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Marchés publics - Décompte définitif et responsabilité contractuelle ne font pas bon ménage

Un arrêt du 17 mai 2017 est l’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler les règles relatives au décompte du marché, et plus précisément la question de son caractère définitif. Il s’agissait de déterminer à partir de quel moment le maître d’ouvrage ne pouvait plus demander réparation de son préjudice au maître d’œuvre sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Dans cette décision du 17 mai 2017, la Haute Juridiction administrative a tranché un litige relatif à la mise en œuvre de la responsabilité du maître d’œuvre par le maître d’ouvrage. En l’espèce, la commune de Reilhac avait délégué la maîtrise d’ouvrage à l’office public de l’habitat (OPH) du Cantal en vue de la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre. Un groupement d’entreprises, ayant pour mandataire la société d’architecture Daniel Marot, a été retenu. Le marché de maîtrise d’œuvre de l’opération de construction d’une maison de retraite a été exécuté et le groupement a transmis à la commune un décompte définitif à hauteur de 12.945,50 euros.

Une demande tardive

La commune a réglé la totalité de cette somme au groupement. Cependant, trois ans plus tard, la commune et l’OPH ont saisi le tribunal administratif (TA) de Clermont-Ferrand, réclamant à la société Daniel Marot la somme de 142.300 euros en réparation des préjudices subis. Ces préjudices se répartissaient comme tels : 105.300 euros au titre des pénalités de retard et 37.000 euros en remboursement des sommes payées par la commune à la société Cegelec pour l’indemniser des fautes commises par le maître d’œuvre dans l’exercice de ses missions. Si le TA a pleinement fait droit à cette demande, la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon a, sur demande du groupement, annulé ce jugement. La Commune et l’OPH se sont alors pourvus en cassation contre cet arrêt. La CAA avait annulé le jugement du TA, estimant que la commune et l’OPH n’étaient pas fondés à demander réparation de leur préjudice, au regard du principe d’intangibilité du décompte.

Caractère intangible du décompte général et définitif

Selon la commune et l’OPH, le décompte en question n’avait pas de caractère définitif. Ils se prévalaient en effet de l’article 7-3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché selon lequel le décompte final devait être établi par le maître d’œuvre et transmis au maître d’ouvrage. Ce dernier le communique alors au conducteur de travaux qui y inclut les éventuelles pénalités susceptibles d’être appliquées au maître d’œuvre.
En l’espèce, l’OPH n’avait pas intégré dans le décompte final les pénalités à appliquer au maître d’œuvre. La procédure prévue à l’article 7-3 du CCAP n’a pas été respectée et la commune et l’OPH ne pouvaient donc pas se prévaloir de leurs erreurs pour faire admettre la recevabilité de leur demande. Confirmant l’arrêt de la CAA, le Conseil d’Etat a lui aussi estimé que cette demande d’indemnisation à hauteur de 150.300 euros au titre des pénalités de retard ne pouvait plus être utilement présentée par la commune et l’OPH, le décompte ayant acquis un caractère définitif et donc intangible.

Payer, c’est valider

En outre, la commune et l’OPH contestaient également le caractère définitif du décompte du fait de l’absence de validation expresse. Selon eux, le projet de décompte n’avait pas été expressément validé par la commune. Si le cahier des clauses administratives général CCAG Travaux prévoit que le montant du projet de décompte doit nécessairement être signé par le maître d’ouvrage, ce n’est pas le cas en l’espèce. En effet, le Conseil d’Etat a rappelé que l’article 12 du CCAG Propriété Intellectuelle n’impliquait pas que la validation du projet de décompte soit formalisée par une décision explicite quand le maître d’ouvrage ne le modifie pas et procède au paiement. Ce fût le cas en l’espèce, la commune réglant à la société Daniel Marot la somme de 12.945,50 euros. Confirmant à nouveau la position de la CAA, la Haute Juridiction administrative a estimé que "le décompte du marché avait acquis un caractère définitif à compter de la date du paiement du solde du marché".
Si la commune et l’OPH soutiennent qu’ils n’ont pas entendu procéder au règlement du solde du marché mais seulement à un acompte, les juges d’appel comme de cassation ont considéré qu’aucun élément du dossier ne le démontrait.

La commune ne peut se prévaloir de son manque de diligence 
 

Le caractère intangible du décompte ne faisait donc plus de doute et était donc un obstacle à ce que le maître d’ouvrage réclame une indemnisation au maître d’œuvre sur le terrain contractuel. Le Conseil d’Etat a rappelé à ce titre qu’il appartenait à la commune, si elle voulait engager la responsabilité contractuelle de la société d’architecture, "soit de sursoir à l’établissement du décompte jusqu’à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d’assortir le décompte de réserve". N’ayant pas procédé ainsi, le caractère définitif du décompte ne lui permettait pas de réclamer l’indemnité de 105.300 euros en réparation du préjudice subi du fait du retard pris sur le chantier par la société Daniel Marot. En outre, quand la commune a procédé au règlement du solde du marché, elle avait connaissance de la mauvaise exécution des missions du maître d’œuvre qui l’avait conduite à verser à la société Cegelec la somme de 37.000 euros. Les sages du Palais-Royal ont rappelé que cette somme aurait dû être intégrée dans le décompte et que, le décompte étant devenu définitif, ces sommes ne pouvaient être ultérieurement réclamées.
Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi de la commune de Reilhac et de l’OPH, confirmant que la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre ne pouvait plus être engagée une fois que le décompte avait acquis un caractère définitif et donc intangible.

Référence : CE, 17 mai 2017, n° 396241
 

 

 

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