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Le Conseil national d'évaluation des normes esquisse son "nouveau pacte territorial"

Des compétences locales dont l'exercice est "assoupli" et dont la ligne de partage avec celles de l'Etat est bien tracée, un principe de libre administration renforcé, des relations financières avec l'Etat plus transparentes, un pouvoir réglementaire musclé... Dans un rapport, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) définit les grandes lignes d'un "nouveau pacte territorial". Un riche programme qui, à coup sûr, alimentera la réflexion lors de la discussion au Parlement du futur projet de loi "4D" – si celle-ci est confirmée.

"La crise sanitaire a mis à nu les effets malheureux d’une forme de centralisme bureaucratique sur lequel les collectivités territoriales alertent l’État central depuis plus de dix ans". C'est le constat qu'Alain Lambert, président du CNEN, dresse en préambule du rapport. L'ancien ministre et président du conseil général de l'Orne rejoint ainsi les observations que relèvent les associations d'élus locaux et les sénateurs depuis un an.

En s'appuyant sur des auditions d'élus, de hauts fonctionnaires et d'universitaires qu'elle a menées entre mai et juillet 2020, l'instance qu'il préside – chargée d'évaluer les normes applicables au secteur public local – émet 19 propositions pour desserrer l'étau dans lequel se trouvent les collectivités.

Libre administration des collectivités

Le CNEN recommande que le contenu du principe de libre administration des collectivités territoriales, inscrit à l'article 72 de la Constitution, soit précisé. Actuellement, celui-ci dispose uniquement que "dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences". L'instance consultative estime qu'à "court terme", le législateur pourrait compléter le code général des collectivités territoriales. Elle fait remarquer que la libre administration recouvre différents aspects : la liberté de gestion du personnel territorial, la liberté de prendre des actes exécutoires, la liberté d'organisation et de fonctionnement des organes des collectivités, "la liberté de dépenser", ou encore la liberté contractuelle. Cette dernière devrait être "explicitement consacrée" dans le code général des collectivités territoriales, estime le CNEN. Selon élus ou experts, la définition du principe de libre administration devrait être précisée, non dans le cadre de l'examen du projet de loi "4D" (différenciation, décentralisation, déconcentration, décomplexification), dont le Sénat pourrait avoir à discuter d'ici juillet, mais à l'occasion de la discussion d'un "vecteur dédié". Une préférence à laquelle le CNEN semble adhérer. A plus long terme, il conviendrait de préciser au niveau constitutionnel et organique le contenu du principe de libre administration, considère l'instance. D'une portée renforcée, le principe offrirait aux collectivités territoriales une protection plus grande, vis-à-vis par exemple des normes coûteuses décidées par le Parlement et le pouvoir réglementaire.

Pour "clarifier les compétences entre l'Etat et les collectivités" et réduire l'activité normative excessive des administrations centrales, le CNEN préconise que celles-ci perdent leur faculté de réglementation pour les compétences exercées par les collectivités. En cas de transferts de compétence, il reviendrait au législateur de "renvoyer au pouvoir réglementaire local". Résultat : "Les collectivités seraient davantage responsables car prescriptrices, à charge pour elles d'assumer les coûts afférents induits par les modalités réglementaires d'application qu'elles prescrivent".

Obligations de résultat

Pour réduire les doublons administratifs, le CNEN prône également, dans le champ des compétences décentralisées, la signature entre l'Etat et les collectivités de "contrats ayant vocation à fixer les objectifs nationaux à atteindre". Conclus après une négociation entre les élus et l'Etat, les contrats fixeraient "des obligations de résultat à atteindre pour chaque politique publique concernée, et non des obligations de moyens dont le choix serait laissé à la libre appréciation des collectivités territoriales".

Favorable à la différenciation territoriale que promeuvent le projet de loi organique sur les expérimentations en cours de discussion au Parlement et le futur projet de loi 4D, le CNEN propose son développement via le pouvoir de dérogation aux normes accordé aux préfets (voir notre article du 9 avril 2020). Un pouvoir que l'instance souhaite voir substantiellement étendu. En outre, elle propose de doter les collectivités d'un pouvoir similaire, "dans le cadre d'une relation apaisée avec le préfet et sous le contrôle du juge".

Loi de financement des collectivités

Le CNEN encourage aussi le gouvernement et le Parlement à prévoir des expérimentations lorsque des projets de textes ont des conséquences importantes sur les collectivités territoriales. Cela faciliterait l'adaptation de ces textes "aux réalités locales en amont de leur généralisation".

Par ailleurs, le CNEN souhaite voir progresser la transparence dans les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales. Pour cela, il recommande au minimum d'organiser un débat au Parlement sur les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Il se dit également favorable à la création d'une loi de financement des collectivités territoriales, une mesure plus ambitieuse.

Si le CNEN déclare avoir "progressivement acquis une certaine légitimité dans le paysage institutionnel, il estime devoir "renforcer sa collaboration avec les assemblées parlementaires". L'instance appelle à l'apparition d'une nouvelle "culture normative". Celle-ci passerait par une plus grande "association des collectivités à l'élaboration des politiques publiques décidées au niveau central", ou encore par l'élaboration de lois au contenu moins détaillé.