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Gouvernement - Ce que recouvrent les nouveaux ministères

Jean-Marc Ayrault avait indiqué que plusieurs ministères pourraient avoir "une compétence conjointe et une autorité partagée" sur les administrations. Les décrets d'attribution des ministres confirment ce choix. Gros plan sur trois pôles importants pour les collectivités : le ministère de Marylise Lebranchu, celui de Cécile Duflot, ainsi que l'économie avec le "Redressement productif".

Jean-Marc Ayrault l'avait fait savoir lors du dernier Conseil des ministres, le 23 mai : "Quand les attributions de plusieurs ministres le justifient", il y aura "une compétence conjointe et une autorité partagée sur les administrations". Une "responsabilité partagée" qui "suppose une coordination étroite, dans le dialogue et la confiance, entre les ministères concernés". Les décrets d'attribution des ministres publiés au JO deux jours plus tard, ce 25 mai, viennent effectivement très largement confirmer cette ligne directrice du "partage"… et viennent ainsi dessiner une nouvelle géographie ministérielle qui nécessitera sans doute au moins une période de rodage de la part desdites administrations, de leurs interlocuteurs et de ceux qui tenteront de suivre ce qui va s'y préparer. En sachant qu'il reste à attendre les décrets précisant les attributions des ministres délégués pour avoir une vision complète de tout cela. Mais d'ores et déjà, les périmètres et les moyens d'action de deux ministres phares pour les collectivités, à savoir Marylise Lebranchu et Cécile Duflot, sont cartographiés.

Les trois axes de Marylise Lebranchu

Pour la première se posait principalement, en tant que ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, la façon dont s'organiseraient les lignes par rapport au ministère de l'Intérieur. Sur ce point, on retiendra principalement que le ministre de l'Intérieur ne perd pas vraiment la main sur le champ des collectivités. Le décret le concernant prévoit en effet que Manuel Valls, "en lien avec le ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, et sans préjudice de ses attributions, prépare et met en œuvre la politique du gouvernement à l'égard des collectivités territoriales". Et qu'il "a autorité, conjointement avec le ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, sur la Direction générale des collectivités locales". On saura enfin que "pour l'exercice de ses attributions relatives à l'administration territoriale de l'Etat et aux collectivités territoriales, le ministre de l'Intérieur dispose, en tant que de besoin, de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale".
Cette autorité conjointe sur la DGCL est mentionnée de la même manière, logiquement, dans le décret d'attribution de Marylise Lebranchu. Un partage qui n'est en réalité pas tout à fait une première. La DGCL a en effet déjà dans le passé été mise à la disposition d'un autre ministre – en plus de celui de l'Intérieur -, en l'occurrence le ministre en charge de la Fonction publique. Ce fut le cas de 1995 à 2002, sous les gouvernements Juppé et Jospin. Deux périodes consécutives pendant lesquelles une seule et même sous-direction, celle des élus locaux et de la fonction publique territoriale, dépendait donc de deux ministères.
En tout cas, Marylise Lebranchu aura pleinement autorité sur la Direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME). Et aura une autorité conjointe, avec Matignon, sur la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Elle pourra aussi faire appel à plusieurs directions de la sphère Bercy : Direction des affaires juridiques (DAJ), Direction générale des finances publiques, Direction du budget… De vrais leviers d'action, donc.
Les grands axes ou objectifs de ce ministère tricéphale sont précisés, même si les termes choisis restent assez généraux. Côté réforme de l'Etat, il s'agira principalement de "préparer et mettre en œuvre les mesures tendant à répondre aux besoins des usagers des services publics, à améliorer l'efficacité de ces derniers, à déconcentrer les responsabilités, à moderniser la gestion publique et à développer le dialogue social au sein des administrations". En termes de décentralisation, le décret prévoit la mise en œuvre, "en liaison avec le ministre de l'Intérieur et avec le ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, [de] la politique de renforcement des responsabilités locales" et de "mesures propres à faciliter l'exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales".

