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Produits du terroir - Des labels géographiques au secours des produits manufacturés européens ?

Après les vins, les pommes ou les fromages, les spécialités artisanales et industrielles pourraient bénéficier d'une reconnaissance à l'échelle de l'UE. C'est la proposition que l'eurodéputée Virginie Rozière va soumettre à Bruxelles, selon un rapport que nous avons consulté. S'agissant des produits français, cela permettrait d'étendre la portée de la loi Consommation du 17 mars 2014 qui est venue étendre les indications géographiques protégées aux produits manufacturés... et protéger le nom des collectivités.

Les couteaux de Laguiole, le linge basque ou la porcelaine de Limoges pourront-ils bénéficier demain du même niveau de protection à l'échelle européenne que le Champagne ou le Bleu d'Auvergne ?
Le sujet va arriver sur la table du Parlement européen début mai, à l'initiative de Virginie Rozière, dont nous avons consulté le projet de rapport. Elue dans le Sud-Ouest et issue du parti radical de gauche, l'eurodéputée prône "l'instauration au niveau européen d'un instrument de protection" dédié aux "productions industrielles et artisanales locales".
"Un peu partout en Europe, des produits ayant une notoriété historique sont l'objet d'usurpations, ce qui a pour conséquence de dégrader l'image du produit, car ce qui est fabriqué ailleurs n'a rien à voir en termes de qualité", détaille-t-elle. Il en va ainsi du fameux feuilleton (voir articles ci-contre) des couteaux estampillés "Laguiole" sortant tout droit des ateliers chinois.

Le réveil tardif de l'UE

Ce débat n'est pas neuf : il existe de longue date dans le domaine agricole, qui a su se protéger plus tôt contre les risques de contrefaçon ou de détournement de marque. Le rattachement d'une variété de vin à un territoire précis est reconnu à l'échelle européenne depuis 1970, grâce à l'adoption "d'indicateurs géographiques". Douze ans plus tard, le principe a été étendu à tous les produits agricoles. L'enjeu consiste aujourd'hui à le propager à d'autres secteurs, même si l'ancrage territorial paraît moins évident que pour les fromages ou fruits protégés, dont la production répond à des critères géographiques très fins (altitude, climat, etc.).
"Ce n'est pas du protectionnisme", objecte l'élue. Mais plutôt une forme de rattrapage sur ce qui existe déjà chez des géants commerciaux comme l'Inde ou la Chine, soucieuses de protéger leur artisanat lorsqu'elles négocient des accords de libre-échange. Le principe est d'ailleurs prévu par l'OMC.
L'UE arrive donc avec un train de retard… même si elle ne part pas de zéro. Pendant la période précédente (2007-2013), l'ex-commissaire au Marché intérieur, Michel Barnier, avait lancé une série de travaux : livre vert, consultation, recensement des produits typiques dans chaque pays de l'UE… Les voyants indiquant l'arrivée possible d'une future législation s'allumaient un à un.

Tweed anglais

Deux ans plus tard, l'ambiance a légèrement changé. Au plan commercial, la Commission européenne s'affaire à négocier un accord avec les Etats-Unis tout en bridant au maximum ses services, sommés de ne plus proposer de nouvelles législations. "Mieux légiférer ne signifie pas forcément moins légiférer", veut croire l'eurodéputée.
Le sort du dossier dépend aussi du degré d'intérêt qu'il peut susciter auprès des Etats. Quinze d'entre eux ont déjà pris des mesures visant à protéger leurs produits artisanaux. C'est le cas de la France, à travers la loi Consommation de mars 2014. Le mécanisme proposé par Virginie Rozière semble d'ailleurs très proche de la logique qui a prévalu lors de l'élaboration de cettte récente loi (voir nos articles ci-contre). Mais au plan européen, le système actuel reste coûteux : un producteur doit déposer son dossier dans chaque pays, moyennant à chaque fois de nouveaux frais d'enregistrement.
Sur les 834 produits typiques recensés en Europe, seuls 63 bénéficient d'une protection via le dépôt d'une marque, selon une étude menée en 2013. En dehors des pays scandinaves, qui y voient une barrière au marché, le sujet ferait relativement consensus d'un Etat à l'autre. "Même chez les Britanniques", s'étonne l'eurodéputée. Les tailleurs de Savile Row, véritable institution londonienne, seraient avides de protéger le tweed anglais…