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Sports / Sécurité - Alain Bauer : "Les effectifs pour la sécurité des fans-zones de l'Euro 2016 n'existent pas"

Très vite après les attentats du 13 novembre, la question de la sécurité de l'Euro 2016 de football, qui aura lieu du 10 juin au 10 juillet, s'est posée. Les "fans-zones" seront au coeur des discussions lors d'une réunion le 24 novembre au ministère de l'Intérieur entre l'Etat, les villes-hôtes présidées par Alain Juppé, maire de Bordeaux, et l'organisateur. Après que le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, s'est dit réticent à ouvrir un tel lieu dans sa ville, le collège du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), placé sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, a, le 19 novembre, recommandé "fermement la suppression des fans-zones, dès lors qu'elles ne pourraient pas être prises en charge directement par les organisateurs avec leurs moyens propres". Son président Alain Bauer revient pour Localtis sur cette position.

Localtis - Dans quel cadre le Cnaps a-t-il pris position à propos de la sécurité des fans-zones de l'Euro 2016 ?

Alain Bauer - L'organe de contrôle et de régulation de la sécurité privée qu'est le Cnaps, composé pour moitié de professionnels et pour moitié de représentants de l'Etat, de personnalités qualifiées et de magistrats, a une mission d'habilitation, de contrôle, d'inspection et de conseil, visant à attirer l'attention de l'Etat sur des problématiques de sécurité. Cela fait plusieurs mois qu'il insiste régulièrement et publiquement pour marquer son inquiétude sur la question des fans-zones, non pas en termes d'existence, qui est un choix qui ne nous concerne pas, mais en termes d'effectifs disponibles pour répondre à la demande, dès lors que l'Etat était engagé par ailleurs, et que les professionnels dont la mission est de fournir un service indiquaient qu'ils ne seraient pas en mesure de le fournir avant même les attentats du 7 janvier 2015 étant donné la situation de la demande.

Comment se présente la sécurité de l'Euro 2016 ?

Le choix des professionnels, qui a amené le soutien unanime du collège jeudi dernier, a été de renforcer dans les meilleures conditions possibles la sécurisation des stades et des spectateurs et d'indiquer, de manière pour une fois extrêmement claire à des gens qui visiblement avaient un peu de mal à entendre ce que leurs fournisseurs et leurs prestataires leur disaient peut-être avec plus de forme et moins de force, que les effectifs très sous-estimés dont ils avaient besoin n'existaient pas et que eu égard à la situation [depuis le 13 novembre, ndlr], les effectifs complétés et renforcés existaient encore moins.

Quelle est la position de l'Etat sur la question ?

L'Etat nous entend parfaitement. Depuis de nombreux mois, il essaie d'obtenir des villes et de l'organisateur [l'UEFA et la Fédération française de football à travers la société Euro SAS 2016, ndlr] une estimation rationnelle, raisonnable et compréhensible des besoins dès lors que lui-même n'est pas en mesure d'y répondre et qu'il a toujours dit que les forces publiques ne suppléeraient pas la gestion de cette affaire. L'Etat a donc parfaitement fait son travail. La difficulté relève de la pluralité des interlocuteurs, du fait que beaucoup de ces espaces sont gérés au niveau local. On a l'impression qu'il y a comme un espoir secret, comme si en raison précisément de cette gestion au niveau local il y aura toujours une société qui voudra bien pourvoir à la fourniture des effectifs. Hier [jeudi 19 novembre, ndlr] au Cnaps, la communauté professionnelle, syndicats professionnels, grandes, moyennes et petites entreprises, ont dit : "Ces gens n'existent pas."

Quels rapports le Cnaps entretient-il avec les dix villes-hôtes de l'Euro 2016 ?

Les villes ne sont pas nos interlocutrices. Mais nous leur disons : soit, vous avez des moyens en propre, vous avez pris des précautions, vous avez intégré cette dimension sécuritaire, soit vous êtes dans le cas de Lyon, qui vient d'annuler la Fête des lumières, où dans la situation du maire de Toulouse qui a expliqué dans Le Parisien que la sécurisation n'était pas très claire et que les besoins qui semblent aujourd'hui s'exprimer interpellent. Le Cnaps assure que tous les efforts seront faits pour la sécurisation des stades, des centres névralgiques de la compétition. Chacun s'engage à faire les efforts nécessaires pour garantir la compétition. Par contre, pour tout ce qu'il y a à côté de la compétition, au jour d'aujourd'hui, en l'état des connaissances des professionnels et de ceux qui fournissent les effectifs, ceux-ci n'existent pas.

Les attentats du 13 novembre à Paris ont-ils changé la donne ?

Non, ils l'ont aggravée. Il n'y avait déjà pas d'effectifs avant. Il y en a encore moins maintenant car le niveau de tension existant sur les effectifs disponibles est considérable. La COP21 arrive. Je vous rappelle que l'Etat lui-même a pris des positions extrêmement simples en annulant tout ce qui devait avoir lieu autour de cet événement. Nous sommes exactement dans la même logique avec l'Euro 2016.

Propos recueillis par Jean Damien Lesay

Les fans-zones, un casse-tête sécuritaire

Prévues dans le cahier des charges de l'UEFA, les "fans-zones" doivent être mises en place dans chacune des dix villes-hôtes de la compétition. Elles doivent pouvoir rassembler en accès libre et gratuit jusqu'à 120.000 personnes (sur le Champ-de-Mars de Paris, par exemple), soit de 5 à 7 millions de spectateurs durant un mois, autour d'écrans géants diffusant les matchs, de lieux de restauration et de programmes de divertissement.
Selon une instruction interministérielle du 5 mars 2015, elles doivent être organisées par la ville-hôte avec le support technique d'Euro SAS 2016 et installées dans un emplacement choisi par le maire ou le président de la métropole, en étroite collaboration avec le préfet.
Toujours selon cette instruction, la ville-hôte devra prendre à sa charge la gestion de la sécurité interne et des accès. Le texte précisant par ailleurs que les dispositifs devront être "économes en apport de renforts extérieurs", c'est-à-dire qu'ils devront faire appel aux polices municipales et aux sociétés de sécurité privée.
D'après nos informations recueillies auprès de plusieurs villes concernées, les effectifs nécessaires ne sont aujourd'hui pas encore définis. Lors de l'Euro 2012 en Pologne, le ratio était de un agent de sécurité pour cent spectateurs. A titre de comparaison, la sécurité du Stade de France emploie 1.200 vigiles pour un match de l'équipe de France. Des spécialistes de la sécurité des grands événements sportifs estiment par ailleurs que les fans-zones sont des lieux plus difficiles à surveiller que des stades eux-mêmes.
La circulaire du 5 mars 2015 ajoute en outre que "l'organisateur […] doit prendre en compte la possible évolution de la posture Vigipirate et doit être en mesure de durcir, à tout moment, le niveau des contrôles", notamment en tenant compte de la "gradation des niveaux de contrôle […] quotidiennement définie par le préfet après analyse transmise par les services spécialisés de la DGPN en fonction de la menace et de l'évaluation du risque". Autrement dit, les collectivités devraient pouvoir faire preuve d'une grande adaptabilité devant les événements. Mais le pourront-elles étant donné le manque d'effectifs annoncé par le Cnaps ?

J. D. L.