Trente propositions pour relancer le commerce de proximité dans les centres-villes et les quartiers

Alors que le commerce vit de "profondes mutations", un rapport remis au gouvernement appelle à lutter contre les distorsions de concurrence des grandes plateformes en ligne. Il propose de donner plus de marges de manoeuvres aux maires, notamment dans les choix d'installation.

L’ouverture du premier magasin au monde du géant asiatique Shein ce mercredi, au 6e étage du BHV à Paris, illustre les grandes transformations à l’œuvre dans le commerce. Transformations étayées dans le rapport sur "l’avenir du commerce de proximité dans les centres-villes et les quartiers prioritaires de la politique de la ville" remis aux ministres du Commerce et de la Ville, Serge Papin et Vincent Jeanbrun, le même jour. 

Les trois rapporteurs – Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne), Dominique Schelcher, PDG de Coopérative U, et Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires – avaient été missionnés par l’ancien gouvernement en mai dernier. L’actualité les a rattrapés. "La concurrence déloyale est le sujet du moment", a martelé Dominique Schelcher lors de la présentation du rapport à la presse ce mercredi 5 novembre. "On appelle à la fermeté des autorités", a-t-il dit, évoquant une récente enquête d’UFC-Que choisir montrant que 70% des jouets et chargeurs vendus sur les plateformes Shein et Temu ne respectent pas les normes européennes et sont dangereux. "On ne veut pas faire la courte échelle à des groupes qui ne respectent pas les règles", a abondé Antoine Saintoyant, alors que la Banque des Territoires a récemment décidé de se retirer du projet de rachat des murs du BHV (lire notre article du 8 octobre).

"Une façade"

Pour le patron de Coopérative U, la stratégie de conquête des centres-villes de Shein est "une façade", une façon de se donner "une bonne image". Mais "quel modèle de consommation voulons-nous ?", a-t-il interrogé. Quelques heures plus tard, en pleine polémique sur les "poupées pédopornographiques", le cabinet du Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé qu'une procédure de suspension de Shein avait été engagée, "le temps nécessaire pour que la plateforme démontre aux pouvoirs publics que l'ensemble de ses contenus soient enfin en conformité avec nos lois et règlements".

Le rapport expose les évolutions des modes de consommation ces dernières années : depuis le Covid et la crise qui a suivi, les Français consomment moins (-0,4% en 2024), recherchent les prix bas, épargnent plus (le taux d’épargne est passé de 14% en 2019 à un record de 19% en 2025). Trois sur dix déclarent se rendre moins souvent qu’avant dans leur centre-ville alors que le commerce en ligne – qui ne capte encore que 15% du commerce national – est en plein essor. Les plateformes en ligne représentent 22% des colis livrés par La Poste (qui vient d’ailleurs de passer un partenariat avec Temu), contre 5% il y a cinq ans. 

Plan social à bas bruit

Ce contexte a durement frappé les "locomotives" de centre-ville, en particulier dans le prêt-à-porter (Camaïeu, Kaporal, Jennyfer, Naf-Naf…) où les défaillances se multiplient, le taux de vacance commerciale est reparti à la hausse et s’établit à 10,64% dans les centres-villes et à plus de 16% dans les galeries marchandes… Près de 50.000 emplois ont été supprimés en dix ans, selon le rapport qui reprend les résultats d'une enquête de Ouest France parue en 2024, parlant de "plan social à bas bruit". "Autrefois les gens venaient faire du lèche-vitrine, aujourd’hui ils scrollent depuis leur canapé", s'est désolé Dominique Schelcher. "Il faut agir", a-t-il pressé, deux jours avant un déplacement des deux ministres à Saint-Quentin, au cours duquel ils devraient annoncer les mesures qu’ils entendent retenir. 

