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Action coeur de ville - Denis Thuriot (Nevers) : "J’essaye de redonner à la ville un rôle de capitale départementale"

Après vingt-cinq ans de déclin économique et démographique, Nevers tente de restaurer son blason de capitale départementale grâce au plan Action coeur de ville, le dispositif gouvernemental de revitalisation de 222 villes moyennes. Au programme : des opérations lourdes sur l'habitat ou le commerce. Mais pour redorer l'image de la cité ducale, le maire et président de Nevers agglomération (70.000 habitants), Denis Thuriot, mise beaucoup sur les nouvelles technologies. 

Localtis - Il y a quelques années, Nevers était le symbole de la ville endormie, toujours prise en exemple de la dévitalisation des centres de villes moyennes. Comment l'expliquez-vous ?

Denis Thuriot - Mon projet politique en 2014 reposait en grande partie sur la revitalisation du cœur de ville, nous avions identifié les besoins. Le plan gouvernemental est venu accélérer les choses. Nevers a périclité après la mort de Pierre Bérégovoy (l’ancien Premier ministre de François Mitterrand a été maire de Nevers de 1983 jusqu’à sa mort en 1993, ndlr). La ville a subi une énorme perte démographique que nous ne sommes pas encore parvenus à juguler, même si les choses tendent à se tasser. C’est un gros problème. La population est tombée de 48.000 à 35.000 habitants en vingt-cinq ans. La ville est devenue surdimensionnée, beaucoup de logements ont été délaissés et sont devenus insalubres.
Une des raisons majeures de ce déclin est le déficit d’image. Les Français ne savent plus nous positionner sur une carte, ils ont une vague idée. J’essaye de redonner à la ville un rôle de capitale départementale qu’elle avait perdu. Un autre élément nous a pénalisés : nous sommes au cœur de la France et pourtant nous sommes enclavés. Nous n’avons pas de TGV, l’autoroute A77 se termine à Nevers en cul-de-sac… Pendant vingt-cinq ans, il n’y a pas eu d’investissement en termes d’aménagement du territoire. Il est difficile d’attirer des entreprises sans liaison Paris-Nevers.
Mais on se dirige vers du mieux. La RCEA (Route Centre Europe Atlantique) passera à quatre voies d’ici quelque temps et permettra de relier le réseau autoroutier. En train, on peut faire Nevers-Dijon en 2h07, avec trois trajets directs par jours depuis le 9 décembre. J’essaye par ailleurs de recréer des liaisons aériennes.

Quel a été l’impact de cette perte démographique sur le centre de Nevers ?

À mon arrivée, on avait un taux de vacance commerciale de 24% dans le centre, il est encore de 20%, et un taux de vacance de logement équivalent, autour de 22/23%.  On n’a pas le temps de tergiverser. Il y a urgence. Aujourd’hui la ville a besoin d’assistance. Mes envies ont été freinées par la baisse des dotations. Ce que j’ai dénoncé, c’est la disproportion et la non-différenciation des territoires. Certains avaient certaines latitudes pour amortir le choc, pour d’autres c’était leur mettre la tête sous l’eau. Il a fallu trouver d’autres sources de financement. On a par exemple lancé un crowdfunding pour la rénovation du théâtre. Puis, en 2017, la Caisse des Dépôts nous a choisis parmi les 10 "villes démonstrateurs" dans la redynamisation des centres-villes. On nous a fait confiance.
Parallèlement, nous avons négocié avec la Drac (direction régionale des affaires culturelles) une convention jusqu’en 2020, qui prévoit à titre dérogatoire un taux de subvention de 50% sur la rénovation du bâti classé (au titre des Monuments historiques, ndlr) contre 40% et, pour les immeubles inscrits, de 40% au lieu de 30%... Je crois beaucoup aux partenariats public-privé, quand bien même il faut être prudent. On peut avoir des montages intelligents qui n’enlèvent pas forcément la gouvernance aux élus. Il faut aussi qu’on fasse davantage appel aux fonds européens. Action cœur de ville s’inscrit dans ce contexte et va permettre d’accélérer le mouvement.

Faire revenir des habitants, c’est agir à la fois sur le logement, le commerce et les transports. Que comptez-vous faire précisément ?

