Congrès des maires – L’accès à l’ingénierie territoriale, un défi pour les futurs maires ruraux
Malgré la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires en 2019, l'accès des petites communes à l'ingénierie technique et financière reste difficile et les inégalités criantes, comme l'a montré un débat lors du 107e Congrès des maires. Si de nombreuses initiatives émergent des départements, des intercommunalités, voire des régions, la situation financière des départements et des CAUE suscite des inquiétudes.
© Aurélie Roudaut et captures vidéo AMF/ Karine Gloanec Maurin, Cécile Gallien, Christophe Bouillon et Catherine Lhéritier
Dans quelques mois, de nouvelles équipes municipales vont se mettre en place et vont être confronter à un casse-tête : comment monter leurs projets et les financer ? Un problème qui se pose avec acuité dans les petites communes rurales qui ont peu de ressources internes. Et qui sont donc dépourvues de cette "ingénierie" qui permet de trouver les appuis techniques et financiers nécessaires dans un univers de plus en plus complexe. "Une commune aujourd'hui ne peut plus porter un projet seule", estime Karine Gloanec Maurin, présidente de la communauté de communes des Collines du Perche (lire aussi notre entretien). Pour aider les élus à démêler l’écheveau des circuits de financements, l’Association des maires de France s’est emparée du sujet, mercredi 19 novembre, lors de son 107e congrès.
"Quand j’étais toute jeune élue en 1995, la commune avait le projet de racheter l'épicerie parce que l’épicier allait partir à la retraite. Et on a racheté le bâtiment. À l’époque, il n’y avait pas d'aide au dernier commerce ou des choses comme ça. Ça n'existait pas. On nous a même regardé un peu de travers, témoigne Karine Gloanec Maurin. Aujourd'hui, demandez à une commune si, pour un projet de ce type, elle y arrive. Non." Un mal pour un bien, selon elle, c'est aussi l'occasion pour les zones rurales "de travailler en coopération, de se mutualiser, d'avancer".
"Une des grandes fractures de notre pays"
Seulement, toutes les communes ne sont pas logées à la même enseigne. "La fracture de l'ingénierie territoriale, c'est une des grandes fractures de notre pays", considère même Edmond Jorda, maire de Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-Orientales), président de l'association des maires des Pyrénées-Orientales. Une situation accentuée par le recours massif aux appels à projets. Et par une ingénierie territoriale en proie à de nombreux questionnements. Les petites communes ne se sont jamais vraiment remises de la disparition de l’Atesat (assistance technique pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire) il y a dix ans. Cet "abandon" de l’État a été "considéré comme une gifle par tous les maires de nos villages", fulmine Gérard Fillon, maire de Beurey-sur-Saulx (Meuse), président de l’association des maires de la Meuse. "On s'est aperçu que le secteur privé n'était pas en mesure de faire face à ce moment-là." La situation s’est même aggravée avec la création des grandes régions et des grandes préfectures. "On s'est rendu compte que la proximité n'avait pas de prix, qu'il fallait la sauvegarder", insiste Cécile Gallien, maire de Vorey-sur-Arzon (Haute-Loire). L’élue a participé à la mission Agenda rural qui a légitimé, en 2019, la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoire (ANCT) censée remédier aux carences de l’ingénierie locale et boucher les trous dans la raquette.
Au-delà de la vingtaine de programmes qu’elle porte (Action cœur de ville, Petites Villes de demain, Villages d’avenir, avenir Montagnes, etc.) et qui, pour la plupart, arrivent en fin de cycle, l'ANCT apporte une aide "sur-mesure". Depuis sa création, "plus de 2.500 collectivités ont été aidées par ce biais", se félicite son président, Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime). Sachant que, pour les communes de moins de 3.500 habitants, cet accompagnement est "complètement pris en charge par l'agence". L’agence est aujourd’hui au centre d’une nébuleuse de nombreux acteurs : les opérateurs de l’État - le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), la Banque des Territoires, l’Ademe, l’Anru… -, les départements avec leurs agences techniques, les CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement)… Dans ce cadre, l’ANCT n'intervient qu'en "subsidiarité', insiste Christophe Bouillon. Elle dispose pour ce faire d’une cartographie de l’offre existante dans chaque département. Le préfet, délégué territorial de l’agence au niveau des départements, est censé aider les maires à se repérer dans ce "maquis". Sans oublier le "rôle fondamental" du sous-préfet. "Il a souvent le 06 des maires et les maires ont souvent son 06", assure Christophe Bouillon. En outre, l’ANCT organise avec ses partenaires des "forums de l’ingénierie" dans chaque département pour présenter aux élus la boîte à outils des dispositifs mobilisables.
"Montée en gamme" des intercommunalités
Les petites intercommunalités aussi s'arment progressivement. Après la disparition de l’Atesat, à Beurey-sur-Saulx, Gérard Fillon s’est d’abord tourné vers le CAUE, "un organisme très respecté dans nos village", le département (qui n’avait pas de service dédié) et, enfin, l’intercommunalité. "Les petites intercommunalités font beaucoup de mutualisation et ont finalement fait un travail d'ingénierie comme monsieur Jourdain. Petit à petit, on est monté en gamme", relate l’élu.
