Déclaration de politique générale : pour un "partage du pouvoir"
De la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu ce 14 octobre, on aura surtout entendu l'annonce de la suspension de la réforme des retraites. Et la réaffirmation d'un non-recours au 49.3 sur les textes budgétaires présentés le matin même en Conseil des ministres. Plus globalement, le Premier ministre a insisté sur sa volonté de donner plus de pouvoir au Parlement pour l'ensemble des textes législatifs. Et sur celle de "renforcer le pouvoir local" avec un projet de loi de décentralisation qu'il compte présenter dès le mois de décembre.

© Capture vidéo Assemblée nationale/ Sébastien Lecornu ce 14 octobre à l'Assemblée
"Partage du pouvoir entre le gouvernement et l'Assemblée. Partage du pouvoir entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Partage du pouvoir aussi avec les collectivités locales. Pas pour faire plaisir aux élus locaux, j'en suis un, mais pour être efficace au service des Français. On le dit souvent, on le fait rarement." Ces propos de Sébastien Lecornu ce mardi 14 octobre devant les députés reflètent peu ou prou le fil rouge choisi pour sa déclaration de politique générale, cet exercice d'équilibriste sur lequel il était hautement attendu. Son ambition : sortir de la "crise" politique du moment par "une nouvelle pratique du pouvoir". En premier lieu donc, vis-à-vis du Parlement, en montrant "que la démocratie représentative n'est pas morte et que l'Assemblée nationale et le Sénat restent l'endroit du pouvoir de décision, du pouvoir d'agir".
Budget : le Parlement "aura le dernier mot"
Cette posture que le Premier ministre fraîchement reconduit qualifie de "rupture" – "presque une révolution", dit-il – va tout de suite être appliquée dans le cadre de l'examen des textes budgétaires présentés le matin même en Conseil des ministres (voir nos articles de ce jour sur le PLF et sur le PLFSS). Ceci, comme il l'avait déjà dit et répété, en renonçant à utiliser le 49.3 : "Le gouvernement présente le budget qu'il estime souhaitable, le Parlement l'examine, le discute, le modifie, c'est sa liberté (…), il aura le dernier mot, c'est sa responsabilité et nous devons lui faire confiance". "Les débats sur la fiscalité, sur le niveau des dépenses publiques, sur le déficit public, chaque parlementaire se prononcera. Les débats sur les moyens à allouer pour l'écologie, la sécurité, l'éducation, le logement, les collectivités locales, la culture, l'agriculture, nos services publics… le vote de chaque parlementaire dictera la copie finale", a-t-il poursuivi avant d'évoquer les grandes lignes de la version initiale du projet de loi de finances.
Le chef du nouveau gouvernement a au passage relevé que ce mardi en conseil des ministres avait également été présenté un autre texte – le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Et a souligné que la revue des dépenses de l'Etat va être poursuivie, que les économies à faire doivent "s'inscrire dans un cadre pluriannuel en s'appuyant sur une véritable réforme de l'Etat" : "Sur les dépenses de l'Etat, on peut faire beaucoup à la condition de repenser son action en profondeur, de réussir sa transformation numérique, de moderniser ses interventions et d'alléger considérablement certaines procédures qui ne sont plus explicables. Tout le monde prône la simplification. Une majorité d'idées dans les deux chambres est possible sur ce sujet". Sébastien Lecornu a indiqué qu'il en dirait plus là-dessus ce mercredi 15 octobre après-midi devant le Sénat, où une déclaration est comme il se doit prévue.
Ce non-recours au 49.3 ne s'appliquera pas uniquement aux textes budgétaires mais à "tous les domaines", a assuré Sébastien Lecornu. Voilà donc pour le premier engagement.
