Comment équiper 2 millions de Français avec du matériel informatique reconditionné d'ici 2027 ?
Face aux enjeux croisés de fracture numérique, de transition écologique et d'emploi local, le reconditionnement informatique apparaît comme une solution prometteuse. Une étude de la Banque des Territoires publiée le 20 mai 2025 dresse un état des lieux inédit de cette filière en pleine structuration, encore très hétérogène, qui devra surmonter ses fragilités économiques et organisationnelles.

© Banque des territoires et Adobe stock
En mai 2025, une étude de la Banque des Territoires a recensé 340 structures de reconditionnement informatique, représentant 397 ateliers répartis sur 94 départements. Ces structures, à parts égales associatives (53%) et entrepreneuriales (47%), témoignent de la vivacité d'une filière encore récente – une sur deux a moins de 5 ans d'existence – mais active : 2,7 millions d'ordinateurs et 1,6 million de téléphones sont reconditionnés chaque année en France.
Néanmoins, ce paysage est profondément contrasté. Les associations traitent des volumes moindres mais assurent 72% des distributions solidaires, contre 9% pour les entreprises, qui réalisent 97% du volume global reconditionné. Ce déséquilibre structurel illustre une tension de fond entre impératifs sociaux et logiques industrielles.
11% des Français ne sont pas équipés d'un ordinateur
Rappelons l'objectif de la stratégie "France numérique ensemble" : 2 millions d'équipements reconditionnés à destination des publics précaires d'ici 2027, soit 400.000 par an. Un cap atteignable selon l'étude, à condition de consolider la filière. Car les besoins restent massifs : 11% des Français ne sont pas équipés d'un ordinateur, 9% d'un smartphone, selon le Credoc.
"Le manque d'équipement informatique est aujourd'hui encore un frein important pour une partie de la population", souligne François Blouvac, responsable Inclusion numérique à la Banque des Territoires, avant de préciser "le reconditionnement peut constituer une partie de la solution, à condition que la filière se structure".
Les entreprises apportent l'échelle, les associations la proximité sociale
Les entreprises, mieux outillées pour gérer des volumes importants, s'appuient sur l'achat de gisements (buy-back), automatisent certaines tâches et atteignent une productivité moyenne de 900 à 1.100 équipements reconditionnés par ETP, contre 240 en moyenne dans les associations. À l'inverse, les associations, souvent ancrées localement et dépendantes des dons (92% de leur collecte) et des subventions (67% des structures de l'ESS), peinent à atteindre une viabilité économique, malgré leur rôle essentiel dans la distribution solidaire et l'accompagnement des publics fragiles.
Cette dichotomie fragilise la filière. Pourtant, les modèles peuvent se compléter : les entreprises apportent l'échelle, les associations la proximité sociale. Certaines collectivités ont su organiser cette synergie au sein de boucles locales vertueuses, comme l'agglomération du Sicoval ou Plaine Commune, qui combinent récupération, reconditionnement et distribution.
Une opportunité d'emplois locaux
La filière s'inscrit pleinement dans les grandes transitions. Sur le plan environnemental, l'allongement de la durée de vie des équipements peut réduire de 50% leur empreinte carbone, selon l'Ademe. Sur le plan géopolitique, elle contribue à réduire la dépendance aux terres rares, en limitant le besoin en matériels neufs. Et sur le plan territorial, elle offre une opportunité d'emplois locaux : entre 5.000 et 8.000 ETP salariés seraient aujourd'hui mobilisés dans la filière.
Pourtant, les territoires les plus fragiles numériquement sont aussi souvent les moins dotés en structures de reconditionnement, comme la Creuse, la Lozère ou la Meuse. L'étude appelle à "territorialiser davantage l'action publique", en s'appuyant sur les diagnostics locaux et les réseaux existants.
Structurer, mutualiser, professionnaliser : les leviers d'un passage à l'échelle
Pour franchir un cap, l'étude identifie plusieurs leviers : mieux capter les gisements dormants, notamment en rassurant les donateurs que sont les particuliers, entreprises et les collectivités sur l'effacement sécurisé des données. Rappelons à ce propos que les collectivités ne sont autorisées, avec les EPCI, à faire don de matériels informatiques à des associations reconnues d'utilité publique ou reconnues d'intérêt général que depuis novembre 2022. Autres leviers identifiés : soutenir l'ingénierie de projet et l'investissement matériel ; mutualiser les ressources à l'échelle locale ; former les acteurs du reconditionnement et créer des standards de qualité partagés.
La coordination des éco-organismes, la mobilisation du fonds réemploi (loi Agec), ou encore la mise en place d'indicateurs d'impact et de plateformes de mise en relation entre donateurs et reconditionneurs sont autant de pistes avancées.
L'étude met en lumière la nécessité d'un pilotage stratégique intégrant l'État, les collectivités, les éco-organismes et les opérateurs économiques. Elle interpelle aussi les élus locaux : le soutien aux filières locales de reconditionnement est un levier concret d'action pour l'inclusion numérique, l'économie circulaire et l'emploi.