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OGM - Didier Jouve : "Le projet de loi va à l'encontre des décisions du Grenelle"

Pour Didier Jouve, vice-président de la région Rhône-Alpes et président de la commission développement durable de l'Association des régions de France (ARF), le projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), adopté le 9 avril en première lecture à l'Assemblée nationale, remet en cause les propositions du Grenelle de l'environnement.

Localtis.info : Comment percevez-vous l'orientation prise par ce texte transposant une directive européenne de 2001 et dont l'adoption figurait au rang des engagements du Grenelle de l'environnement ?

Didier Jouve :  Depuis son passage au Sénat début février, son orientation a été substantiellement modifiée et ce texte s'est progressivement dénaturé sur des points si nombreux qu'on a beau prendre tel ou tel amendement, on constate qu'ils vont toujours dans le même sens. Un sens nettement favorable aux cultures d'OGM et à leur moindre contrôle par une haute autorité transformée par le Sénat en Haut Conseil des biotechnologies, censé évaluer les risques pour l'environnement et la santé publique de tout nouvel OGM. Et une orientation prise par un tel biais que seule la responsabilité de l'exploitant est engagée - et non celle des producteurs, distributeurs et de l'ensemble de la filière - en cas de dissémination accidentelle d'OGM entre parcelles. Au niveau local d'ailleurs, on prétend pouvoir faire coexister des cultures avec ou sans OGM et organiser des périmètres en fonction, alors que tout le monde sait que dans les faits, cela est impossible à mettre en oeuvre.

L'adoption de l'amendement d'André Chassaigne visant à protéger "les zones de production de qualité sans OGM" (filières de production AOC et biologique) et à préserver les territoires des parcs naturels ne constitue-t-il pas un signe positif, en adéquation avec l'esprit du Grenelle ?

Si, c'est même le seul signe positif. Mais même sur ce point, le gouvernement a prévenu qu'il fera sauter cet amendement pour le réduire au minimum, soit à l'exclusion des cultures d'OGM dans les seuls parcs naturels nationaux et régionaux. Il faut bien comprendre qu'on est en présence d'un projet de loi dont l'adoption ne va pas simplement à l'encontre des décisions du Grenelle mais qui tue purement et simplement le processus que celui-ci a patiemment élaboré en rassemblant des milliers d'acteurs autour d'un grand débat. On ne peut pas accepter que tant de gens se soient mobilisés et aient formulé à l'issue du Grenelle des propositions pour les voir aussitôt battues en brèche par le groupe majoritaire à l'Assemblée. Au Grenelle, il était frappant d'observer qu'une majorité de participants était contre l'extension des cultures d'OGM. Où en est-on aujourd'hui ? Tous ceux qui se sont investis l'ont-ils fait pour rien ? Sur tous les autres chantiers pour lesquels le collège des collectivités et moi-même, en tant que représentant de l'ARF, avons notre mot à dire au sein des comités opérationnels (comop), en sera-t-il de même que pour les OGM ? Participe-t-on à une vaste supercherie, un semblant de débat, à un exercice de communication brassant du vide ? Si on constate que c'est le cas - et nos craintes vont croissant vu le passage de ce projet de loi -, l'ARF se retirera des comop qui prolongent les travaux du Grenelle.

La divergence de points de vue s'accentue avec, d'un côté, ce projet de loi prévoyant au départ de consacrer la "liberté de consommer et de produire sans OGM" puis évoluant en faveur d'un "avec ou sans OGM" et, de l'autre, les quinze régions françaises membres du "réseau des régions européennes libres d'OGM" positionnées contre ces cultures. A quoi mène un tel grand écart sur le terrain ?

Sur le terrain, notez que là où l'on progresse le mieux en termes de dynamisme agricole et de protection de l'environnement, c'est lorsque s'engagent des politiques de développement local permettant aux territoires de faire revivre des filières de production et de tirer celles-ci vers la qualité. Or le mécanisme faisant passer de force les cultures d'OGM coupe court à ces politiques que mettent durement en oeuvre les élus. Les régions libres d'OGM vont donc continuer à défendre leurs positions même si, en matière d'autorisation de mise en culture, elles n'ont aucun pouvoir réglementaire.

