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Aménagement du territoire : "L'Etat a été totalement défaillant"

Un rapport sénatorial veut donner un second souffle à l'aménagement du territoire, laissé en déshérence depuis de nombreuses années. Il propose une nouvelle organisation qui reposerait sur un "Etat stratège" et un binôme régions-EPCI. Trois grandes priorités sont à traiter d'urgence : la fracture numérique, les déserts médicaux et le ferroviaire.

Sanitaire, numérique, scolaire, universitaire, ferroviaire, économique… la fracture territoriale "ne cesse de s’accroître" dénoncent les sénateurs Hervé Maurey (Eure, UDI) et Louis-Jean De Nicolaÿ (Sarthe, LR) dans un rapport d’information intitulé "Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité" présenté le 31 mai. Selon eux, c’est le résultat d’une "absence de volonté politique". Le vote FN arrivé en tête dans 19.000 communes lors de l’élection présidentielle "montre bien la désespérance des territoires, le sentiment d’abandon", a souligné Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Depuis une vingtaine d’années, "l’Etat a été totalement défaillant", "l’aménagement du territoire est devenu le parent pauvre des politiques publiques", a-t-il développé. Le sénateur a eu la dent dure contre le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) - qui a remplacé la Datar - : "Il ne se positionne plus comme un acteur de l’aménagement du territoire, tout au plus comme un facilitateur. Nous, nous les voyons plutôt comme des spectateurs", a-t-il lancé.

Binôme régions-EPCI

Les rapporteurs entendent avant tout rétablir un "Etat stratège", pilote de l’aménagement du territoire, et le conforter par le binôme région-EPCI. Derrière l’Etat stratège, les sénateurs préconisent de mesurer systématiquement l’impact des projets de lois et décrets en termes d’aménagement du territoire (ils relaient à ce titre le Conseil d’Etat qui avait jugé bien mince l’étude d’impact de la récente loi Montagne). Ils proposent de faire de l’aménagement du territoire un critère prioritaire des choix d’investissement et d’évaluer les différents schémas et zonages existants (à cet égard, la réforme des zones de revitalisation rurale de 2015 manquerait d’ambition, d'après eux). Quant au CGET, ils souhaitent en faire une "structure de pilotage stratégique du territoire national" placé sous l’autorité d’un secrétaire d’Etat à l’aménagement du territoire, rattaché directement au Premier ministre. Dans cette adresse au nouveau gouvernement, les deux sénateurs se montrent sceptiques sur la création du tout nouveau ministère de la Cohésion des territoires. Adosser l’aménagement du territoire à une autre compétence (telle que le logement) s'est avéré un "mauvais choix" dans le passé, a expliqué Hervé Maurey. A chaque fois, cette autre compétence est considérée comme "plus urgente".

Moratoire des réformes territoriales

Dans cette configuration, les deux sénateurs réclament "un moratoire des réformes territoriales", afin de digérer les évolutions récentes qui ont fait des régions et intercommunalités deux niveaux d’intervention "particulièrement décisifs" dans ce domaine. La région doit élaborer une "stratégie de développement et d’aménagement équilibrés du territoire" qui pourrait s’appuyer sur les deux nouveaux schémas : le SRDEII et le Sraddet. Les nouvelles intercommunalités (dont certaines regroupent plus de 100 communes) ont "l’obligation et la capacité de faire de l’aménagement du territoire", a insisté Hervé Maurey. Cependant, le département peut avoir "un rôle extrêmement important et variable selon les situations" en matière de cohésion territoriale, notamment là où n’existe pas d’EPCI forts ni de villes moyennes assurant un maillage territorial. Pour Hervé Maurey, il faut aussi "renforcer le réseau des villes petites et moyennes qui connaissent un affaiblissement inquiétant, alors qu’elles constituent l’armature de l’organisation territoriale de notre pays". Les sénateurs mettent en garde contre le phénomène de métropolisation. Entre 2000 et 2010, les métropoles ont capté 75% de la croissance, ont-ils illustré.

Trois grandes priorités

Le rapport fait de la "contractualisation" la méthode centrale de l’aménagement du territoire. Les sénateurs plaident pour une simplification des normes et une réforme des mécanismes financiers afin de les rendre plus équitables et incitatifs. Ils proposent d’instaurer une loi de financement des collectivités territoriales comprenant un volet aménagement du territoire.
Les sénateurs souhaitent assigner trois grandes priorités à l’aménagement du territoire : l’accessibilité numérique, la lutte contre les déserts médicaux et le ferroviaire. "Certains territoires subissent une situation de décrochage numérique (…) et ne disposent toujours pas d’un accès de base dont les habitants des grandes villes bénéficient depuis plus d’une dizaine d’années", déplorent-ils. Par manque de volontarisme, la France prend même du retard en Europe, en dépit des effets d’annonce. Elle se classe au 27e rang sur 28 des pays européens pour le très haut débit, avec seulement 47% des foyers couverts, selon un indice publié en mars dernier par la Commission européenne.
Hervé Maurey a taclé aussi bien François Fillon - qui a mené une politique "totalement contraire à l’aménagement du territoire" en permettant aux opérateurs d’aller où ils le souhaitaient - qu’Emmanuel Macron. Lorsqu’il était ministre, ce dernier s’était engagé à mettre la pression sur les opérateurs de téléphonie mobile et à achever la couverture en 2G au 31 décembre 2016, a rappelé le sénateur de l’Eure. Or en janvier, 296 communes n’étaient toujours pas couvertes !
De même, en matière médicale, 3 millions d’habitants rencontrent un "réel problème d’accessibilité". A titre de comparaison, l’Eure recense 167 médecins pour 100.000 habitants alors que Paris en compte 678… "Sans une régulation à l’installation de médecins, on n’arrivera jamais à régler le problème", a martelé Hervé Maurey, renvoyant aux conclusions d’un groupe de travail de 2013.
En matière ferroviaire, le rapport suggère de réaliser un état des lieux et de prévoir une programmation pluriannuelle de remise à niveau. Pour Hervé Maurey, "il ne faut pas rechercher la rentabilité partout. (…) Ce serait la négation de l’aménagement du territoire."
Le rapport se félicite de la mise en place des 1.000 maisons de services au public. Il recommande enfin de reconstituer une capacité d’ingénierie territoriale, d'accompagner la transition verte et d’exiger un véritable "Agenda des territoires" auprès de la Commission européenne, distinct de la politique agricole commune.
Les sénateurs espèrent ainsi peser sur les choix du nouveau gouvernement. Rendez-vous est pris dans quelques mois pour un débat en séance plénière, auquel le gouvernement est convié...

 

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