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Commerce - Aménagement commercial : ce que la loi Pinel va changer

Le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a été définitivement adopté le 5 juin 2014. Au menu : une réforme de l'aménagement commercial avec un élargissement des critères d'autorisation des commissions départementales. Elles pourront notamment apprécier l'intégration du projet dans le paysage, son accessibilité par les transports collectifs ou plus largement sa qualité environnementale. Le texte réforme par ailleurs le régime des baux commerciaux et le Fisac. Des contrats de revitalisation seront expérimentés. Enfin, dans un autre domaine, le texte met fin au régime actuel de l'autoentrepreneur.

Cinq mois après sa présentation, le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a été définitivement adopté le 5 juin 2014, après un dernier vote du Sénat.
Le texte rassemble notamment les dispositions de nature législative qui ont été annoncées dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, du pacte pour l'artisanat présenté en janvier 2013 et du plan d'action pour le commerce et les commerçants de juin 2013. Objectifs : maintenir une offre commerciale et artisanale diversifiée sur les territoires et améliorer la situation locative des entreprises du commerce, notamment en centre-ville. 770.000 entreprises du commerce sont concernées, qui représentent près de 11% du PIB et emploient 3 millions de salariés et 360.000 indépendants. Le projet de loi définit les conditions que doit remplir une personne, physique ou morale, pour bénéficier de l'appellation d'artisan : être immatriculée au répertoire des métiers ou au registre des entreprises, justifier d'un diplôme, d'un titre ou d'une qualification professionnelle dans le métier concerné, exercer elle-même ledit métier. 

Nouveaux critères d'autorisation

S'il n'est pas la réforme tant attendue de l'urbanisme commercial, le texte comprend de nombreuses mesures dans ce domaine. Il simplifie tout d'abord les procédures d'autorisations des projets commerciaux en fusionnant le permis de construire et l'autorisation d'exploitation commerciale. Le permis aura désormais valeur d’autorisation dès lors qu'il a été validé par la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC). Les CDAC voient par ailleurs leurs critères de décision élargis. Elles devront prendre en compte les effets du projet sur l'aménagement du territoire, son intégration urbaine, la consommation économe de l'espace en termes de stationnement, l’animation de la vie urbaine, rurale, l'accessibilité par les transports collectifs, l’insertion paysagère et architecturale et plus largement la qualité environnementale de l'ensemble. Les CDAC comprendront désormais 11 membres (au lieu de 8) dont 7 élus. Par ailleurs, le projet de loi donne la possibilité à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) de s'autosaisir pour examiner les gros projets dont la surface de vente est d'au moins 20.000 mètres carrés.
A noter aussi la création de nouvelles commissions départementales d'aménagement cinématographique. Composées d'élus et présidées par les préfets, elles auront le rôle de valider ou non l'implantation de nouvelles salles de cinéma, le but étant de freiner l'expansion des multiplexes afin de sauvegarder les petites salles.
Le texte offre par ailleurs la possibilité aux élus de réintroduire le document d'aménagement commercial (DAC) dans les schémas de cohérence territoriale (Scot). Celui-ci avait été supprimé par la loi Alur (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) qui avait écarté la possibilité de définir des périmètres d'implantation commerciale. Finalement, à travers un amendement adopté par le Sénat, le DAC va localiser "les secteurs d'implantation périphérique ainsi que les centralités urbaines, qui peuvent inclure tout secteur, notamment centre-ville ou centre de quartier, caractérisé par un bâti dense présentant une diversité des fonctions urbaines, dans lesquels se posent des enjeux spécifiques", signale le projet de loi. "Aider les artisans, redonner aux élus la maîtrise de l'aménagement commercial, tels sont les enjeux de ce texte", a souligné Delphine Bataille, sénatrice PS du Nord, lors des discussions le 5 juin.
Le projet de loi comporte aussi une réforme du Fisac (fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce). Les crédits du fonds seront attribués selon une logique d'appel à projets contre la logique actuelle de guichet. "Les opérations, les bénéficiaires et les dépenses éligibles sont définis par décret, précise le texte, ce décret fixe également les modalités de sélection des opérations et la nature, le taux et le montant des aides attribuées."

Des contrats de revitalisation artisanale et commerciale en expérimentation

Le texte autorise aussi les commerces sensibles à installer sur la voie publique des systèmes de vidéoprotection "aux fins d'assurer la protection des abords immédiats de leurs bâtiments et installations, dans les lieux particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol". Le maire en sera informé. Le dispositif nécessitera l'autorisation des autorités publiques compétentes. Les conditions de mise en oeuvre et le type de bâtiments et d'installations concernés doivent être définis par décret en Conseil d'Etat.
Le projet de loi Pinel propose aussi d'expérimenter, sur cinq ans, la mise en oeuvre par l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi que par leurs établissements publics, de contrats de revitalisation artisanale et commerciale. L'objectif de ces contrats est de favoriser la diversité, le développement et la modernisation des activités dans des périmètres caractérisés soit par une disparition progressive des activités commerciales, soit par un développement de la mono-activité au détriment des commerces et des services de proximité, ou encore par une dégradation de l'offre commerciale. Ils devront aussi contribuer à la sauvegarde et à la protection du commerce de proximité. "Les quartiers prioritaires de la politique de la ville figurent parmi les périmètres ciblés par ce dispositif expérimental", précise le projet de loi. Un rapport intermédiaire sera remis avant la fin de l'année 2017 et un rapport d'évaluation avant la fin de l'année 2019. Ils seront délivrés au préalable aux collectivités territoriales qui ont participé à l'expérimentation. "Les élus disposeront, avec les contrats de revitalisation commerciale, d'un outil utile", s'est réjouie Carole Delga, secrétaire d'Etat chargée du Commerce, de l'Artisanat, de la Consommation et de l'Economie sociale et solidaire, le 5 juin au Sénat, après avoir repris le dossier suite à la démission pour raison de santé de Valérie Fourneyron (cette dernière avait remplacé Sylvia Pinel lors du dernier remaniement).
Par ailleurs, le droit de préemption des communes, jugé complexe et rarement utilisé, a été assoupli. D'après le texte, une commune va pouvoir déléguer son droit de préemption à un établissement public, une société d'économie mixte, au concessionnaire d'une opération d'aménagement, ou au titulaire d'un contrat de revitalisation artisanale et commerciale.

