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Santé - Une proposition de loi pour expérimenter les "salles de consommation" de drogues

Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Catherine Lemorton, la présidente de la commission des affaires sociales, et l'ensemble des députés socialistes viennent de déposer une proposition de loi relative à l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque dans le cadre de la politique de réduction des risques.

Un projet bloqué par l'avis du Conseil d'Etat

Il s'agit en l'occurrence de tirer les conclusions de l'impasse juridique dans laquelle se trouvait le projet initial de Marisol Touraine, la ministre de la Santé, et du maire de Paris, alors Bertrand Delanoë. Autorisée à titre dérogatoire en février 2013 et votée par le conseil de Paris en juillet, une salle expérimentale de consommation à moindre risque - plus communément appelée "salle de shoot" - aurait dû ouvrir en novembre dernier, sur un terrain mis à disposition par la SNCF et situé entre la gare du Nord, la gare de l'Est et l'hôpital Lariboisière. Mais le projet avait dû être annulé au dernier moment, à la suite d'un avis du Conseil d'Etat, qui soulignait la fragilité juridique du projet et recommandait d'en passer par une loi (voir notre article ci-contre du 10 octobre 2013).
La principale source de fragilité juridique pointée par le Conseil d'Etat résidait dans la contradiction entre la mise en œuvre de ce type de salle et la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie, à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses, qui interdit de favoriser l'usage illicite de stupéfiants. Le gouvernement et la mairie de Paris avaient alors annoncé qu'ils allaient retravailler ensemble "à la sécurisation juridique de ce dispositif".

Des précédents à l'étranger

L'exposé des motifs de la proposition de loi rappelle que la mesure figure parmi les 131 actions prévues par le plan gouvernemental d'action 2013-2017, présenté en janvier 2014 par la mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (Mildeca). Il indique aussi que "90 pays étrangers ont ouvert ce genre de structures qui permettent aussi de donner des conseils et d'apporter une aide spécifique aux usagers". Toujours selon l'exposé des motifs, "ces expériences étayées par des études scientifiques reconnues montrent une diminution des comportements à risque et des overdoses mortelles, ainsi qu'une réduction de l'usage de drogues en public et des nuisances associées, mais aussi des sources d'économie, notamment à l'égard du système de santé".
Sur le plan juridique, la proposition de loi lève l'obstacle de la loi de 1970, en autorisant - à titre expérimental et pour une durée de six ans - la mise en place d'un "espace ouvert au public de réduction des risques par usage supervisé", au sein des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarrud) désignés par arrêté du ministre de la Santé. Cette expérimentation devra se faire dans le respect d'un cahier des charges national.

Une consommation sous "supervision"

L'article 1er de la proposition de loi précise que "dans cet espace, sont accueillis des usagers de stupéfiants et d'autres substances psychoactives, majeurs, qui apportent et consomment sur place ces produits, sous la supervision d'une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médicosocial, également chargée du soutien des usagers à l'accès aux soins". La supervision "consiste à mettre en garde les usagers contre les pratiques à risques, à les accompagner et leur prodiguer des conseils relatifs aux modalités de consommation des produits [...] afin de prévenir ou de réduire les risques de transmission des infections et les autres complications sanitaires".
Il est bien précisé que "la supervision ne comporte aucune participation active aux gestes de l'injection". Les frais de fonctionnement de ces structures expérimentales seront à la charge de la sécurité sociale.

Proposition de loi ou projet de loi Santé ?

Si la décision d'en passer par un texte législatif n'est pas une surprise au vu des fortes réserves juridiques du Conseil d'Etat, le choix d'une proposition de loi semble plus surprenant. En effet, en présentant, il y a quelques semaines, les grandes orientations de son projet de loi Santé, Marisol Touraine avait bien indiqué que son texte comporterait "la définition du cadre de l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque" (voir notre article ci-contre du 20 juin 2014).
Reste à savoir s'il s'agit de sortir du projet de loi une disposition qui devrait donner lieu à controverses et focaliser l'attention au détriment du reste du texte, ou si le groupe PS entend prendre la main sur les sujets de société, comme il l'a déjà fait, il y a quelques semaines, avec certaines dispositions du projet de loi abandonné sur la famille.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : proposition de loi relative à l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque dans le cadre de la politique de réduction des risques (enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 17 septembre 2014).