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Assises des villes moyennes - Beauvais : "Toute une batterie d'outils destinés aux travailleurs pauvres"

Les quatrièmes Assises des villes moyennes et intercommunalités, organisées les 4 et 5 juin à Châlons-en-Champagne par la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM), vont permettre aux maires de ces villes de 20.000 à 100.000 habitants de débattre des réformes en cours et d'échanger autour des solutions innovantes qu'ils déploient pour faire face à la crise. Quelles sont, dans ce contexte difficile, les stratégies mises en œuvre par les villes moyennes et leurs agglomérations pour accroître leur dynamisme et leur attractivité ? Localtis a recueilli, en partenariat avec la FMVM, les témoignages de quelques-uns de ces élus de terrain.

Aujourd'hui, Caroline Cayeux, maire de Beauvais (59.000 habitants), détaille les moyens qu'elle a mis en place pour lutter contre la pauvreté, dont son fameux "plan d'harmonisation sociale" lancé pour aider les travailleurs pauvres, et récemment présenté au gouvernement pour une éventuelle généralisation au niveau national.


Localtis - Quel est l'impact de la crise sur la ville de Beauvais ?

Caroline Cayeux - On s'aperçoit tout d'abord que les travailleurs pauvres sont de plus en plus fragilisés. Nous avons déjà eu la fermeture de l'usine Bosch qui doit prendre effet à la fin de l'année 2009 et qui a été négociée bien avant la crise. Actuellement, avec la crise, les grandes entreprises commencent à supprimer les emplois temporaires et les contrats d'intérim. Elles ont recours au chômage technique et les heures supplémentaires n'existent plus. Cela commence à créer de vrais problèmes.


Votre rapport sur l'efficacité de l'action sociale remis au Premier ministre, le 5 mai dernier, s'inspire d'un dispositif que vous avez mis en place. Concrètement, que comprend-il ?

Le rapport que j'ai remis à François Fillon propose en effet la création d'un droit opposable à la solidarité locale qui s'articule autour d'un tronc commun de mesures fondamentales pour la préservation de la cohésion sociale : l'alimentaire, la préservation d'un mode de vie décent, l'accès aux soins et la prévention du surendettement. Avant de proposer ce plan d'harmonisation sociale au gouvernement, je l'ai appliqué à Beauvais, et cela bien avant la crise économique. Il s'agit d'aides ponctuelles destinées aux travailleurs pauvres. Mais on retient une définition plus large que celle communément admise : il ne s'agit pas uniquement des personnes à bas salaires mais aussi de celles qui ont travaillé et se retrouvent au chômage ou encore celles qui rencontrent de grosses difficultés passagères et qui n'arrivent pas à y répondre (perte d'emploi, suppression du temps partiel de l'épouse, entrée d'un enfant à l'université, etc.). Nous avons aussi choisi d'étendre cette notion aux retraités. Pour ces prestations, nous avons décidé de fixer le seuil de pauvreté à 1.470 euros, soit le montant du revenu médian, et non à 880 euros, c'est-à-dire 60% du revenu médian, comme il est d'usage. Il appraît qu'une famille qui dispose de revenus supérieurs au seuil de pauvreté puisse se trouver ponctuellement dans une situation de quasi-surendettement. Mais attention, ces dispositifs n'ont pas vocation à s'installer dans le temps, ce sont des aides passagères. Depuis sa création et jusqu'à la fin 2008, 4.500 personnes ont pu en profiter pour un budget qui représente 500.000 euros.


Ce plan est-il pérennisé ?

Nous avons décidé de mettre en place le plan II d'harmonisation sociale. Mais aujourd'hui, on pense que le nombre de familles demandeuses va augmenter de moitié. Nos actions portent sur plusieurs aspects de la vie. En premier lieu, la qualité de vie avec un dispositif qui aide les ménages à faire face aux dépenses liées à l'accès au logement, que ce soit l'achat d'un logement, le paiement d'une caution, l'achat de matériels de première nécessité ou encore les frais de déménagement. L'autre aspect couvert par ce dispositif est la question alimentaire. Nous avons notamment créé une épicerie sociale, l'"épicerie du cœur", qui est destinée à assurer l'alimentation et l'équilibre alimentaire des ménages en accompagnement social. Les aides portent aussi sur tout ce qui peut éviter la rupture du lien social. Le fonds famille est ainsi destiné à aider les familles à faire face aux dépenses de crèche, pour éviter qu'elles ne retirent leurs enfants des structures de garde faute de capacité de paiement. Nous envisageons même des aides pour l'accès aux soins, pour ceux qui ne disposent pas d'assurance complémentaire. Nous avons aussi récemment mis en place un prêt, le Crédit Harmonie, de 1.000 euros par ménage, sans intérêts et remboursable en 18 mensualités, pour dépanner les travailleurs. L'idée est de faire le lien entre le moment où le travailleur perd son emploi et le moment où il reçoit ses indemnités de la part des Assedic, un délai qui peut aller jusqu'à quatre mois. Nous avons également engagé des négociations avec le Crédit Mutuel pour des prêts à taux zéro pour la couverture bancaire de ces personnes. Ces prêts permettent aux familles de bénéficier d'un emprunt bancaire d'un montant maximum de 1.000 euros remboursable en dix-huit mois maximum et dont la moitié des intérêts est prise en charge par le centre communal d'action sociale. Nous avons ainsi toute une batterie d'outils destinés aux travailleurs pauvres.


