Transition écologique : la Cour des comptes dresse un bilan très mitigé des COP régionales
Dans un rapport consacré à la transition écologique, la Cour des comptes dresse un bilan plus que mitigé des COP régionales organisées l'an passé pour "territorialiser la planification écologique". Elle indique en outre n'avoir pu tirer aucun bilan de CRTE nouvelle génération – censés être les "outils opérationnels" de cette planification – qui tardent à prendre corps. Aussi, pour favoriser la construction par les collectivités de trajectoires financières cohérentes avec leurs objectifs de transition, la rue Cambon plaide en faveur des plans pluriannuels d'investissements (ou de tout document équivalent), en observant que les prochaines municipales pourraient être l'occasion de leur redonner de l'élan.

© Eric TSCHAEN-REA/ Pierre Moscovici, lors de la présentation du premier rapport annuel consacré à la transition écologique
Après avoir consacré son rapport annuel 2024 à l'adaptation au changement climatique (lire notre article), la Cour des comptes a publié, ce 16 septembre, son premier rapport sur "la transition écologique", qu'elle a décidé de remettre désormais chaque année, dans une interprétation extensive de la lettre de l'article 298 de la loi Climat et Résilience – lequel dispose que la Cour évalue annuellement la mise en œuvre de ladite loi, opération qui avait déjà menée l'an passé. Entre autres constats, elle y tire un bilan en demi-teinte – pour rester positif – de la "territorialisation de la planification écologique" mise en œuvre via les conférences des parties (COP) régionales (voir notre dossier). Si, dans la conclusion intermédiaire qu'elle formule à l'issue du chapitre II de son rapport consacré aux "nombreux leviers d'action, à mieux utiliser", la Cour estime que "les COP régionales marquent une avancée", les développements qui la précèdent sont bien moins amènes.
"Processus purement descendant"
En préambule, la Cour observe que "les politiques de transition écologique sont portées depuis plusieurs années par les différents niveaux de collectivités". Mais, déplore-t-elle en substance, ces politiques manquent de "coordination" ou de "cohérence" avec les objectifs nationaux. Une lacune que la territorialisation de la planification écologique menée par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE – dont la Cour recommande par ailleurs de conforter l'action pour qu'il "retrouve sa double capacité de mise en cohérence et d'impulsion", déplorant que sa position ait été "fragilisée" et son influence sur la prise de décisions ait été "réduite") via lesdites COP aurait, en théorie, dû combler. Mais la Cour relève qu'il n'en a guère été ainsi, ladite territorialisation s'étant "surimposée à ces dynamiques" plutôt qu'elle ne les a prises en compte. "Les premières COP n'ont tenu compte qu'insuffisamment des efforts déjà réalisés au niveau régional et des stratégies prééexistantes", rapporte-t-elle. En cause, selon elle, "la rapidité de la démarche et le manque d'associations de certains acteurs" – sont mentionnées les intercommunalités, ou encore les départements –, qui ont "pu donner l'impression d'un processus purement descendant, sans lien avec la réalité de terrain et sans considération pour l'action déjà accomplie par les collectivités". Plus qu'une impression, semble-t-il, puisque la Cour indique elle-même que lors de l'élaboration du diagnostic initial, "réalisé de façon incomplète", "les compétences des opérateurs de terrain ont […] été peu utilisées, au profit de l'expertise délivrée par les services de l'État en région". Dans ce contexte, on ne sera pas surpris de lire que "les réunions de lancement [de ces COP] ont souvent été vécues comme une opération de communication ministérielle".
Opérationnalité incertaine
Plaide également en ce sens le fait que "les moyens affectés à la démarche [aie]nt été très variables", avec des experts chargés de l'animation des COP "souvent nommés après le lancement de la COP". L'État n'est toutefois pas le seul responsable de ce "copilotage hétérogène", la Cour observant que si certaines régions étaient "totalement impliquées dans le processus, d'autres n'ont pas souhaité y prendre une part active". À en juger par le rapport, elles ne manquaient pas de motifs de s'abstenir. Outre l'absence de prise en compte des efforts précédemment engagés sus-évoquée, la Cour évoque "l'ambiguïté des objectifs chiffrés" de la circulaire Borne de mise en œuvre de la territorialisation (lire notre article du 9 octobre 2023), "le manque de transparence dans les modalités de répartition régionale des efforts" ou encore l'accent mis sur l'atténuation, faute de temps pour traiter des autres domaines de la transition – biodiversité, adaptation… –, alors que les "avancées" y sont pourtant "limitées".