La réforme du régime des baux commerciaux

Le projet de loi tente de réformer le régime des baux commerciaux. "Le régime des baux a soixante ans, il fallait le rénover", a souligné Carole Delga. La durée du bail dérogatoire est portée de deux à trois ans, facilitant l'installation des nouveaux commerces. L'indice du coût de construction (ICC) va être remplacé par l'indice des loyers commerciaux (ILC), plus stable et mieux corrélé à la réalité économique des entreprises. Les augmentations annuelles de loyers seront quant à elles limitées à 10% du dernier loyer acquitté. L'idée est d'éviter des hausses brutales mettant en péril les entreprises commerciales et artisanales. Dans un communiqué publié le 27 mai 2014, Procos, la fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé, s'est félicitée de ces mesures qu'elle considère comme "des avancées majeures". A l'inverse, le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) a critiqué le fait de limiter à 10% les augmentations de loyers. "Cette mesure au vernis au demeurant sympathique constitue un véritable encadrement des loyers qui va inévitablement provoquer une rupture d'équilibre de l'ensemble des relations locataires/bailleurs, signale ainsi le CNCC dans un communiqué du 5 juin, la valeur des pas-de-porte va mécaniquement augmenter, rendre l'accès des jeunes commerçants aux bons emplacements encore plus difficile, sanctuariser les positions des commerçants en place." Le texte instaure aussi un droit de préférence pour le locataire en place en cas de vente du local. 

Emilie Zapalski


La réforme du régime de l'autoentrepeneur
Le régime de l'autoentrepeneur a été modifié par le projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, adopté définitivement le 5 juin 2014. Le régime est fondu dans le nouveau régime de la "microentreprise" qui englobera le microsocial, réservé jusque-là aux autoentrepreneurs, et le microfiscal.
Pour Elisabeth Lamure, sénatrice UMP du Rhône, "le texte est allé trop loin, dans le démantèlement du statut de l'autoentrepreneur, réussite de la précédente majorité". Durant les débats du 5 juin 2014, la sénatrice UMP du Rhône a ainsi insisté sur les nouvelles contraintes imposées à ce statut. "Si les nouvelles obligations assurantielles sont bienvenues, le stage obligatoire, l'assujettissement à la CFE dès la première année, l'obligation d'acquitter les cotisations sociales même en l'absence de recettes sont des erreurs et des complications inutiles. Vous touchez là au principe cardinal du régime : zéro recette, zéro impôt, zéro cotisation", a-t-elle souligné. A l'inverse, Robert Tropeano, sénateur RDSE de l'Hérault, s'est félicité de cette réforme jugée majeure. "Plusieurs exonérations injustifiées, voire dangereuses, dont bénéficiaient les autoentrepreneurs sont supprimées", a-t-il expliqué.
Le texte impose ainsi certaines contraintes aux autoentrepreneurs qui souhaitent se lancer dans une activité artisanale. Ils devront réaliser un stage de formation obligatoire avant leur installation, comme les autres artisans (coût de 75 à 250 euros) et mentionner sur leurs devis et factures leur assurance professionnelle. A l'inscription en autoentreprise, l'artisan devra aussi délivrer ses qualifications. Enfin, commerçants et artisans devront s'immatriculer sur un registre.
En revanche, les seuils à ne pas dépasser pour pouvoir bénéficier du régime n'ont pas été diminués, contrairement à ce qui avait été prévu initialement. Ils restent à 32.900 euros de chiffre d'affaires pour les services, artisans et professions libérales, et à 82.200 euros pour les activités d'achat-vente, et le chiffre d'affaires des commerçants. De même aucune durée minimale d'existence n'a été instaurée, contrairement à ce que Sylvia Pinel avait évoqué lorsqu'elle était en charge du dossier.
Enfin, malgré les tentatives de certains sénateurs, la question du "salariat déguisé" par l'intermédiaire du statut de l'autoentrepreneur, n'a pas vraiment été traitée. L'amendement sénatorial qui proposait de supprimer la présomption de non-salariat, n'a pas été retenu. "Je suis très surprise de cet avis favorable, avait souligné Elisabeth Lamure lors de la commission mixte paritaire du 21 mai. Nombre d'autoentrepreneurs sont des salariés déguisés : c'est une déviance du système." D'après Laurent Grandguillaume, député SRC de Côte-d'Or, sur les 1.500 contrôles effectués par l'Urssaf entre 2012 et 2013, 3% seulement de salariat déguisé a été relevé…
L'entrée en vigueur de ces mesures devrait intervenir début 2015.

E.Z.