Santé mentale : les cités éducatives face à l'ampleur des besoins
Les cités éducatives jouent un rôle croissant dans la santé mentale des jeunes, un champ où les collectivités sont en première ligne. Mais cette montée en puissance reste fragile et inégale, selon un rapport Igas–IGESR qui appelle à un accompagnement renforcé et à une meilleure articulation avec les acteurs de santé.
© Marta NASCIMENTO/REA
Le rapport Igas–IGESR, daté de juillet mais publié mi-novembre 2025, s'ouvre sur un constat inquiétant et désormais bien connu : la santé mentale des jeunes connaît une "dégradation très nette" depuis plusieurs années, mise en lumière après la crise sanitaire. Les enquêtes les plus récentes montrent qu'au début de l'année 2025, plus de deux adolescents sur cinq déclaraient des troubles anxieux. Autres données plus anciennes rappelées dans le rapport : en 2022, 13% des enfants de 6 à 11 ans présentaient un trouble probable, tandis que 14% des collégiens étaient exposés à un risque important de dépression et que 13% des lycéens avaient déjà réalisé une tentative de suicide au cours de leur vie. Les auteurs soulignent que ces chiffres traduisent "la dégradation de l'état de santé mentale des enfants et des jeunes, à tous les niveaux de criticité" et qu'ils concernent particulièrement les jeunes des quartiers prioritaires, publics cibles des cités éducatives.
Des difficultés à absorber la demande
Les inspections rappellent que les cités éducatives recouvrent des quartiers politique de la ville (QPV) qui présentent un écart significatif de développement économique et social par rapport aux autres territoires environnants. Ces quartiers se caractérisent par une population plus jeune (39% de moins de 25 ans contre 30% en moyenne dans les environnements urbains). La part de familles monoparentales y est plus importante (17% vs. 9%) et une suroccupation des logements est observée. Les personnes étrangères et immigrées y représentent respectivement 23% et 28% de la population, ce qui est 2,8 et 2,5 fois plus élevé que dans les autres environnements urbains. Enfin, la population des QPV est moins diplômée et moins présente sur le marché de l’emploi. Les QPV englobent aussi de nombreux établissements appartenant à des réseaux d’éducation prioritaire (REP) qui visent à corriger l'impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire. Pour toutes ces raisons, on le comprend, les publics des cités éducatives concentrent un "public plus fragile face aux troubles de santé mentale".
Les inspections constatent sans surprise que "les réponses demeurent insuffisantes face à l'ampleur des besoins", les acteurs de santé scolaire, médicosocial et psy rencontrant des difficultés à absorber la demande. Cette tension place directement les collectivités face à des besoins croissants d'accompagnement et de coordination.
Une montée en puissance réelle, mais hétérogène, des cités éducatives
Sans que cela ait été prescrit au niveau national, les cités éducatives se sont saisies "de manière croissante" du sujet, en investissant l'espace de la prévention, du repérage et de l'orientation. Le rapport observe que "la majeure partie des actions" menées sur les territoires "participent à la construction d'un état de bien-être des enfants et des jeunes", même lorsqu'elles relèvent d'activités culturelles, sportives ou citoyennes.
Entre 2022 et 2024, la progression est notable : le nombre de cités menant des actions de compétences psychosociales a "été multiplié par dix", et celles engageant des formations aux premiers secours en santé mentale ont "été multipliées par quatre". Pour les inspections, ces évolutions témoignent d'une "montée en puissance rapide" des actions directes en santé mentale, même si les outils actuels ne permettent "qu'imparfaitement d'en apprécier l'étendue".
Cette dynamique repose largement sur les collectivités, qui participent au pilotage, au financement et à la coordination des cités éducatives. Mais l'hétérogénéité demeure forte, certains territoires développant de véritables stratégies, quand d'autres restent à un stade exploratoire.
Pour les collectivités, un enjeu d'articulation avec les acteurs de santé
Le rapport insiste sur la nécessité de mieux associer les agences régionales de santé (ARS) et les dispositifs territoriaux existants. Il recommande qu'"au moins une fois par an, l'ARS participe au comité de pilotage de chaque cité éducative", estimant que leur expertise est indispensable pour éviter les redondances et "bénéficier d'une meilleure coordination" des actions.
Les auteurs demandent également que les coordonnateurs des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et, lorsque c'est pertinent, ceux des conseils locaux de santé mentale (CLSM) soient davantage intégrés. Les cités éducatives devraient, en miroir, être associées aux travaux des PTSM et à la stratégie de développement des compétences psychosociales. Selon le rapport, cette double implication permettrait de "concilier la souplesse de la démarche avec la prudence méthodologique" nécessaire en santé publique.
Pour les collectivités, ces préconisations dessinent une démarche à affiner : faire des cités éducatives un espace d'ingénierie territoriale. Les inspections rappellent qu'il est essentiel de "cartographier l'offre de prévention et de soins" lorsque cela n'existe pas encore et de diffuser cette information, afin de fluidifier l'orientation des familles et des professionnels. Elles soulignent que la plus grande valeur ajoutée des cités réside dans leur capacité à "mettre en relation les acteurs locaux" et à adapter les dispositifs de droit commun aux besoins très précis des quartiers.
"Intégrer explicitement la santé mentale dans le prochain cahier des charges du label"
Les inspections affirment que les cités éducatives sont "légitimes à intervenir en matière de santé mentale" dès lors qu'il s'agit de promotion, de prévention ou de repérage. Elles précisent cependant qu'elles "n'ont pas vocation à intervenir sur la prise en charge ou les parcours de soins", qui relèvent des acteurs sanitaires. L'objectif n'est donc pas d'en faire un nouveau guichet, mais un espace de coordination, ce que les auteurs décrivent comme une "démarche propice à l'expérimentation de formes nouvelles".
Pour renforcer cette dynamique, les auteurs recommandent d'intégrer explicitement la santé mentale dans le prochain cahier des charges du label afin de "lever l'implicite" et d'offrir aux territoires un cadre commun d'action. Cette clarification faciliterait, selon eux, la mobilisation des partenaires et la reconnaissance de la place des cités éducatives dans l'architecture des politiques publiques locales.
Les cités éducatives fortes de leur "agilité"
Le rapport estime que l'apport principal des cités éducatives réside dans leur "agilité", leur proximité avec les jeunes et leur capacité à "faire fructifier les complémentarités" entre acteurs. Elles représentent une opportunité pour les collectivités de structurer davantage la prévention en santé mentale, à condition que l'accompagnement national soit renforcé et que les coopérations territoriales se densifient. Les auteurs mettent cependant en garde contre une attente disproportionnée : "Les cités éducatives ne sauraient être regardées comme un nouveau vecteur de l'accès aux soins." Mais elles peuvent devenir un pilier de l'action territoriale en matière de jeunesse, à l'interface entre l'école, la ville, le médicosocial et la santé.