Le tout "fragilise la crédibilité des objectifs fixés dans la première phase des COP et leur articulation avec les documents préexistants", estime la Cour. Et si elle considère que les phases suivantes "ont favorisé les échanges entre parties prenantes", elle note qu'elles "ont également éludé l'évaluation quantitative". In fine, la rue Cambon estime que "l'opérationnalité" des 17 feuilles de route fixées "reste incertaine", non sans ajouter que la constitution de ces dernières "a pu être perçue par certaines régions comme une simple programmation d'actions et non une véritable planification régionale".
La mise en œuvre, inconnue au bataillon
Après les COP, la Cour rappelle que les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE) devaient constituer "le cadre de mise en œuvre des stratégies retenues", comme l'avait souhaité Christophe Béchu quand il était ministre de la Transition écologique (lire notre article du 31 janvier 2024). Ils devaient être "relancés et actualisés" à cette fin (lire notre article du 21 mai 2024), Mais là aussi le bât blesse. La Cour observe que le calendrier n'a pu être tenu et qu'"aucun bilan [de ces] CRTE nouvelle génération et de leurs modalités de gouvernance ne peut donc être tiré à ce jour".
En outre, elle relève que si l'ANCT a bien mis en place une base de données "pour évaluer la convergence entre les objectifs nationaux et la mise en œuvre par le biais des CRTE", cet outil de suivi "n'est cependant pas à ce jour conçu pour assurer un suivi des bénéfices attendus des projets, ni pour les prioriser au stade de la programmation ou pour les évaluer. Il n'est pas articulé avec les autres instruments permettant de suivre les projets locaux de transition". Enfin, la Cour observe que "la majorité des financements en faveur de la transition écologique n'est pas repérable dans les comptes des collectivités".
La solution des PPI
Aussi la Cour préconise-t-elle que les plans pluriannuels d'investissements (ou tout document équivalent) puissent être utilisés pour suivre les actions de planification engagées dans le cadre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et être articulés avec les CRTE, en favorisant plus largement "la construction de trajectoires financières mises en cohérence avec les objectifs de transition définis dans les Sraddet, les PCAET et les PLU/PLUi". Et de souligner que les prochaines élections municipales devraient être l'occasion de redonner de l'élan à ces "PPI".
Pour l'État, la Cour des comptes recommande de donner un rôle plus large et mieux identifié à la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique (Spafte), dont les "imperfections" de la première édition (lire notre article du 22 octobre 2024) "ne doivent pas occulter l'importance de cet exercice".
› Collectivités : attention aux infrastructures surdimensionnées !Dans son rapport, la Cour des comptes appelle notamment à actionner davantage le levier de la sobriété, en pointant en particulier les domaines des déchets et de l'eau. La Cour relève que "nombreuses sont encore les collectivités concernées qui ne souhaitent pas afficher d'objectifs de sobriété dans leurs documents programmatiques". Elle constate néanmoins "dans certains territoires, sans que la même tendance s'observe à l'échelle nationale, des pratiques plus sobres de la part des usagers des services publics", tendance qu'il faudrait davantage prendre en compte. La Cour attire ainsi l'attention des collectivités sur "les conséquences financières d'infrastructures surdimensionnées face à la baisse des consommations" et pointe – là encore – "l'importance du diagnostic initial pour assurer la rentabilité à long terme". La rue Cambon prend exemple du "surdimensionnement de chaudières pour alimenter des réseaux de chaleur" ou encore d'"infrastructures de valorisation [de déchets] trop ambitieuses au regard des besoins ou n'ayant pas pris en compte la réduction des déchets des ménages imposée par la réglementation". Une réduction qui reste pour l'heure toute relative néanmoins (lire notre article du 11 juin), comme le concède d'ailleurs la Cour elle-même ("le volume des déchets augmente"). |