Assises des départements : quelques coups de pouce financiers en attendant d'autres chantiers

Les Assises nationales des départements se sont conclues ce 10 novembre à Strasbourg par la venue d'Elisabeth Borne, peu après l'adoption par les élus d'une résolution centrée sur la nécessaire "reconstruction" de la décentralisation. La Première ministre a mis l'accent sur les avancées à l'oeuvre depuis un an dans le travail commun entre le gouvernement et les départements – une méthode qu'elle entend élargir. Et a annoncé des abondements financiers en faveur des départements les plus en difficulté via le fonds de sauvegarde, les fonds de concours de la CNSA et les crédits MNA.

François Sauvadet, le président de Départements de France (DF), avait annoncé la veille, dès l'ouverture des Assises nationales des départements, à Strasbourg, que les élus lanceraient un "Appel d'Alsace". Ce vendredi 10 novembre en clôture, dans l'hémicycle du Parlement européen accueillant pour l'occasion les présidents de département et conseillers départementaux, cet appel aura été consensuel. Tant dans la teneur des prises de parole des représentants des deux groupes politiques de l'association que dans la résolution finale du congrès, adoptée à la quasi-unanimité (558 votes favorables, 18 absentions, 4 votes contre). Un appel au gouvernement et, plus spécifiquement, à Élisabeth Borne, présente pour l'ensemble de la séquence.

Cet appel, c'est avant tout celui d'une relance de la décentralisation, en commençant par "une analyse objective de 40 ans" de ce processus visant, tel que l'a formulé Jean-Luc Gleize, le président du groupe de gauche de DF, à "définir le meilleur niveau d'action publique pour répondre au mieux aux besoins des citoyens". Il en avait beaucoup été question lors de la première journée des Assises (voir notre article). La résolution revient largement sur le sujet, insistant sur les notions de libre administration, de "vertus démocratiques et citoyennes" de la décentralisation, de nécessaire "lâcher-prise" de l'État, de "pacte de confiance", de couple département-commune, de "diversité territoriale", d'adaptation des normes, de "capacité d'initiative"…

En termes de compétences, le document avance quelques demandes plus précises. Dont celle d'"élargir, au titre de la solidarité territoriale (…), les compétences départementales actuelles à l'économie de proximité, l'agriculture, la pêche, le soutien aux petites entreprises artisanales". Ou celle d'"obtenir une gouvernance du logement à l'échelle départementale, en s'appuyant sur les plans départementaux de l'habitat, les offices départementaux d'habitat et en prévoyant à titre expérimental, la création d'un comité départemental de l'habitat et de l'hébergement".

"La vraie réforme de la décentralisation attendue, c’est le changement des pratiques de l’État", a résumé François Sauvadet. Un État qui redonne aux collectivités "des espaces de liberté"… mais aussi un État qui "assume ses missions".

"Accentuer, et non pas rogner"

Élisabeth Borne a assuré que l'exécutif était "prêt à accentuer la décentralisation". "Accentuer, et non pas rogner", a-t-elle insisté, évoquant la différenciation, la "capacité à innover et expérimenter" et à "généraliser ce qui a marché"… Elle s'est en outre dite consciente que cela suppose un "changement de pratiques, et même de principes, pour ne pas dire de philosophie, dans les modalités d'action des services territoriaux de l'État". "C'est bien ce que j'attend des préfets", a-t-elle ajouté. La Première ministre a également mis en avant la nécessité d'une "forme de stabilité" : "Je le redis, aujourd'hui et demain, le département est un échelon indispensable pour l'action publique locale."

Pourquoi cette réaffirmation, que l'on aurait pu penser superflue ? Parce que Matignon n'ignore pas que les termes de la récente lettre de mission d'Emmanuel Macron à Éric Woerth (voir notre article) ont quelque peu agité cette réunion annuelle des départements en suggérant une "réduction du nombre de strates". "Quand je vois se rouvrir, à la demande du président de la République, un débat sur la décentralisation en se posant la question du nombre de strates, je pense qu’on va droit dans le mur", a redit vendredi François Sauvadet. Cette lettre "contribue à nous inquiéter plus qu'à nous rassurer", a souligné Jean-Luc Gleize.

