Archives

Commande publique - Avec l'ordonnance Marchés publics, l'acheteur nouveau est arrivé

La 172e session d'études de l'Apasp, consacrée au nouveau droit des marchés publics, s'est tenue mardi 22 mars. L'occasion de faire le portrait d'une profession dont ce nouveau cadre renouvelle et complexifie les missions.

L'Association pour l'achat dans les services public (Apasp) a tenu sa 172e session d'études mardi 22 mars 2016, au siège de la Fédération française du bâtiment (FFB). L'occasion pour ce "club" d'acheteurs, acquis à la cause de la commande publique, de dresser le portrait du "nouvel acheteur public", alors que l'ordonnance Marchés publics, et surtout son décret d'application - dont la parution est imminente - refaçonne le droit de la commande publique.
En matière de transposition des directives européennes, la France fait pour cette fois figure de bonne élève, a rappelé Jean-Marc Peyrical, président de l'Apasp, en préambule. La transposition des directives de 2014 sur les marchés et les concessions dans le droit français est presque achevée, alors que près de la moitié des Etats membres ne seront pas prêts au 18 avril 2016, date butoir. Certes, notre pays aurait une fois de plus cédé à son "péché mignon", la surtransposition, en incluant dans le texte les marchés de services juridiques, suscitant ainsi un recours de l'ordre des avocats devant le Conseil d'Etat. Mais la haute juridiction a tranché (voir ci-contre notre article du 11 mars 2016) : l'ordonnance est validée.

Un acheteur aux responsabilités multiples

Place au décret d'application, pas encore publié, et dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er avril. Autant dire que les représentantes de la Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, venues présenter les objectifs du nouveau droit des marchés, ont été accueillies dans une ambiance où perçaient impatience et ironie mêlées. Rappelant tout d'abord que la version du texte qui avait "fuité" (voir notre article du 16 mars 2016 ci-contre) n'engageait pas l'Etat, elles ont ensuite souligné quelques points notables de la nouvelle législation : dématérialisation totale du processus de passation à l'horizon 2018, reconnaissance du "sourçage", possibilité de régulariser des offres (voir notre article du 26 février 2016 ci-contre). La DAJ ne manquera pas d'accompagner cette réforme du droit des marchés, en refondant les fiches disponibles sur son site et en s'impliquant dans des démarches de formation. Il est également possible de contacter le bureau du conseil aux acheteurs par voie électronique.
Au total, les dispositions donnent beaucoup de responsabilités à l'acheteur nouveau, a résumé Jean-Marc Peyrical, à l'issue de cette intervention. Il devra ainsi privilégier les achats : économes en énergie, favorisant les circuits courts dans le domaine alimentaire, responsables, innovants et aidant les PME. D'où l'impérieuse nécessité pour la personne publique, et tout particulièrement les nouvelles intercommunalités, de définir une stratégie d'achat et de former leurs acheteurs. Le président de l'Apasp s'est également réjoui de l'ouverture des données relatives aux marchés publics, les estimations concernant le poids économique de la commande publique étant très variables.

Souplesse accrue

Le projet de décret introduit davantage de souplesse dans le domaine de la commande publique, en consacrant la pratique du sourçage, désormais nommé "études et échanges préalables avec des opérateurs économiques" et en élargissant aux marchés formalisés les possibilités de recours à la négociation. Cette souplesse accrue, qui permet, avec le sourçage, de tester la viabilité d'une offre et de mobiliser les entreprises quand la concurrence risque de faire défaut, appelle de la part de l'acheteur une vigilance accrue. Jean-Marc Peyrical énonce quelques principes de précaution : pas de communication de documents qui s'apparenteraient à un cahier des charges, rédaction d'un compte-rendu à la suite des échanges préalables et, à la fin de cette consultation, rédaction d'un cahier des charges particulièrement exhaustif et transparent, de façon à assurer l'égalité de traitement entre les opérateurs économiques.
Philippe Maraval, directeur achats-marchés de Pôle emploi, est quant à lui revenu sur la pratique de la négociation, non sans avoir auparavant salué l'évolution de la législation et la reconnaissance récente de la fonction "achat", symbolisée pour lui par la transformation du Service des achats de l'Etat (SAE), en une direction de plein exercice, la Direction des achats de l'Etat (DAE), au 3 mars 2016. La complexité accrue des missions dévolues aux acheteurs publics appelle pour lui un effort de formation et une sophistication accrue des méthodes de travail.

Le DCE, "un consensus social autour du besoin"

Il a rappelé les cas d'usage nombreux pour lesquels la négociation était prévus par le code, et le poids économique déjà dominant de la négociation dans la gestion de la dépense publique : ainsi seuls 48% des dépenses sur marchés étaient concernés par un appel d'offres en 2011, selon l'Observatoire économique de l'achat public. Pour autant, il faut bien être au clair sur le fonctionnement de ce mécanisme et les risques qu'il recèle.
D'après une étude de l'IAE Panthéon-Sorbonne de 2013, si la procédure négociée a fait baisser les prix de 25% en moyenne dans le cadre de 427 marchés de travaux de l'OPH de Paris, cela découle de la clarification de l'expression du besoin de la personne publique, qui a abouti à une réduction de la prime de risque initiale générée par le flou du cahier des clauses techniques particulières (CCTP).
Si cette clarification est nécessaire et inévitable, elle ne doit pas, selon Philippe Maraval, conduire à "sacrifier la puissance" du document de consultation des entreprises (DCE). Il rappelle à juste titre que ce dernier n'est pas un simple document technique, mais bien la résultante d'arbitrages au sein de la collectivité, un "consensus social autour du besoin", que le seul acheteur ne peut amender au cours de la négociation, pour un gain souvent illusoire.

Gare au conflit d'intérêts !

De cette liberté accrue des acheteurs découle un renforcement de leur responsabilité. Ceci s'applique tout particulièrement dans les situations où des conflits d'intérêts, voire des soupçons de favoritisme, pourraient se faire jour, a averti Thomas Rouveyran, avocat chez Seban et associés. Tant la loi sur la transparence de la vie publique que le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires, actuellement en commission mixte paritaire, renforcent les dispositions préventives en ce domaine. D'où la nécessité de mettre en œuvre des bonnes pratiques, afin de détecter très en amont les situations potentiellement conflictuelles et d'éviter le recours ultime à l'exclusion du candidat, lorsque la situation de conflit ne peut être évitée. Une mesure qui ne serait pas sans risque juridique elle-même.
Se dégage au total de cette journée l'image d'une fonction "achat" de plus en plus centrale dans les organisations, d'un acheteur public disposant avec les nouvelles dispositions d'une "boîte à outils" assez complète, même si de nombreux points restent à préciser - voire seront tranchés par la jurisprudence. Cet acheteur nouveau sera également plus un spécialiste qu'un généraliste, et mieux formé, afin de faire face à la complexité croissante de sa mission. A charge pour les personnes publiques, dont les collectivités, de les accompagner dans cette évolution.
Localtis reviendra sur cette journée, ainsi que sur celle de mercredi 23 mars, consacrée à l'innovation et à l'achat public, dans ses prochaines éditions.
 

 

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis