Collectivités locales : l'inflation normative repart de plus belle

Après une légère limitation au début de la crise liée au Covid-19, la production de normes (décrets, arrêtés…) touchant le secteur public local a connu une progression soutenue en 2021 et 2022. Les charges nettes supplémentaires que supporteront les collectivités territoriales sont évaluées à 2,5 milliards d’euros pour les seuls textes élaborés en 2022.

Suppression de deux normes existantes pour toute nouvelle norme créée (hors décrets d'application des lois), allègement du stock de normes législatives… les débuts du premier quinquennat d'Emmanuel Macron avaient donné lieu à plusieurs décisions pour tenter de contenir l'inflation des normes applicables aux collectivités locales qui, aux yeux de nombre d'élus, se révèlent parfois onéreuses et superfétatoires. Or en dépit de cet arsenal, la production de règles en tous genres s'imposant à elles n'a pas faibli durant les années suivantes, comme le montre le rapport d'activité du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) pour les années 2019-2022.

La crise sanitaire a, certes, conduit à un relatif ralentissement normatif - avec un total de 258 textes examinés cette année-là par l'instance chargée d’évaluer les normes prises dans le champ des collectivités. Mais dès 2021, la production normative a retrouvé le rythme qui avait été le sien en 2019 (soit la présentation de 287 textes au CNEN). Et en 2022, la tendance à la hausse s'est poursuivie, puisque pas moins de 325 projets de textes ont été portés, cette année-là, à l'ordre du jour des réunions du CNEN. Au total, ce nombre est élevé, au regard du bilan ayant été enregistré d'autres années (par exemple 219 textes en 2013). Mais, par le passé, le CNEN a eu, certaines années, davantage de textes à examiner, en particulier en 2016 où il a eu à se prononcer sur un record de 544 textes.

Fiches d'impact incomplètes

Selon les années, le coût des nouvelles normes pour les budgets publics locaux s'avère extrêmement variable. Si les textes sur lesquels le CNEN a été saisi en 2020 ont généré un coût "net" - c'est-à-dire déduction faite des gains éventuels - limité à 80 millions d'euros en 2021, ceux qui ont donné lieu à une saisine en 2022 se traduiront par des dépenses "nettes" à hauteur de près de 2,5 milliards d'euros par an, en 2023 et en 2024. Deux textes pèsent très lourd dans ce bilan : le projet de décret sur la régulation de la température des systèmes de chauffage et de refroidissement (qui, sous réserve de publication, générera 1,1 milliard d'euros de coûts nets en 2023) et le projet de décret sur les systèmes d’automatisation et de contrôle des bâtiments tertiaires (1,5 milliard d'euros "bruts").

Il convient d'indiquer que l'estimation des coûts des nouvelles normes est établie à partir des fiches d’impact qui sont remises par les ministères. Or, celles-ci rendraient imparfaitement compte des effets des projets de textes. Sur l’année 2020, 54% des fiches d’impact "présentaient un impact financier mal renseigné ou non calculable ex ante", indique le CNEN. "Cette dégradation significative de la qualité des études et fiches d’impact transmises à notre institution (…) s’explique le plus souvent par un calendrier politique contraignant les administrations centrales à produire de la norme dans l’urgence", déplore le président du CNEN, Alain Lambert.

Problème : les contraintes temporelles affectant les ministères se font de plus en plus sentir. Elles conduisent aussi le gouvernement à recourir de plus en plus fréquemment à la procédure de saisine exceptionnelle. En 2022, celle-ci a été activée pour près de 25% des projets de textes qui ont été soumis au CNEN. Conséquence : le délai d’examen a été réduit à deux semaines dans le cas des saisines en "urgence" et même à 72 heures, lorsque "l'extrême urgence" a été décrétée. La procédure habituelle prévoit, elle, un délai de six semaines pour l'examen des projets de textes. Mais, si l'utilisation de la procédure exceptionnelle a parfois été justifiée - notamment du fait de la crise sanitaire et des échéances électorales - elle aurait, à d'autres occasions, été excessive, puisque s'étendant "largement au-delà des réelles situations d'urgence". Pour le CNEN, cela a été particulièrement manifeste, lorsque la publication des textes est intervenue "plusieurs mois" après la saisine en extrême urgence.

Un nombre croissant d'avis défavorables

Les présidents des trois associations constituant Territoires unis (Association des maires de France, Départements de France et Régions de France) s'inquiétaient récemment, dans un courrier à la Première ministre, de ce "dysfonctionnement des saisines" du CNEN. Ils lui demandaient de ce fait "très solennellement" "d’encadrer et de limiter" le recours aux procédures d'urgence.

La "dégradation de la concertation" entre les ministères et les élus locaux - selon les termes employés par Alain Lambert - concourt à ce que le CNEN émette de plus en plus d'avis défavorables. Leur proportion est passée de 4% du nombre total des textes examinés en 2019, à 9% en 2022.

"Une nouvelle méthode normative, fondée sur la confiance et la concertation, s’impose d’urgence, afin que notre réglementation soit plus cohérente avec les enjeux territoriaux et mieux acceptée par les élus locaux", conclut le président du CNEN. Alain Lambert précisera sans doute le diagnostic et ses propositions devant les membres de la mission sénatoriale qui a été récemment créée pour évaluer "l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales" : la mission procède, ce 7 mars, à l'audition du président du CNEN.