France travail : "des modalités adaptées à chacun"

Il y a un an, lors des précédentes Assises qui avaient lieu à Agen, gouvernement et DF s'étaient engagés dans un "programme de travail commun" (voir notre article d'octobre 2022). "Nous avons joué le jeu, il y a eu des avancées et de l'écoute, à chaque fois que la main était tendue nous l'avons saisie, mais nous avons à peine entamé le chemin – certaines promesses sont apparues comme des mirages", a jugé Nicolas Lacroix, le président du groupe DCI (droite, centre et indépendants).

Des avancées, donc, ont toutefois été largement reconnues. L'exemple le plus cité étant celui du projet de France travail. "France travail a permis d’avancer avec Pôle emploi et l’expérimentation porte déjà ses fruits. Je l’ai vu dans mon propre département. Parce qu’on a respecté les compétences de chacun. Et Départements de France a pris toute sa part pour que l’esprit de la loi respecte l’équilibre auquel nous sommes parvenus", a ainsi témoigné François Sauvadet. "Le chemin doit se poursuivre, avec des modalités adaptées à chacun", a assuré Élisabeth Borne, évoquant l'expérimentation menée avec 18 départements, qui aurait permis d'"enrichir le texte".

La veille d'ailleurs, lors d'une séquence consacrée à France travail en présence de Thibaut Guilluy, le haut commissaire à l'Emploi, certains ont d'ailleurs regretté que le projet de loi Plein Emploi soit arrivé "avant la fin de l'expérimentation". Thibaut Guilluy s'est pour sa part félicité de la qualité du "travail de co-construction mené avec Départements de France et avec chaque département expérimentateur" et a souligné que "la loi ne sera pas prescriptive dans la mise en œuvre". Y compris dans le fait d'avoir "des approches différentes" sur le sujet de la conditionnalité du RSA (sachant que trois départements expérimentateurs, la Loire-Atlantique, l'Ille-et-Vilaine et le Grand Lyon, ont fait le choix d'écarter toute conditionnalité et toute sanction et souhaitent "montrer qu'on peut réussir sans").

Pour Élisabeth Borne, d'autres dossiers sont à mettre dans la pile des avancées. Elle a cité le Pacte des solidarités en tant que "plan d'actions contre la pauvreté" avec des engagements mutuels de l'État et des départements, le handicap avec la Conférence nationale du handicap d'avril dernier (soulignant au passage que le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit des moyens nouveaux en faveur de l'objectif de 50.000 "solutions" supplémentaires d'ici 2030), la proposition de loi Bien vieillir qui "consacre le rôle du département"…

La sécurité civile aura son comité

La Première ministre a indiqué vouloir "renforcer encore la concertation", notamment s'agissant des "nouvelles dépenses". Et prend à ce titre modèle sur le "comité des financeurs" mis en place dans le champ social et médico-social. "Tout n'est pas réglé mais c'est une instance essentielle", a-t-elle dit, sachant que la ministre Aurore Bergé décrit ce comité comme "une instance de dialogue qui doit permettre d’anticiper, de débattre et de s’accorder sur les solutions". À entendre certains élus toutefois, les choses ne se font pas sans couacs.

Le gouvernement souhaite en tout cas appliquer cette même méthode de travail à d'autres domaines. Ainsi, celui de la sécurité civile aura aussi son comité, a annoncé Élisabeth Borne. Où les sujets ne devraient pas manquer. "Nous avons obtenu certaines choses suite à la mission confiée à André Accary et Jean-Luc Gleyze [présenté il y a un an lors des Assises d'Agen, voir notre article]. On vous a fait des propositions sur l’évolution de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance. Et il faudra remettre à plat le mode de financement de nos Sdis. On a évolué dans le pacte capacitaire pour nos pompiers. Mais là aussi il faut avancer", a notamment posé François Sauvadet.

Protection de l'enfance : "de nouveaux engagements"

Reste, de nouveau sur le terrain du social, le domaine de la protection de l'enfance, qui fait partie des gros sujets de préoccupation du moment pour les départements, y compris en termes financiers (ce qu'une note de la Banque postale publiée à l'occasion des Assises confirme - voir notre article de ce jour). On sait que de récents propos de la secrétaire d'État Charlotte Caubel – présente ce vendredi à Strasbourg aux côtés d'Élisabeth Borne – sur une option de recentralisation ont fait bondir les élus. On dit aujourd'hui qu'il y aurait eu un malentendu. Élisabeth Borne a toutefois jugé utile de mettre les points sur les i : "Je n'imagine pas un instant que les Ddass faisaient mieux que vous."