Le travail sur le logement démarrera plutôt en 2019, avec Action logement qui a identifié pas mal de zones en mauvais état. On a beaucoup déconstruit, ce qui nous plombe aussi sur le comptage de la population. Nous sommes la seule agglomération de Bourgogne-France-Comté à financer la déconstruction. Mais on reconstruit aussi hors site, en centre-ville, pour favoriser la mixité sociale : il faut faire revenir les classes moyennes en ville.
Sur la partie commerce, tout Nevers est gratuit depuis le début de l’année. Nous avons des zones bleues de deux heures. Elles sont définies en lien avec les commerçants. Le stationnement gratuit, c’est un parti pris, une renonciation à des recettes.  Mais c’est un investissement car cela doit permettre au commerce de revenir dans le centre. On a aussi une navette autonome depuis le 14 décembre. La Banque des Territoires en finance une partie. Elle est mise gratuitement à la disposition des habitants pour qu’ils viennent faire leurs courses en ville.
J’attends aussi de pouvoir utiliser le doit de préemption sur les pas-de-porte fermés. Avec Cœur de ville, je vais pouvoir affecter une partie des fonds pour le faire. On devrait racheter le premier pas-de-porte d’ici la fin de l’année début 2019. On a un porteur privé qui veut faire des boutiques éphémères.
Il est aussi important de mener un travail de proximité avec les commerçants. Nous avons une réunion tous les deux mois avec eux. Vient qui veut. On acte des choses ensemble. Je rencontre aussi le président de la principale association, Les Vitrines de Nevers, tous les mois. Par exemple, nous cofinançons les fêtes de Noël avec les commerçants. Enfin, j’ai nommé un manager du commerce et du centre-ville. Ce sont des outils importants. Il faudra peut-être envisager d’autres choses. Dans le cadre de l’association Villes de France, j’avais proposé de créer des zones franches de centre-ville, cette idée n’a pas été retenue pour l’instant. Je m’intéresse aussi à ce que fait Bordeaux Métropole en matière de défiscalisation, pour investir dans l’habitat rénové.

Comme de nombreuses villes moyennes, Nevers a laissé proliférer les zones commerciales en périphérie. Quelle est votre politique à ce sujet ?

Le paradoxe c’est que, pendant des années, Nevers perdait de la population mais augmentait les grandes surfaces alimentaires en périphérie. On a le record de m2 alimentaires pour les villes de même strate ! C’est illogique et suicidaire. Cela, on ne le fait plus.  Je ne suis pas favorable aux extensions, sauf si on me démontre qu’on ne peut pas du tout s’implanter en centre-ville. À ce titre, j’ai recours aux taxes sur les friches commerciales pour obliger les propriétaires de locaux à les remettre en état. J’ai eu des exemples où, pendant deux ans, j’ai été gentil, mais rien ne se passait. Là, ça les a fait réagir.

Vous qui êtes féru de nouvelles technologies, comment voyez-vous l’essor du e-commerce et la stratégie particulièrement agressive d’Amazon ?

On est en transition dans beaucoup de domaines. Il n’est pas simple de faire les bons choix dans un monde en transition. Notamment sur le commerce. Ce sont avant tout les consommateurs qui décident ce qu’il est. Mais les plateformes risquent de tout avaler, de tout tuer. Alors les commerces doivent s’interroger et s’adapter, s’orienter vers des commerces vitrines plutôt que de continuer d’avoir des stocks achalandés… C’est une des pistes possibles pour certains produits. Si les commerces ne veulent pas être avalés, il faut aussi qu’ils se réforment.

Il y a aussi les promesses d’emplois, les mêmes qu’on a entendues de la part de la grande distribution, sans voir les destructions autour…

C’est difficile de juger trente ans après les choix qui ont été faits. Mais il faut une ligne de conduite. Un cœur de ville sans commerce, qui n’accueille plus que des banques, des assurances, ce n’est pas ma conception de la ville. Je ne suis pas prêt à tout accepter, j’aurais le sentiment de trahir ceux qui m’ont élu. C’est vendre son âme.

Lors des Rencontres Cœur de villes du 11 décembre, beaucoup de thèmes ont été abordés, mais on a entendu peu de témoignages sur la sécurité ou la médecine… Est-ce que ce sont des sujets de préoccupation pour Nevers ?

La sécurité est une partie de mon programme. J’ai souhaité m’emparer du sujet. J’ai armé ma police, mis de la vidéoprotection. Avant, en tant qu’avocat, j’avais quelques réserves là-dessus, aujourd’hui ce n’est plus un sujet.
Quant à la médecine c’est aussi devenu un critère d’implantation. Les candidats médecins nous demandent ce que l’on a comme offre. L’hôpital est équipé d’un Tep Scan et d’une Gamma caméra, c'est un atout.  Mais il faut parfois faire du cocooning, car c’est souvent le conjoint ou la conjointe qui décident. On a par exemple un programme d'accueil www.win inspiré de ce que fait l'Auvergne. Nevers n’est pas en désertification mais pourrait le devenir d’ici cinq ans compte tenu des départs à la retraite. Le numerus clausus a été une erreur. Lors de son meeting de Nevers en janvier 2017, Emmanuel Macron avait prononcé un discours sur la santé, promettant de rouvrir le numerus clausus. Seulement, cela n’aura des effets que dans dix ou quinze ans. Il y a un vrai souci de transition, sachant que tout une partie du département est déjà en désertification. Alors que fait-on ? On améliore déjà le maillage médical avec quelques maisons de santé, mais il ne faut pas faire des coquilles vides comme dans beaucoup d’endroits. On veut créer une maison de spécialistes avec un centre de ressources. Sinon, il faut prendre son bâton de pèlerin pour trouver des médecins, nous sommes déjà arrivés à en recruter 23 pour l'hôpital. Je reviens du Vietnam et de Chine. On aura des médecins vietnamiens à partir de mai.
Je mise aussi sur des dispositifs innovants tels que la télémédecine, la téléconsultation ou la télé-expertise… Ce n’est pas un cabinet de télémédecine qui va remplacer un médecin, bien sûr, mais cela peut soulager. On veut aussi remettre en place SOS Médecin, avec de la téléconsultation, des coussins connectés… Pour la bobologie, ce sont des solutions qu’il ne faut pas négliger.

