Diagnostic de performance énergétique : la Cour des comptes plaide pour renforcer l’articulation avec les travaux de rénovation
La réforme de 2021 visant à fiabiliser le diagnostic de performance énergétique (DPE) a-t-elle porté ses fruits ? Dans un rapport dévoilé ce 3 juin, la Cour des comptes s’est attelée à analyser la capacité de l’État à garantir la mise en oeuvre de cet outil stratégique de la rénovation énergétique des bâtiments compte tenu de l’interdiction adjacente de location des logements les moins performants (ceux classés G en 2025, puis F en 2028).

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Renforcé en 2021 (lire notre article), le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu pleinement opposable et adossé à une interdiction progressive de louer les "passoires thermiques" (logements classés G à compter de 2025 et ceux classés F à compter de 2028). Une réforme mise en œuvre "trop rapidement" "sans anticiper les difficultés pratiques pour les particuliers à s’y conformer", avec des conséquences majeures sur leur situation patrimoniale et le marché immobilier, relève la Cour de comptes dans un rapport présenté ce 3 juin. Et ce d’autant que "des incertitudes persistent" concernant les conditions de réalisation des prestations réalisées par les professionnels malgré des "avancées incontestables dans la fiabilisation".
Des efforts complémentaires doivent donc être menés, notamment via la réalisation de contrôles plus systématiques de la part de l’Ademe, à partir de sa collecte des DPE, plaide le rapport. Les mesures annoncées par la ministre chargée du logement, Valérie Létard, le 19 mars dernier (voir notre article) s’inscrivent à cet égard dans la continuité des constats et propositions de recommandations formulés par les magistrats de la rue Cambon sur le besoin de renforcement de la prévention des risques d’irrégularités.
Un maillon central de la politique de rénovation énergétique…
En 2024, plus de 32 millions de logements privés sont concernés, dont 5,8 millions très énergivores sont des passoires thermiques (classés F ou G). Le DPE a ainsi connu une massification rapide, passant de 120.000 diagnostics réalisés par mois en 2018 à plus de 350.000 aujourd'hui. Et le nombre de diagnostiqueurs immobiliers certifiés pour réaliser des DPE a augmenté de concert de 46% entre 2019 et 2023. "D’un simple objet réglementaire technique à vocation informative, le DPE s’est, dans les faits, transformé en outil stratégique et politique aux conséquences majeures pour les particuliers et le régime de la propriété sans que les conséquences de cette transformation et de son calendrier de réalisation n’aient été clairement mesurées, notamment en termes de risque d’éviction, même temporaire, de logements du parc locatif", souligne la Cour.
Les différentes échéances prévues pour la mise en œuvre du DPE et pour l’indécence des logements ont en particulier "complexifié leur lisibilité". D’autres points de confusion potentiels ont concerné les logements de petite surface ou encore la différence entre "DPE individuel" et "DPE collectif" dans les immeubles en copropriété, réalisé à partir des parties communes et d’un échantillonnage. Le dispositif gagnerait ainsi, selon la Cour, à être "clarifié" pour faciliter sa mise en oeuvre, notamment en l’articulant mieux avec les règles de la copropriété (inertie de la prise de décision) et de l’urbanisme (règles visant à préserver les façades, par exemple). Des débats persistent également sur certaines faiblesses méthodologiques, notamment pour le bâti ancien.
… dont l’efficience est à démontrer
Les magistrats de la rue Cambon jettent un pavé dans la mare s’interrogeant sur "l’utilité du DPE pour planifier des travaux de rénovation, alors même que l’incitation à la rénovation énergétique fait partie des objectifs assignés à ce dispositif". Les propositions de travaux de rénovation énergétique qui peuvent figurer dans le DPE "sont généralement rédigées de façon sommaire", ne contiennent "ni descriptif précis de ce qui est attendu pour améliorer la catégorie de classement, ni élément sur les coûts induits ou sur les aides publiques mobilisables", note la Cour.
"Pour comprendre les scénarios de travaux à effectuer et en anticiper le coût réel, seul un 'audit énergétique', distinct du DPE, donne des informations étayées, mais moyennant un montant en moyenne trois à cinq fois plus élevé", ajoute-t-elle. Le lien causal entre DPE et travaux effectivement réalisés "ne peut être documenté de façon rigoureuse", appuient les magistrats, préconisant un "pilotage global" du dispositif pour mieux mesurer son impact et évaluer l’emploi des subventions publiques correspondantes. Sachant que le rythme de rénovation des logements demeure "à ce stade insuffisant" au regard des objectifs fixés de rénover l’ensemble des "passoires thermiques" d’ici à 2030 (2,5 millions classés G, et 3,3 millions classés F).
La Cour déplore également qu'il n'y ait "aucune évaluation prévue sur l’état du parc de logement locatif, sur le marché de l’immobilier" de l'interdiction progressive de louer des passoires énergétiques. Outre un effet sur les prix des biens, le DPE semble se répercuter sur l’offre de logements : le stock de biens à louer aurait chuté de 22% pour les logements classés A à D entre mi-2021 et mi-2023, et de 33% pour les logements classés F et G.
Des efforts de fiabilisation à poursuivre
La Cour formule trois recommandations en ce sens. S’agissant tout d’abord du contrôle de la qualité des diagnostics, la persistance d’un taux significatif de DPE "anormaux" au niveau des changements de seuil des classes énergétiques appelle à ses yeux "une vigilance accrue".
Les contrôles a priori réalisés par l’Ademe des diagnostics versés sur sa plateforme "permettent de garantir une qualité minimale des DPE délivrés et d’éliminer les erreurs les plus grossières [par exemple des surfaces ou hauteurs sous plafond], mais ils ne semblent pas suffisants au regard des enjeux". Il conviendrait selon les magistrats d’en élargir le champ à des analyses statistiques de la cohérence des DPE plus approfondies avec des méthodes d’intelligence artificielle afin d’être en mesure de déclencher des alertes pour d’autres formes d’incohérences (données très différentes de celles observées habituellement pour des bâtis similaires, systèmes de chauffage incohérents entre plusieurs appartements d’un même immeuble, etc.).
La Cour appelle enfin à poursuivre la structuration de la filière avant fin 2026, notamment en instaurant une carte professionnelle pour les diagnostiqueurs. Pour pallier les situations de potentiels conflits d’intérêts susceptibles de nuire au principe d’impartialité des diagnostics, le rapport suggère de poser une règle d’incompatibilité géographique pour les auditeurs (par rapport à leurs fonctions antérieures avant fin 2026) et de garantir une stricte séparation de l’exercice des missions de formation initiale et de certification. "Il faut mettre fin à l'endogamie dans le secteur", a affirmé Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, appelant à "une régulation forte de l'État".