Le droit à la transparence est prôné dans ce projet de loi. A leur niveau, les collectivités se doivent par ailleurs d'informer leurs habitants et d'animer la concertation au niveau local. Auront-elles selon vous les moyens de porter cet effort de transparence ?

Non. Et pour ne citer qu'un exemple, en 2007, les 20.000 hectares de cultures d'OGM autorisés l'ont été en toute opacité. Seuls les préfets ont validé les autorisations, les maires n'étant pas mis au courant des parcelles concernées sur leurs territoires. Sur le registre national localisant les parcelles, les communes n'étaient pas citées, ces parcelles étant jusqu'alors connues au seul niveau cantonal. C'est dire si l'on est face à un dispositif avançant masqué, dans une forme de secret qui semble irréversible. Cela va à l'encontre de toute gouvernance territoriale ouverte à la concertation et cohérente avec l'esprit du Grenelle. Si les positions de certains face à ce projet de loi sont donc sévères, il faut les comprendre : c'est justifié par le fait que celui-ci bat en brèche les progrès et principes chers à la démocratie locale.
  

Propos recueillis par Morgan Boëdec / Victoires éditions

Récapitulatif des principaux articles et amendements adoptés par les députés

1- Coexistence des cultures
Suite à l'amendement du rapporteur UMP Antoine Herth, la mise en culture et la récolte sont soumises à des "conditions relatives aux distances (pour éviter toute contamination) et fixées par nature de culture" (par le ministère de l'Agriculture). Ces conditions techniques "définissent les périmètres au sein desquels ne sont pas pratiquées de cultures d'OGM" et "doivent permettre que la présence accidentelle d'OGM dans d'autres productions soit inférieure au seuil" d'étiquetage fixé à 0,9% par la réglementation communautaire.
2- Délit de fauchage
Inventée lors du passage du texte au Sénat, cette nouvelle typologie de délit a soulevé nombre d'oppositions mais est passée à l'Assemblée. Toute atteinte à une parcelle OGM autorisée sera punie de deux ans de prison et de 75.000 euros d'amende.
3 - Responsabilité de l'exploitant final
En cas de dissémination accidentelle, l'agriculteur choisissant de cultiver des OGM est responsable du préjudice économique.
4 - Evaluation des risques
Composé d'un comité scientifique, le Haut Conseil des biotechnologies aura pour mission d'éclairer le gouvernement et d'évaluer les risques pour la santé publique.
5 - Préservation de territoires
Suite à l'amendement 252 d'André Chassaigne (PCF), et comme l'autorise le règlement européen (même s'il interdit d'aller plus loin et d'exclure par exemple des régions entières), des zones de productions de qualité sans OGM seront préservées de toute culture d'OGM. En effet, l'amendement exige des agriculteurs décidant de planter des OGM qu'ils tiennent compte des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées (AOC). Si le président du groupe UMP à l'Assemblée, Jean-François Copé, a promis de le faire supprimer, le ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo, a quant à lui assuré qu'il ne fera pas l'objet d'un réexamen. Comme l'avait par ailleurs défendu Yves Vandewalle, député des Yvelines et président du parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, les parcs naturels régionaux et parcs nationaux sont reconnus comme des territoires excluant la culture d'OGM.
6- Information et transparence
L'amendement 86 de la directive européenne prévoyait un dispositif d'information du public. Voté à l'Assemblée, il prévoit d'informer et de consulter le public en amont des autorisations d'essais d'OGM et de motiver des réunions publiques autour des maires et des autorités adiministratives. Les doutes persistent sur le terrain quant à son application. Enfin, un registre national public sera mis en ligne sur Internet pour localiser les cultures OGM par parcelle et non plus par canton.

M.B.