Votre parlez des nouvelles technologies : votre projet repose aussi en grande partie sur la Smart City que vous avez pu exposer lors des Rencontres Cœur de ville (voir encadré). Dans le domaine de la dématérialisation, on voit que tout va très (trop) vite. Que prévoyez-vous pour ne laisser personne du côté de la route ?

Effectivement, une partie de la population est très loin de tout ça. Le grand plan du secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi comporte une partie sur le financement de l’accompagnement. L’État doit faire quelque-chose pour ceux qui n’ont pas cette culture numérique. Il faut aller au-delà, identifier tous ceux qui ne sont pas inclus pour les former, le gouvernement doit s’investir là-dedans.  Nous, on va préparer un service d’accompagnement à la dématérialisation en mairie. On a déjà un panneau numérique à l’entrée de la mairie, qui permet de soulager certaines tâches, pour les démarches simples.

Nevers veut renaître grâce au numérique

Sur la place Carnot de Nevers trône un "arbre solaire", le premier du genre en France et en Europe. Le e-Tree : un arbre dont les feuilles sont des panneaux photovoltaïques et qui avait été exposé lors de la COP21 à Paris, en 2015. Il permet aux usagers de brancher ordinateur, téléphone portable, vélo électrique, de surfer sur internet via une borne wifi, d’obtenir des informations touristiques et même de l’eau fraîche. Depuis peu, la ville s’est dotée d’un deuxième spécimen, sur les bords de Loire. Un gadget ? Non, "un outil pédagogique", estime Denis Thuriot, le maire de Nevers et président de Nevers agglomération, qui veut se servir de ce symbole pour s'afficher comme ville intelligente, "Smart City". Ou plutôt "Smart Territoire", car "il faut intégrer l’agglomération et ne pas se limiter à la ville centre", comme il a pu s'en expliquer lors d’un atelier lors des Rencontres Cœur de ville, organisées le 11 décembre, à Poitiers, par la Banque des Territoires. L’édile voudrait aussi qu’on parle de "villes médianes", et non plus de villes moyennes, car elles font le "trait d’union entre les métropoles et les campagnes et elles sont des terres d’accueil pour l’intelligence, les entreprises et les start-up". 
Nevers a beaucoup souffert de la désindustrialisation, de la déprise démographique et d’un déficit d’image. Ce que Denis Thuriot cherche à corriger à travers les nouvelles technologies. "C’est un angle sur lequel se démarquer. Les élus doivent préparer un terreau favorable au développement économique, à l’emploi. L’aspect smart peut être une forme de régénération. Manicourt, le charolais, le bois… tout cela n’a pas suffi. Il faut se battre avec les nouvelles technologies. Celles-ci ne sont pas réservées aux métropoles", clame l’élu. Nevers s'est lancée dans l'ouverture de données (Open Data) et s'est dotée d'un datacenter public-privé. Ce qui nécessite des garde-fous, notamment sur l’éthique. "Trop de données tue la donnée", plaide l'avocat, citant le député Luc Belot auteur d'un rapport de 2017 sur la ville intelligente : "La technologie est un esclave utile mais un maître dangereux."  "Le numérique ne doit pas être une fin en soi, mais doit se mettre au service de l’humain", insiste Denis Thuriot. Le centre communal d’action sociale a ainsi recruté une personne en service civique pour accompagner les utilisateurs de la borne interactive. Son rôle ? "Expliquer comment faire, rassurer…" La ville intelligente doit être pensée "pour tous", "sinon on va rater le coche des plus éloignés". 
À Nevers, la ville intelligente passe aussi bien par des tickets de bus dématérialisés que des candélabres solaires combinés avec de la vidéoprotection, un cabinet de télémédecine, un incubateur à start-up (InKub), un programme d'accueil de nouveaux arrivants www.win, assorti de trois mois de loyers gratuits… et la ville se tient prête pour les voitures autonomes. 
Denis Thuriot court à présent le monde pour vendre sa ville et s’inspirer de ce qui se fait ailleurs : Las Vegas (salon mondial de l’électronique), Québec, Israël, la "Start-up Nation"... Avec Shawinigan (Québec), Nevers agglomération entend initier un réseau de villes moyennes intelligentes, avec de nombreux partenariats à la clé. En novembre dernier, Nevers accueillait ainsi le premier Sommet international de l’innovation en villes médianes (Siivim), en présence d’une dizaine de villes du monde entier. La deuxième édition se tiendra à Shawinigan, en mai prochain.
Michel Tendil