Cités éducatives : l'alliance sous tension
Lancé en 2019 par l'État, le programme des cités éducatives vise à fédérer, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), l'ensemble des acteurs autour de la réussite des jeunes de 0 à 25 ans. Piloté par l'ANCT et la Dgesco, il repose sur une gouvernance locale tripartite, la "troïka" – État, Éducation nationale, communes – et sur des crédits spécifiques. Dans un rapport publié ce 8 décembre, la Cour des comptes dresse un bilan nuancé. Selon elle, la dynamique partenariale est efficace mais le pilotage national reste fragile, l'impulsion politique s'est "étiolée", les dotations sont inégalement réparties et l'évaluation demeure insuffisante.
© Cour des comptes. Source : ANCT, dossier de presse sur les cités éducatives, 2024
210 cités éducatives, 2,6 millions d'habitants concernés et un budget annuel estimé à 135 millions d'euros : voici en quelques chiffres, le portrait d'un programme devenu en six ans l'un des piliers éducatifs de la politique de la ville et qui fait l'objet d'un nouveau rapport de la Cour des comptes, publié ce lundi 8 décembre 2025. Démarrée à titre expérimental dans 80 territoires en 2019, la démarche couvre désormais un quart des QPV et devrait encore s'étendre avec la labellisation de 40 nouvelles cités annoncée en mai 2025.
L'ambition : décloisonner les politiques publiques au service de la réussite éducative. Les cités éducatives entendent articuler, dans un même projet, les temps scolaires, périscolaires et extrascolaires, autour de trois objectifs : "conforter le rôle de l'École", "promouvoir la continuité éducative" et "ouvrir le champ des possibles pour les enfants et les jeunes". Le collège est posé comme pivot, mais l'action embrasse un spectre très large, de la petite enfance à l'insertion professionnelle.
Sur le terrain, la méthode fait des émules. Selon un sondage réalisé par la Cour auprès de 614 acteurs de terrain de cités éducatives, 72% d'entre eux considèrent la cité éducative comme "une méthode structurante permettant de transformer l'action publique". Là où la coopération prend corps, l'école s'ouvre davantage à son environnement, les associations et les collectivités sortent de la logique de guichet, des réseaux d'acteurs se structurent autour de projets partagés.
Gouvernance opérationnelle mais une impulsion politique "étiolée"
Au cœur du dispositif, la fameuse "troïka" réunissant préfet, Éducation nationale et maire. Cette gouvernance partenariale est jugée globalement opérationnelle. Mais la Cour souligne une réalité plus contrastée dès que l'on remonte à l'échelon national. Après un lancement porté politiquement, "l'impulsion politique s'est étiolée", avec la disparition du comité national d'orientation et d'évaluation et l'affaiblissement du copilotage interministériel.
L'accompagnement technique assuré par l'ANCT est jugé "plutôt apprécié des acteurs de terrain", mais resterait inégal, notamment en matière de formation. La fonction clé de chef de projet opérationnel (CPO), rendue obligatoire depuis 2021, apparaît déterminante pour l'animation locale. Pourtant, son accompagnement national est resté limité jusqu'à une première rencontre organisée en 2025.
Autre point de fragilité : l'implication variable de certains partenaires structurants. Conseils régionaux, agences régionales de santé ou habitants demeurent encore peu présents dans les instances de gouvernance de nombreuses cités, ce qui limite parfois la portée des alliances éducatives. Fin janvier 2025, la commission de l'éducation populaire du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse publiait un avis dans lequel elle demandait de revoir le pilotage et la gouvernance des cités éducatives afin de donner un meilleur positionnement aux conseils départementaux et régionaux (lire notre article du 29 janvier 2025).
"Œuvrer de 0 à 25 ans : trop ambiteux ?
"La réussite des cités éducatives dépend fortement du contexte local et de la mobilisation des personnes", rappelle le rapport, tout comme le faisaient ceux de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) (notre article du 4 avril 2024 et déjà en 2022). Là où les équilibres institutionnels sont stabilisés, la coopération progresse. Ailleurs, la démarche peine à dépasser les logiques antérieures de dispositifs empilés.
L'amplitude du public ciblé – de 0 à 25 ans – constitue en elle-même un facteur de dispersion. "Œuvrer de 0 à 25 ans : un objectif trop ambitieux au risque d'une dilution de l'action", avertit la Cour. La mobilisation des parents, pourtant centrale dans la philosophie du programme, reste également très variable selon les territoires.
Autre angle mort : les moyens humains. Délégués du préfet, chefs d'établissement, cadres territoriaux consacrent parfois plus d'un jour par semaine à la cité éducative, en plus de leurs missions ordinaires. Or, cette charge supplémentaire n'est que très partiellement reconnue ou compensée par les administrations centrales, en particulier côté Éducation nationale.
La dotation moyenne varie de 18 à 373 euros selon les cités
C'est l'un des constats les plus sévères du rapport. En 2024, les crédits dédiés aux cités éducatives atteignent 78 millions d'euros via le programme 147 "Politique de la ville" et 3,2 millions d'euros via le programme 230 "Vie de l'élève". Ils représentent désormais 15% du budget de la politique de la ville. Pourtant, leur répartition demeure largement héritée des phases expérimentales.
La Cour relève de fortes disparités : en 2023, la dotation moyenne par élève varie de 18 à 373 euros selon les cités. "Les dotations ayant été fixées 'au cas par cas' et de façon expérimentale, leur adéquation aux besoins n'est ni établie, ni vérifiée", pointe le rapport. Plus surprenant encore, les cités issues de la troisième vague de labellisation, pourtant réputées moins prioritaires, bénéficient souvent de dotations supérieures.
Le risque est de voir les cités éducatives devenir un "guichet de crédits supplémentaires", se substituant partiellement au droit commun, sans que l'ampleur réelle de cet effet de substitution puisse aujourd'hui être mesurée, craint la Cour.
"Aucune évaluation harmonisée"
Sur ce terrain, la Cour est tout aussi critique. Les outils actuels reposent principalement sur une "revue de projet" annuelle largement déclarative, complétée par une note d'exécution financière. Les cités doivent bien conduire des évaluations locales, mais avec une grande liberté méthodologique, qui empêche toute lecture d'ensemble au niveau national. Résultat : "aucune évaluation harmonisée ne permet aujourd'hui d'adapter les financements", alors même que l'innovation fait partie de l'ADN du programme. Faute d'indicateurs partagés, ni le maintien du label, ni le niveau des dotations ne sont réellement questionnés au fil du temps.
Généralisation annoncée du dispositif
Malgré ces fragilités, la Cour ne remet pas en cause le principe même des cités éducatives, ni leur dotation. L'accompagnement national est jugé "globalement satisfaisant", même s'il "pourrait mieux soutenir le déploiement local". L'enjeu se déplace désormais vers l'avenir proche. Les prochaines élections municipales, combinées à la généralisation annoncée du dispositif, constitueront un test décisif. "Les évolutions que connaîtront les cités éducatives localement seront un test important de la résilience du programme comme de son efficacité à bâtir des coopérations locales durables", avertit la Cour.
Dans cette perspective, deux recommandations structurantes sont formulées :
- renforcer les conventions interministérielles nationales d'appui aux territoires ;
- introduire une dégressivité des financements lors des renouvellements de label.
Autant de leviers pour consolider une politique désormais installée dans le paysage, mais encore en quête de maturité.