Mais, a-t-elle poursuivi, un diagnostic s'impose : même si "la contractualisation fonctionne" – et sera donc pérennisée – , l'ASE "est un service public structurellement en tension". Et la cheffe du gouvernement d'annoncer la tenue prochaine d'un comité interministériel à l'enfance dans le cadre duquel seront pris "de nouveaux engagements", notamment en matière de santé et de scolarité ainsi que d'insertion des jeunes majeurs. Et parce qu'il faut "aller plus vite et plus loin", elle entend lancer "une mobilisation générale pour l'enfance protégée" avec, là encore, la mise en place d'une "nouvelle instance de dialogue".

S'agissant de l'enjeu spécifique des mineurs non accompagnés (MNA), François Sauvadet avait rappelé qu'on "dépassera les 44.000 MNA à la fin de l’année", représentant "une charge de 2 milliards d'euros pour les départements". Répondant à une demande de DF, Élisabeth Borne a annoncé que l'enveloppe de l'État soutenant le financement de la phase de mise à l'abri "sera portée à 100 millions d'euros". Soit une hausse d'environ 30%. Également évoqués, la mise en place d'un "cadre commun pour l'évaluation" de la minorité (évaluation dont les départements souhaitent conserver la maîtrise) et "une réduction des délais de recours".

Autonomie : réforme des fonds de concours

Autre annonce financière, cette fois sur l'autonomie : "La CNSA va dégager une première enveloppe de plus de 150 millions d'euros dès l'année prochaine. Ainsi, vos dépenses d'aide à l'autonomie seront couvertes a minima à 40%". Des crédits qui devront "d'abord bénéficier aux départements en difficulté" (et départements qui, précise Matignon, sont aujourd'hui mal compensés, sachant que pour certains d'entre eux, les fonds de concours de la CNSA ne couvrent par exemple que 34% des dépenses). Un amendement en ce sens sera déposé dans le cadre de la discussion du PLFSS au Sénat.

Il ne s'agit que d'une "première marche" pour 2024. L'étape suivante devant être "une réforme du financement du grand âge qui nous permette d'assumer à parité avec [les départements] la dynamique des dépenses dans les prochaines années". La "dynamique"… autrement dit uniquement les dépenses nouvelles (et non le "stock"). Si Aurore Bergé a évoqué cette réforme des fonds de concours "pour 2025", Matignon précise que les choses "commenceront en 2025" mais se feront nécessairement "petit à petit, à horizon 2027 voire 2030". L'idée étant en effet, pour atteindre un financement 50% CNSA / 50% départements, de simplifier et moderniser les financements actuels composés d'une sédimentation de plus d'une dizaine de "flux". Un gros chantier qui demande du temps.

Abondement du fonds de sauvegarde

Enfin, Élisabeth Borne a accédé à la demande de DF de venir au secours des départements les plus en difficulté du fait, principalement, d'une "contraction" des droits de mutation (DMTO) et/ou de difficultés sociales accrues. Ainsi, une quinzaine d'entre eux bénéficieront du "fonds de sauvegarde", lequel sera "alimenté à parité par l'État et les départements", soit "au total, plus de 100 millions d'euros pour les accompagner". On rappellera que ce fonds de sauvegarde, actuellement de 60 millions, a été constitué à l'occasion du remplacement pour les départements de la taxe sur le foncier bâti par une part de TVA, et est alimenté depuis 2022 par la croissance d'une part fixe de TVA de 250 millions d'euros. Le nouvel abondement de l'État passera par un amendement au projet de loi de finances (PLF) qui viendra "modifier les critères", précise Matignon.

Dans leur résolution comme dans leurs échanges durant ces deux jours, les départements avaient dit combien, pour reprendre les termes de François Sauvadet, ils ont "besoin de la solidarité nationale pour continuer d'assumer les missions que le législateur [leur] a confiées" - notamment en matière de vieillissement et d'allocations individuelles de solidarité (AIS). Mais ils avaient aussi dénoncé une "mise sous perfusion permanente", demandé une "garantie pluriannuelle des recettes" et insisté sur la nécessité de retrouver une autonomie financière et fiscale, avec une "capacité de lever l'impôt". La Première ministre n'a pas directement abordé le sujet. Au risque que ses annonces soient perçues par certains comme autant de rustines bienvenues mais insuffisantes.

 

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