%", a de son côté alerté le Collectif national santé jeunes (CNSJ) dans un communiqué du 12 juin 2025. Composé de huit associations et fédérations nationales – l'Association nationale des maisons des adolescents, l’Association nationale des points accueil-écoute jeunes, la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), la Fédération Addiction, la Fédération des espaces pour la santé des jeunes, le Fil santé jeunes, la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs et l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj) -, ce collectif représente 3.600 lieux d’accueil pour les jeunes et "une ligne téléphonique ouverte 365 jours de 9h à 23h" (le 0 800 235 236), 38.000 salariés et 10.000 bénévoles. Il appelle à "une réévaluation des dotations dévolues aux acteurs de terrain". "Sur le terrain, les acteurs associatifs agissent mais sont sous-financés et menacés, et les parcours de soins sont complexes et entravés", signalent ces acteurs. Ces derniers demandent des moyens sécurisés, l’ouverture d’autres points de contact et le financement des actions d’"aller-vers" (dont les actions de sensibilisation et les permanences d’écoute).

L’Uniopss a également présenté en juin son "Plaidoyer pour une politique globale de santé mentale", appelant à développer la prévention, à "renforcer la gouvernance territoriale de la santé mentale", à favoriser le décloisonnement entre les secteurs sanitaire, social et médicosocial ou encore à "mettre les personnes au cœur de leur parcours de santé". Des propositions spécifiques ont été formulées pour les personnes en situation de handicap et les personnes âgées, les enfants et les jeunes, les "personnes en situation de précarité ou de migration", les personnes détenues et les aidants. 

Citons encore les travaux de la Fédération hospitalière de France (FHF), qui mesure régulièrement dans son réseau d’établissements publics de santé les difficultés d’accès aux soins psychiatriques et qui porte également un plaidoyer pour "répondre à l’urgence et bâtir l’avenir de la psychiatrie" (voir notre article). 

 

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