La suspension de la réforme des retraites devra "être compensée financièrement"
Le deuxième engagement était évidemment décisif. Après une séquence consacrée au "travail", au "pouvoir d'achat des travailleurs", à l'importance de l'emploi industriel… le Premier ministre se devait de s'attaquer au sujet qui fâche, celui des retraites. Et le message a été plutôt clair : "Est-ce que le gouvernement est prêt à un nouveau débat sur l'avenir de notre système de retraite ? La réponse est oui (…). C'est pourquoi je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028 (…). La durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028."
Avec quelques préalables ou conditions toutefois. Cette suspension doit servir à "bâtir de nouvelles solutions". Et devra "être compensée financièrement y compris par des mesures d'économies". Une "conférence sur les retraites et le travail" va être mise en place dans les "prochaines semaines" avec les partenaires sociaux. "Si la conférence conclut" d'ici le printemps prochain, "le gouvernement transposera l'accord dans la loi et le Parlement décidera". D'où la notion de partage du pouvoir avec les partenaires sociaux.
Décentralisation : un projet de loi en décembre
Et côté collectivités locales ? Là-dessus, Sébastien Lecornu a redit et quelque peu précisé son dessein concernant la décentralisation. On sait en tout cas désormais qu'il ne veut pas traîner. Verbatim : "Je proposerai en décembre un projet de loi pour renforcer le pouvoir local, un nouvel acte de décentralisation, lui seul permettra de réformer l'Etat de manière globale et d'améliorer le fonctionnement de tous nos services publics. Qu'est-ce que l'on attend de l'Etat ? C'est la question centrale (…). Pour le reste, quel doit être le niveau de décision locale ? Qui est responsable de quoi ? Je proposerai un principe simple, celui de l'identification d'un seul responsable par politique publique. Il s'agira soit d'un ministre, soit d'un préfet, soit d'un élu. Il ne faut pas décentraliser des compétences, il faut décentraliser des responsabilités avec des moyens budgétaires et fiscaux et des libertés y compris normatives. C'est aussi une formidable occasion de repenser complètement notre planification écologique et énergétique. Nous ferons des propositions précises. Le gouvernement peut-il engager cette réforme dans les trois mois ? Vous vous dites que cela prendra du temps. C'est précisément parce que cela prendra du temps qu'il faut engager cette réforme tout de suite. Sinon, elle sera reportée une fois de plus et jusqu'à quand ? (…) Des majorités sur ce texte sont possibles dans les deux chambres".
On se souvient que dans son courrier aux représentants des élus locaux, Sébastien Lecornu disait attendre des "contributions" ou "propositions" sur la décentralisation pour le 31 octobre (voir notre article). Si celles-ci veulent espérer figurer dans un texte législatif en décembre, cette petite fenêtre de tir semble effectivement à saisir. Avec, en principe, la ministre Françoise Gatel comme courroie de transmission (voir notre article sur la composition du nouveau gouvernement).
Celui qui se présente comme le chef d'un simple "gouvernement de mission" et non le porte-drapeau d'un "programme à long terme" a assumé le fait de ne pas passer en revue, dans cette allocution d'une petite demi-heure, les grands dossiers du moment. Il les a simplement mentionnés : accès aux soins, environnement, sécurité, éducation, numérique… Et prévoit de revenir régulièrement devant le Parlement pour les discuter. En commençant par un certain nombre de projets de loi qui "sont prêts" : vie chère en Outre-Mer, Corse, polices municipales, statut de l'élu…
Pas de nouveau Premier ministre en vue
Les motions de censure déposées contre le gouvernement Lecornu sont "des motions de dissolution et doivent être vues comme telles", avait averti Emmanuel Macron le matin même en Conseil des ministres, selon la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon. On ne connaissait pas officiellement ce mardi soir quelle serait la décision des socialistes, au-delà des applaudissements de plusieurs figures du PS dans l'hémicycle à l'annonce de la suspension de la réforme des retraites. Le chef de l'Etat les a donc en tout cas prévenus qu'il exclut de nommer un nouveau Premier ministre si Sébastien Lecornu devait être renversé jeudi matin lors des votes prévus sur ces motions de censure.