Développement du territoire : un large spectre d'intervention

S'agissant de Cécile Duflot, les choses se complexifient. Et le décret qui la concerne prend presque des allures de feuille de route. Il vient en tout cas confirmer que la ministre est attendue sur quatre grands terrains : l'aménagement du territoire, la politique de la ville, le Grand Paris et le logement. Un super-ministère, donc. Ceci, avec un seul ministre délégué, François Lamy, pour la Ville.
En matière de logement et construction, la liste des missions confiées comprend certains termes clefs : logement social, réhabilitation, efficacité énergétique, quartiers anciens dégradés, logement et hébergement des populations en situation d'exclusion… sans oublier tout le domaine de l'urbanisme.
Côté "ville", il s'agit bien de "la politique relative aux quartiers en difficulté" et, notamment, du programme national de rénovation urbaine. Avec, de façon logique, une tutelle sur l'Anru comme sur l'Acsé.
C'est donc bien aussi la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement qui sera chargée de "préparer les orientations stratégiques du gouvernement pour le développement de la région capitale et [de mettre] en œuvre les projets d'investissement d'intérêt national y concourant". Le choix de confier ce dossier du Grand Paris à Cécile Duflot suscite, on le sait, quelques interrogations (voir ci-contre notre article de ce jour).
Enfin, la définition de son champ d'action en matière d'aménagement et de développement du territoire affiche un spectre large : "instruments, notamment contractuels, permettant d'assurer le développement économique et social de l'ensemble du territoire national dans l'Espace européen", "politiques d'accompagnement des mutations économiques et de la politique d'implantation des administrations et des services publics dans la perspective d'un aménagement équilibré du territoire", "politique de solidarité financière entre les collectivités territoriales" (Cécile Duflot aura donc son mot à dire sur les question de péréquation…), "développement rural, en liaison avec le ministre de l'Agriculture"...  Avec la possibilité de "présider, par délégation du Premier ministre, le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire". Et, de facto, avec autorité sur la Datar.

Economie : une redistribution des cartes

C'est l'une des curiosités de ce gouvernement : le ministère du Redressement productif confié à Arnaud Montebourg devra "préparer et mettre en place la politique du gouvernement en matière d'industrie, de petites et moyennes entreprises, d'artisanat, de commerce, de postes et communications électroniques, de services, de tourisme et d'innovation".
Le ministre prend en charge des pans entiers de ce qui relevait autrefois de Bercy (économie numérique, tourisme, etc.), et sera même associé à la définition et à la mise en œuvre de la politique dans le domaine des industries agroalimentaires et forestières. Par ailleurs, il devra défendre et promouvoir l'emploi dans le secteur industriel et les services et sera compétent en matière de création d'entreprises et de simplification des formalités... Ce qui inclut la question de la commande publique et de la place dévolue aux PME dans les marchés publics. Il s'occupera aussi de la trésorerie des entreprises avec la perspective de la création de la Banque publique d'investissement promise par François Hollande.
S'il est amené à fixer le cap de la politique industrielle du pays, Arnaud Montebourg ne fera pas cavalier seul et travaillera avec Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie, des Finances et du Commerce extérieur, à "la politique en matière de compétitivité de l'économie française, d'attractivité du territoire et de participations". Un pari qui n'est pas gagné d'avance : le premier s'étant fait le chantre de la démondialisation pendant la primaire socialiste, tandis que le second appartient plutôt à l'aile libérale et européiste du Parti socialiste. Mais Pierre Moscovici a aussi participé à la création en 2010 de l'Association des collectivités sites d'industrie automobile (Acsia). Autant dire qu'il connait le sujet de la désindustrialisation.
Par ailleurs, le ministre du Redressement productif s'appuiera sur deux ministres délégués : Sylvia Pinel en charge de l'Artisanat, du Commerce et du Tourisme, et Fleur Pellerin en charge des PME, de l'Innovation et de l'Economie numérique. Pour l'heure, Arnaud Montebourg a surtout endossé le rôle de l'Etat pompier, multipliant les visites de sites touchés par les plans sociaux. Il devra de fait travailler avec un autre poids lourd du PS, le ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Michel Sapin. Regrouper l'emploi et la formation professionnelle va dans le sens de ce que réclament les régions.
L'autre grande nouveauté de ce gouvernement en matière d'entreprises est l'entrée officielle de l'Economie sociale et solidaire (ESS) séparée du reste de l'économie et rattachée à Bercy. L'ESS bénéficie même d'un ministère délégué confié par Benoît Hamon dont les attributions seront publiées ultérieurement. Mais on sait déjà que Pierre Moscovici aura autorité sur la Direction générale de la cohésion sociale conjointement avec la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marysol Touraine. Le financement de l'ESS sera aussi un enjeu des mois à venir. Relèvera-t-il de la future Banque publique d'investissement ou du nouveau Fonds pour l'innovation sociale créé en mars dernier ?
Enfin, un autre portefeuille illustre assez bien, lui aussi, les nouvelles porosités souhaitées entre les ministères et entre les administrations : celui de la ministre des Sports, de la Jeunesse, de l'Education populaire et de la Vie associative. Le décret d'attribution confirme qu'au-delà du champ des "activités physiques et sportives", Valérie Fourneyron sera bien en charge des trois autres items avec, outre son autorité sur la Direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, une autorité conjointe sur la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), sur les services en charge des conditions de vie des étudiants de la Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle… et sur la Direction générale de la cohésion sociale, décidément très sollicitée.