Adaptation au vieillissement : bailleurs sociaux, collectivités et financeurs cherchent à démocratiser l’habitat inclusif

Mis en avant comme une solution intermédiaire aux multiples vertus, l’habitat inclusif se développe lentement. Pour démocratiser ce type d’habitat et répondre aux besoins croissants en termes de logement adapté et de lutte contre l’isolement, des bailleurs sociaux s’emparent petit à petit du modèle, en partenariat avec des collectivités et des entreprises spécialistes de l’accompagnement des personnes âgées dans ce cadre spécifique. Lors d’une récente rencontre du Hub des Territoires de la Banque des Territoires, l’accent a été mis sur la nécessité, pour multiplier le nombre de projets, d’un pilotage national clair et d’un partenariat local solide.

Comment le logement social peut-il se mettre "au service du bien-vieillir" et "l’habitat partagé peut-il être une réponse durable et accessible" ? Ces deux questions ont été posées le 12 juin 2025 lors d’une rencontre du Hub des Territoires organisée par la Banque des Territoires. Il y a un an, lors de premiers échanges sur le sujet, "nous avions conclu que l’un des enjeux était de rendre l’habitat inclusif le plus accessible possible et notamment financièrement", a expliqué en introduction Christophe Genter, directeur du département investissements à impact à la Banque des Territoires – laquelle investit environ 130 millions d’euros par an dans des projets d’habitat inclusif.

L’habitat partagé ou inclusif se développe sous différentes formes pour offrir une solution intermédiaire entre le maintien à domicile et l’Ehpad : un logement ordinaire où chaque habitant dispose à la fois de sa chambre ou de son appartement privé et d’un accès à des espaces communs et des services autour d’un projet de vie sociale partagé. Ce type d’habitat a connu un certain développement ces derniers années, sous l’impulsion de la loi Elan de 2018 et du financement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) de l’aide à la vie partagée (AVP). 

Habitat inclusif : des chiffres qui restent modestes 

En Essonne, "nous avons réussi en très peu de temps à construire des solutions sur le territoire avec souvent, à l’origine, la volonté d’un maire et la nécessité de trouver des solutions pour des personnes en perte d'autonomie. Cela permet aussi une mixité sociale, d'avoir des gens de générations différentes et de milieux différents, je pense que cela concourt à la construction d'une ville plus apaisée", témoigne François Durovray, président du département de l’Essonne. Parce qu’elle permet de rompre l’isolement des personnes – l’isolement étant un facteur d’aggravation de la dépendance - et de réduire les temps de trajet pour les aides à domicile, c’est en outre "peut-être une solution assez économique", ajoute Dominique Libault, directeur de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S). Si ce dernier considère que ces solutions intermédiaires ne sont pas pour tout le monde, il met néanmoins l’accent sur les "formes diverses" que l’habitat inclusif peut prendre – et donc sur sa capacité à répondre à différentes aspirations. 

Mais les chiffres restent modestes : 628 habitats en 2022 (après 543 en 2021), dans lesquels habitaient 5.642 personnes (dont 45% de personnes âgées et 55% de personnes handicapées), selon la CNSA qui compilait, en août 2024, les rapports d’activité 2022 des conférences des financeurs de l’habitat inclusif. Comment "massifier" ces solutions sans dénaturer le projet : c’est en substance le défi qui se présente aux acteurs de l’habitat inclusif, aux premiers rangs desquels les bailleurs sociaux. 

L’habitat inclusif : une solution parmi d’autres pour s’adapter au vieillissement des locataires 

Ces derniers se présentent comme "les premiers acteurs de l’habitat inclusif", dans une publication "Repères" publiée par l’Union sociale pour l’habitat (USH) en avril 2025. Selon la CNSA, les logements des habitats inclusifs étaient en effet en 2022 à 58% issus du parc social. Les associations et établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) sont quant à eux les premiers porteurs de projet (70%), suivis des communes (14%) et des bailleurs sociaux (5%). 