Pourtant, tout ne se passe de façon "idyllique", comme le fait remarquer Guy Piedfert, maire d’Eygurande-et-Gardedeuil, village de 410 habitants, en Dordogne. "C'est vrai que quand tout va bien, quand tout le monde est organisé, ça marche. Mais quand vous avez un problème dans la communauté de commune, c'est beaucoup plus compliqué", insiste-t-il, évoquant la ville centre qui tire "les profits" à elle. "Nous on est un peu les oubliés de l’histoire. (…) Ce qui est dur pour les petites communes comme nous, c'est que si on n'est pas du bon côté du manche, c'est compliqué."
Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, l’agence d’urbanisme catalane avait fait le constat, lors du mandat précédent, qu’au sein de la communauté urbaine de Perpignan, 60% des subventions étaient captées par les quatre communes les plus riches. "Il y avait des inégalités territoriales criantes qui ne faisaient que reproduire l’inégalité première", se souvient Edmond Jorda. Le département comprenait de nombreux intervenants travaillant "en silo", avec leurs propres appels à projets… Alors l’association des maires départementale a eu l’idée d’aider les communes de moins de 1.500 habitants à "passer d'une idée embryonnaire du projet à une véritable étude de faisabilité", à la fois technique et financière, explique l'élu. C’est l’agence d’urbanisme qui, depuis, est à la manœuvre : elle coordonne une multitude d’acteurs : la région Occitanie, la préfecture, le département, les parcs naturels, le Pays Méditerranée, le CAUE, le syndicat départemental d'électricité (Sidel), les intercommunalités… "L'idée, c'était de dire : on fait un appel à projets, on réoriente les projets qui peuvent être portés par certains de ces partenaires et on récupère tous les trous dans la raquette", détaille le maire de Sainte-Marie-la-Mer. Le projet a obtenu une subvention de 120.000 euros du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT). Une première vague de 15 communes a déjà bénéficié du programme, "avec des rendus exceptionnels et très professionnels" qui sont aussi des "outils de médiation" vis-à-vis de la population. "Effectivement, grâce à l'agence d'urbanisme catalane - l'Aurca -, nous avons pu, avec mon conseil municipal, imaginer un projet, ce qui n'aurait pas pu être le cas autrement", témoigne Guy Calvet, maire de Saint-Arnac, un village de 110 habitants qui va ainsi pouvoir réaménager la mairie.
Certaines grandes régions cherchent aussi à rétablir un lien proximité. C’est le cas de l’Occitanie qui s’est dotée d’un réseau de 36 "développeurs" dans les territoires qui accompagnent les maires dans leurs projets dans la transition écologique, le tourisme ou le développement économique. La région a aussi cherché à rationaliser ses agences : sur dix-sept agences, elle n’en compte plus que sept avec l’objectif de passer à trois.
Épée de Damoclès
Si les inégalités d’accès à l’ingénierie locale restent fortes, l’avenir s’écrit en pointillés, du fait de la situation financière du pays. Cet été, c’est l’ingénierie de l’État qui était remise en cause dans plusieurs rapports (lire nos articles du 16 juillet et du 22 juillet). Le sort des 55 agences techniques départementales n'est guère plus enviable. "La fragilité des finances départementales, c'est une épée de Damoclès qui pèse sur vos projets et les projets du prochain mandat qui sont en en préparation", alerte Rose-Marie Falque, maire de Azerailles et présidente de l’association des maires de Meurthe-et-Moselle.
La présidente de l’association des maires du Loir-et-Cher, Catherine Lhéritier, s’inquiète, elle, du "danger" qui plane au-dessus des CAUE. Le mois dernier, le CAUE de la Manche a été mis en liquidation. Une première en quarante ans d’existence. Créées en 1977, ces structures de proximité ont un rôle de conseil et de formation sur les enjeux de qualité paysagère, architecturale et environnementale. Mais depuis deux ans, elles sont mises en difficulté par une réforme du recouvrement de la taxe d’aménagement qui constitue leur unique ressource. Loin d’être un cas isolé, la situation du CAUE de la Manche a suscité une vive émotion dans le réseau. Une pétition nationale a été lancée pour alerter les parlementaires et l’État et appeler à une réforme du financement. Pour Catherine Lhéritier, il faut "imaginer une diversification des financements" des CAUE. Ce à quoi vient de s'employer le Sénat (lire notre article du 18 novembre).
Mais avant d’envisager des coopérations ou le recours à des structures spécialisées, la première des compétences pour une petite commune, est souvent le secrétaire de mairie. Et dans la ruralité, il est parfois difficile de trouver l’oiseau rare, faute de candidats. En Meurthe-et-Moselle, 150 secrétaires de mairie vont prochainement partir à la retraite. Alors le département a pris le problème "à bras-le-corps", raconte Rose-Marie Falque. Pour répondre aux besoins et former les futures secrétaires, l’université de Lorraine, le Centre national de la fonction publique territoriale et l’association des maires départementale ont mis en place un diplôme universitaire (DU). Au rythme de deux sessions par an, une quarantaine de secrétaires sont formés chaque année.
Et puis, "le premier ingénieur d'un territoire, c'est le maire", rappelle aussi Christophe Bouillon. Les nouveaux élus auront besoin de se former. L’AMF leur remettra un "guide du maire". Et les associations départementales organisent des "universités des nouveaux maires". "Formez-vous", lance Rose-Marie Falque.