Pour passer d'une transformation "subie" à une transformation "pilotée", les rapporteurs formulent quelque 30 propositions dont 12 jugées prioritaires, en agissant à la fois aux plans européen, national et local. Sans surprise, la lutte contre les distorsions de concurrence arrive en tête des préconisations du rapport qui appelle à un "plan massif" de contrôles et va jusqu’à proposer le déréférencement des plateformes qui contreviennent aux règles européennes. En attendant la réforme de l’Union douanière au niveau européen, le rapport reprend l’idée – qui figure déjà dans le projet de loi de finances pour 2026 – d’une taxe provisoire sur les achats numériques d’un montant minimum de 2 euros sur les colis de moins de 150 euros, sachant qu’aujourd’hui ces colis sont exonérés de TVA. Le produit de cette taxe serait fléché vers le commerce local, notamment à travers les programmes Action cœur de ville (ACV), Petites Villes de demain (PVD) ou les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il pourrait servir à pérenniser le fonds de restructuration des locaux d’activité (FRLA) dont les besoins sont estimés à 20 millions d’euros par an. Une redevance permettrait en outre de couvrir une partie des coûts croissants du traitement douanier et des contrôles liés aux flux des colis. Le rapport propose aussi de taxer les entrepôts et les centres de distribution des géants du numérique.

Donner plus de marges de manœuvres aux maires

Malgré le constat inquiétant du commerce de l'habillement, le rapport se veut "résolument positif sur l’avenir des centres-villes, pour nous ils ne sont pas en déclin, ils sont en profonde mutation", a souligné Dominique Schelcher. D’ailleurs, les pertes dans le prêt-à-porter contrastent avec le "dynamisme de la restauration" qui a créé 100.000 emplois entre 2019 et 2024. Le centre-ville n’est "plus seulement un lieu d’achat mais un véritable lieu de vie, multifonctionnel et convivial, qui favorise la déambulation et la découverte". Ce qui peut présenter une "opportunité" de rebond, à condition de donner plus de marges de manœuvres aux maires, en particulier pour lutter contre la vacance commerciale. 

Les rapporteurs plaident pour la poursuite des programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain après 2026 avec un "volet stratégie commerciale" définissant un "parcours marchand". "Un centre-ville qui fonctionnera sera un centre-ville où on habitera, on travaillera, on consommera. Il est primordial d’avoir un projet global", souligne le rapport. L’idée serait donc d’élargir la "boîte à outils" à la disposition des maires, en leur permettant de pouvoir sélectionner plus facilement les commerces qui s’installent dans des territoires ou périmètres prioritaires. Les rapporteurs veulent aussi davantage inciter les bailleurs sociaux à remettre sur le marché les rez-de-chaussée d’immeubles. La Banque des Territoires entend poursuivre son soutien aux foncières de redynamisation (100 millions d’euros) et aux postes de managers de commerce (20 millions d’euros). Ces foncières seraient en outre dotées de "moyens de coercition" pour maîtriser les prix d’achat de biens et le niveau des loyers.

Lutter contre l'économie souterraine

Autres propositions :  expérimenter un mécanisme facilitant le changement de destination des locaux commerciaux obsolètes dans les villes ACV ou les QPV et faciliter les possibilités d’acquisition des locaux commerciaux par les collectivités, notamment la préemption des biens vacants sans maître. Les trois rapporteurs suggèrent de s'attaquer à une niche fiscale : les propriétaires de plusieurs biens peuvent avoir intérêt à laisser vacant un local pour constituer un "déficit foncier". Il s’agirait aussi de réformer la taxe sur les locaux commerciaux vacants en ramenant son délai d’application à six mois et de conditionner les possibilités d’exonération à une baisse des loyers. Cette taxe "s’est beaucoup complexifiée et ne fonctionne plus, il est facile d’y échapper", a pointé Frédérique Macarez. "Les grandes marques payaient très cher, cela va être très difficile de payer ces niveaux de loyers ; on a totalement changé d’époque", a-t-elle souligné, comme elle l'avait expliqué début octobre dans un entretien accordé à Localtis.

Les auteurs attendent enfin un vrai changement de braquet dans la lutte contre l'économie souterraine avec des contrôles inopinés et beaucoup plus fréquents dans les commerces suspectés de blanchir de l'argent, les kébabs, barbers et autres salons de massage étant visés.

Nombre des mesures proposées n’impliquent aucune dépense supplémentaire. "Il faut qu’on soit raisonnable avec les finances publiques", a insisté Frédérique Macarez. La Banque des Territoires a cependant chiffré ses interventions à 350 millions d’euros dans les cinq ans qui viennent. 

 

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