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Demandeurs d'asile - Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme remet en cause la procédure prioritaire

En janvier dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) rendait public un avis plutôt critique sur l'accueil des demandeurs d'asile (voir notre article ci-contre du 5 janvier 2012). Elle affirmait notamment que "l'examen approfondi des demandes d'asile et le principe de non-refoulement ne peuvent être sacrifiés sur l'autel d'une rationalisation du DNA [dispositif national d'accueil, NDLR]". Bien qu'il n'existe aucun lien organique entre les deux instances, la CNCDH semble avoir été entendue par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Dans un arrêt du 2 février 2012, la Cour a en effet remis en cause la procédure dite prioritaire pratiquée par la France et d'autres pays européens, autrement dit la procédure accélérée. En l'espèce, I.M. - un ressortissant soudanais entré en France muni d'un faux visa, mais n'ayant pas déposé de demande d'asile - avait été reconduit à la frontière dans le délai imparti de 48 heures, mais sans que celui-ci lui permette de rédiger sa demande en français (seul un texte en arabe ayant été produit). Le requérant affirmait par ailleurs n'avoir disposé que de quelques minutes avant l'audience du tribunal administratif pour s'entretenir avec l'avocat de permanence en charge de son dossier. Après avoir été placé en rétention en vue de son éloignement, I.M. avait été informé, le même jour, de la possibilité de formuler une demande d'asile. Dix jours après le dépôt de cette demande, le requérant était auditionné durant une demi-heure par l'Ofpra, qui notifiait son rejet dès le lendemain.

La procédure prioritaire validée, mais son abus condamné

Dans son arrêt, la CEDH relève "le caractère automatique d'un tel classement en procédure prioritaire, lié à un motif d'ordre procédural, et sans relation ni avec les circonstances de l'espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement". Certes, la Cour "reconnaît que les procédures d'asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux Etats européens, peuvent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées". Elle juge notamment cette procédure acceptable s'il s'agit du réexamen d'une demande d'asile et que l'intéressé "a bénéficié d'une première procédure d'asile normale". Mais, en l'espèce, la Cour relève qu'"avec le classement en procédure prioritaire de la demande d'asile d'I.M., le délai d'introduction imparti a été réduit de vingt et un à cinq jours" et que "ce délai était bref et contraignant alors que le requérant devait préparer une demande d'asile en français - sans bénéficier de soutien linguistique - répondant au même degré d'exigence que pour une procédure de demande d'asile normale, avec documents à l'appui notamment quant à son origine ethnique".
Relevant notamment la brièveté de l'entretien avec l'Ofpra, la CEDH juge que "le recours du requérant a pâti des conditions dans lesquelles il a dû préparer sa demande, et de l'insuffisance de l'assistance juridique et linguistique à son égard". De plus, "l'effectivité ainsi réduite des recours exercés par le requérant n'a pu être compensée en appel". En conséquence, la Cour conclut à la violation, par la France, de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, combiné avec l'article 3.
L'arrêt n'est pas définitif, dans la mesure où la France et le requérant disposent d'un délai de trois mois pour demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour. L'hypothèse semble toutefois peu probable au regard des arguments très mesurés invoqués par la Cour et de la validation de la procédure prioritaire, même si les juges condamnent son usage abusif. L'arrêt de la CDEH devrait donc faire sentir ses effets dans les prochains mois. L'enjeu est très loin d'être négligeable, puisque les demandes en procédure prioritaire représentent 24% des demandes totales et que 62,5% de ces demandes en procédure prioritaire correspondent à des premières demandes d'asile.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Cour européenne des droits de l'homme, arrêt n°9152/09 du 2 février 2012, I.M. c/ France.

 

 

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