Frédérique Macarez : "Les maires ont très peu de moyens réglementaires" en matière commerciale

Maire de Saint-Quentin (Aisne) et vice-présidente de Villes de France, Frédérique Macarez fait partie - avec Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires, et Dominique Schelcher, PDG de Système U - de la mission "commerce" qui remettra prochainement ses conclusions. Elle revient pour Localtis sur la polémique suscitée par l'arrivée de l'enseigne de mode à bas coûts Shein dans le centre de six villes françaises. 

Localtis - Que vous inspire l’offensive de Shein dans les centres-villes français ?

Frédérique Macarez - J’ai une inquiétude partagée par de nombreux maires. On attend une sorte de moralité de cette entreprise, les règles de concurrence ne sont pas les mêmes que pour le commerce physique et ses pratiques ne sont pas vertueuses du tout, que ce soit en matière de droit du travail ou de qualité environnementale. Ce que l’on souhaite, c’est que ces plateformes en ligne soient fiscalisées et qu’elles respectent les règles européennes et françaises sur la qualité des produits.

Cette annonce est assez étonnante, c’est sans doute un grand coup de communication projeté, avec un effet plutôt négatif, puisque de grands acteurs comme la Banque des Territoires ne vont pas aller au bout du projet de reprise du BHV [voir notre article] et que des commerçants ont annoncé qu’ils souhaitaient partir. Cela interroge beaucoup nos commerces physiques. 

À l’annonce de l’arrivée de Shein, les maires manifestent un grand désarroi. Faudrait-il qu’ils aient davantage leur mot à dire dans ce genre d’opérations ?

Il y a une très grande attente de nos concitoyens à l’égard des maires mais ces derniers ont très peu de moyens réglementaires d’être à l’initiative. Dans le cadre de la mission "commerce" que j’ai menée avec Antoine Saintoyant et Dominique Schelcher [voir notre article], nous ferons des propositions sur la question de la concurrence déloyale et sur la question du pouvoir du territoire. L’absence de moyens gêne beaucoup les collectivités aujourd’hui pour avoir un projet cohérent sur le commerce et être à l’initiative.

Que pensez-vous de l’initiative des maires de Bordeaux et Grenoble qui, récemment, ont demandé à expérimenter l’encadrement des baux commerciaux ?

C’est un sujet qui est sur la table et qui revient régulièrement. Il y a aussi des commerçants qui le demandent, je pense à une pétition qui circule à Lille. Cette question mérite d'être posée. Il y a une vigilance tout de même à avoir pour ne pas détourner les investisseurs. Il faut trouver une sorte d’équilibre pour avoir le loyer au prix du marché, sans que toutes les personnes qui peuvent investir, être propriétaires et prendre leur part sur la dynamique commerciale se disent "Je n’y vais pas parce qu’on m’a mis trop de contraintes".

Mais la question du montant des loyers, qui est décorrélée des chiffres d’affaires du monde du commerce d’aujourd’hui, est un point très dur de la crise dans laquelle nous sommes. Les enseignes comme Camaïeu ou Nafaf, les enseignes de l’habillement qu’on a connues depuis toujours, avaient des loyers extrêmement élevés. Personne ne peut reprendre les locaux à ces prix de loyer. Le propriétaire en revanche, qui avait une rentrée importante, a du mal à faire son deuil de ce niveau de loyers. Ce qui fait que beaucoup de villes se retrouvent avec des biens qui restent vacants assez longtemps. Les maires ou les professionnels de l’immobilier vont facilement vers les propriétaires pour leur dire que leurs loyers sont décorrélés des réalités d’aujourd’hui. C’est parfois entendu. Parfois pas du tout. Sur Saint-Quentin, on avait un Camaïeu qui a fermé, le propriétaire a accepté de baisser son loyer, on a une enseigne dans l’habillement qui fonctionne très bien. Par ailleurs, j’ai un Jacqueline Riu qui a été rendu, sur une surface de 200 m2, à 7.500 euros le mois de loyer, là c’est la catastrophe, on a vu des enseignes nationales passer, mais personne n’ira à ce prix-là. C’est un point de difficulté. Ce qui explique cette proposition d’expérimentation d’encadrement des loyers. On en parlera dans le cadre de la mission. C’est sûr que cette question est un point crucial, on dit souvent aux propriétaires qu’il faut raisonner du bon côté, c’est-à-dire qu’on prend la capacité de chiffres d’affaires, les charges du commerce et le loyer qui est absorbable. Si vous partez à l’envers, le commerçant n’a pas payé sa marchandise, il n’a pas payé éventuellement ses salariés, ses charges et il a déjà 7.500 euros de loyer à sortir chaque mois, ce n’est pas tenable. Nous, on appelle souvent les uns et les autres à faire l’exercice inverse. Évidemment le propriétaire doit rentrer dans ses frais. Mais il y a souvent un grand chemin à faire.

Vous êtes élue d’une région où, il y a quelques années, Amazon avait été accueilli à bras ouverts. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?

La difficulté, ce sont les distorsions des règles entre le commerce physique et le commerce numérique ; cette problématique est à retravailler. En revanche, sur les territoires où la logistique est arrivée, ça a été relativement intéressant puisque parmi les personnes qui sont embauchées vous avez souvent des personnes qui étaient très peu qualifiées et qui ont pu trouver un travail. Sur le territoire, le retour est quand même plutôt positif en termes d’emplois. Ils viennent d’ailleurs d’annoncer sur Beauvais l’ouverture d’un centre de 1.000 personnes.

Certes, mais on ne met pas en balance les emplois créés dans le commerce en ligne et ceux détruits dans le petit commerce…

Globalement, le nombre d’emplois dans le commerce a progressé ces dernières années. Ce sont des chiffres nationaux qu’on objective dans la mission. La différence, c’est que ce n’est pas dans la même typologie d’emplois ni dans les mêmes lieux. Le secteur qui a été durement frappé et qui l’est encore, c’est l’habillement. On parle d’un "plan social à bas bruit" que Ouest France avait chiffré à 50.000 pertes d’emplois, et le secteur qui a progressé, c’est celui de la restauration essentiellement.

 

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