Au-delà de ce plan, quels sont les leviers que vous activez pour soutenir l'économie locale ?

Nous avons deux axes stratégiques : maintenir l'investissement au niveau du budget 2009 et profiter des mesures mises en place par le gouvernement, comme le remboursement anticipé de la TVA. Grâce à cette mesure, nous allons réaliser 18,2 millions d'euros de dépenses réelles d'équipement, soit 36% de plus que les montants déterminés par l'Etat, sachant que nous respectons les conditions demandées, à savoir des opérations réalisées et payées d'ici le 31 décembre 2009. Cela va donner des chantiers en plus pour les entreprises et les habitants et permettre de créer ou maintenir de nombreux emplois. C'est donc vraiment important. De grands travaux d'infrastructures vont être lancés. Un centre de congrès, notamment, fait partie des gros projets avec des études, des appels d'offres... Le remboursement anticipé de la TVA nous permet aussi de lancer des projets qui étaient en suspens. Nous avions ainsi décidé de réaliser deux terrains de football. Un premier vient d'être lancé lors de notre dernier conseil, pour un budget de 500.000 euros. Il sera réalisé d'ici la fin de l'année 2009. C'est donc une façon d'accélérer les projets dans les cartons.


Quelles sont les composantes du budget d'investissement 2009 ?

Nous avons fait le pari de continuer à moderniser la ville. Nous allons ainsi investir cinq fois 18 millions d'euros par an sur le mandat. Les principaux projets sont la rénovation du patrimoine historique de la ville avec, notamment, les travaux sur la cathédrale de Beauvais et ceux sur la maladrerie Saint-Lazare. Il s'agit d'un ensemble hospitalier médiéval qui date des XIIe et XIIIe siècles. Nous allons la restaurer et la réhabiliter pour en faire en lieu phare de la vie culturelle accueillant concerts et expositions. Nous travaillons aussi à l'amélioration de la qualité de vie des habitants avec la construction d'un pôle commercial de 80 magasins sur la place du Jeu-de-Paume qui devrait créer environ 600 emplois, des grands travaux d'urbanisme, sur la gare et ses abords, les quartiers Saint-Jean, Argentine ou encore Saint-Quentin. Pour le quartier Saint-Jean notamment, qui compte 15.000 habitants, nous avons lancé un projet de rénovation urbaine avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) pour un montant de 108 millions d'euros, dont 29% sont directement financés par l'Anru. A travers ce projet, nous souhaitons rendre les quartiers plus accessibles et les réinsérer dans la ville, apporter une mixité sociale et adapter l'habitat, les commerces, les activités culturelles et les équipements scolaires et sportifs aux attentes des habitants. Le projet prévoit, notamment, la réhabilitation de plus de 1.200 logements. Nous cherchons aussi à aider les commerces de proximité avec la construction de parkings souterrains. On s'est toujours battus pour maintenir le dynamisme du centre-ville. Une troisième subvention de 214.384 euros, au titre du Fisac (Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce), a été obtenue pour aider à sa modernisation dans le cadre de l'opération "Beauvais, Cœur de ville, Cœur de vie". La première tranche a été lancée en 2005 avec la réalisation d'un diagnostic de l'accessibilité des commerces, la requalification de la place des Halles, l'aménagement de parkings et la rénovation et la mise en accessibilité de 17 entreprises commerciales.

La déviation de la RN31, qui traverse la ville, fait aussi partie de nos projets. Elle permettra un réel désengorgement de la commune. Et l'autre gros dossier de la ville, c'est le logement. Nous avons lancé un vaste plan, "4.000 clés", qui prévoit la construction de 4.000 logements entre 2008 et 2014 et qui inclut le plan de rénovation urbaine du quartier Saint-Jean. Ce plan prévoit la construction de 1.440 logements sociaux, 1.600 logements libres, 80 logements pour les personnes âgées et 960 logements intermédiaires. Au-delà de ces actions, nous disposons d'une zone franche urbaine avec une pépinière et un hôtel d'entreprises, et d'un aéroport, siège des compagnies aériennes low cost, qui a permis de créer 600 emplois et qui nous donne la possibilité d'avoir une stratégie de développement touristique importante. L'esprit qui guide ces actions est de continuer à honorer la commande publique pour rendre le territoire accessible, compétitif et attractif. Un territoire qui doit aussi être irréprochable sur le plan environnemental.


Quelles sont vos actions dans ce domaine ?

Nous disposons d'un Agenda 21. Plusieurs actions ont été lancées dans ce cadre. Nous avons ainsi créé une chaufferie utilisant l'énergie bois. Elle sera mise en service à Beauvais fin 2010 et permettra d'alimenter 4.000 équivalents logements du quartier Saint-Jean. Pour ce projet qui doit permettre d'économiser 8.000 tonnes de CO2 par an, nous sommes aidés par le conseil régional et l'Europe, via le Fonds européen de développement régional (Feder).


Comment se fait le lien avec la région Picardie sur ces actions ?

Il n'est pas toujours facile car nous avons affaire à une région qui aime les schémas, les plans... Mais sur le chauffage, par exemple, ou sur le plan de rénovation urbaine, la région a été partenaire, ce qui n'est pas toujours le cas. Elle est venue en appui de l'Anru notamment, ce que font peu de régions.

 

Propos recueillis par Emilie Zapalski

 

Retrouvez dans nos prochaines éditions la suite de notre série d'entretiens avec des maires de villes moyennes. Demain, rendez-vous avec Gérard Hamel, maire de Dreux.

 

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