"Actuellement, près de 30% des logements sociaux sont occupés par des personnes de plus de 60 ans", selon l’USH. Le vieillissement de la population va s’accélérer, dans le parc social comme ailleurs (hausse de près de 40% des plus de 65 ans d’ici 2040) et les bailleurs sociaux sont déjà sollicités par des personnes dont le logement n’est plus adapté et qui n’ont pas les moyens d’en changer. "À peu près 10% de la demande annuelle de logement provient de personnes de plus de 60 ans, sensiblement moins sur les attributions parce qu'on n’a pas assez d'offre, mais c’est de l’ordre de 280.000 personnes. C'est non négligeable et c'est appelé à croître", souligne Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales de l’USH. 

Les bailleurs sociaux ont donc divers leviers pour agir : adapter les logements de leur parc (environ 100.000 par an), favoriser les "parcours résidentiels", donner accès à des services en lien avec l’écosystème local, investir dans des Ehpad et des résidences autonomie - dont ils ne sont en général pas exploitants – et développer des "produits alternatifs" - entre 4.000 et 8.000 logements par an, dont des résidences autonomie et des logements qui entrent dans le cadre de l’habitat inclusif. 

Portage politique et partenariat local : deux prérequis 

Pour monter de tels projets, les bailleurs sont confrontés à une double difficulté : "la complexité du monde social" - le nombre d’acteurs, la difficulté à innover… - et la petite taille des opérations – les logements accueillant huit à 10 personnes en moyenne -, explique Delphine Pavy, administratrice du GIE Générations à CDC Habitat. Pour mettre l’accent sur la gestion, l’accompagnement des seniors, plutôt que sur la promotion immobilière, le bailleur a noué un partenariat avec l’entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS) Domani pour tester un modèle, puis le développer. À Montfermeil (Essonne), la première opération d’habitat inclusif de CDC Habitat, qui a été accompagnée par le département, présente des standards de qualité avec un reste à charge, pour un T1, de l’ordre de 1.200 euros par mois, indique Delphine Pavy. 

Pour aller plus loin, selon les participants de la rencontre, plusieurs conditions doivent être réunies : un portage politique – en particulier celui du département et du maire -, un pilotage national assumé et de la visibilité sur les financements, la levée de freins à la construction de logement social, des solutions pour éviter la vacance et pour réduire le temps de montage des projets – cahiers des charges standardisés, notices… "Tout le monde voit la pertinence, mais tout le monde n’a pas encore vu comment cela fonctionnait", relève François Durovray. Le président de l’Essonne appelle plus globalement à "embarquer nos concitoyens" sur la question du vieillissement, pour qu’une réelle priorité soit donnée à ce sujet en termes de finances publiques. Les acteurs de l’habitat inclusif devraient être prochainement rassurés sur le maintien – au moins à court terme - de l’AVP. Selon son entourage, la ministre de l’Autonomie et du Handicap entend en effet donner une priorité claire au développement de l’habitat intermédiaire, avec notamment des objectifs ambitieux sur l’habitat inclusif. 

Outre cette "priorisation", Dominique Libault, qui est l’auteur du rapport à l’origine du service public départemental de l’autonomie (SPDA), insiste sur une double nécessité : celle d’évaluer cette politique au niveau national et, pour les acteurs, de "travailler ensemble" sur les territoires afin de développer ces solutions mais aussi les faire connaître – car tout est selon lui "très complexe pour les personnes elles-mêmes". 

› Publication du décret sur la réglementation incendie de l’habitat inclusif 

Attendu par les acteurs de l’habitat inclusif, le décret issu de la loi "Bien vieillir et autonomie" fixant des "règles spécifiques en matière de sécurité contre les risques d'incendie des locaux dans lesquels est établi l'habitat inclusif" a été publié au Journal officiel du 12 juin 2025. Ces locaux seront bien soumis aux règles des bâtiments d’habitation, et non plus à celles des établissements recevant du public (ERP), une simplification qui était demandée. Mais trois dispositifs spécifiques de sécurité devront être mis en œuvre (déclenchement d’une alarme incendie en cas d’incendie, dispositif d’évacuation des résidents et facilitation de l’intervention des services de secours). 

Référence : décret n° 2025-516 du 11 juin 2025 relatif aux règles spécifiques en matière de sécurité contre les risques d'incendie des locaux dans lesquels est établi l'habitat inclusif, publié au Journal officiel du 12 juin 2025. 

 

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