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Dispositions anti-squatteurs de la loi Sécurité globale : les associations saisissent le Conseil constitutionnel

Une cinquantaine d'associations ont adressé au Conseil constitutionnel des "observations" sur l'article 2 de la loi Sécurité globale, qui prévoit un triplement du quantum des peines à l'encontre des squatteurs et vient étendre les dispositions contre les squatteurs aux locaux professionnels, commerciaux, agricoles ou industriels.

Après l'article 73 de la loi Asap du 7 décembre 2020 (accélération et simplification de l'action publique), qui élargit et simplifie les modalités d'expulsion des squatteurs (voir notre article du 18 décembre 2020), la question connaît un nouvel épisode inattendu. Un amendement sénatorial de dernière minute au projet de loi relative à la sécurité globale – maintenu lors de la commission mixte paritaire (CMP) entre le Sénat et l'Assemblée nationale et qui figure donc dans le texte final – introduit en effet une nouvelle disposition contre les squatteurs. Les associations s'indignent et alertent le Conseil constitutionnel, qui doit se prononcer très bientôt sur le texte.

Triplement des peines et extension aux locaux industriels et commerciaux

La disposition contestée figure à l'article 2 du projet de loi Sécurité globale, dans sa version post CMP. Elle comporte deux mesures. La première consiste en un triplement du quantum des peines à l'encontre des squatteurs, fixé par l'article 226-4 du Code pénal. Ce dernier sanctionne "l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte", ainsi que "le maintien dans le domicile d'autrui à la suite de l'introduction mentionnée au premier alinéa". L'article 2 de la loi Sécurité globale porte la sanction à trois ans d'emprisonnement (au lieu d'un an actuellement) et 45.000 euros d'amende (au lieu de 15.000). On se souvient que cette disposition, également introduite par amendement, figurait à l'article 73 de la loi Asap, mais avait été censurée par le Conseil constitutionnel au titre de cavalier législatif, sans rapport avec l'objet du texte support (voir notre article du 18 décembre 2020).

La seconde mesure introduite par l'article 2 de la loi Sécurité globale est plus subtile. Elle prévoit en effet qu'"en cas d'introduction dans un local professionnel, commercial, agricole ou industriel en violation flagrante de l'article 226-4 du Code pénal, les agents de police municipale en rendent immédiatement compte à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent, qui peut alors leur ordonner sans délai de lui présenter sur-le-champ l'auteur de l'infraction ou de retenir celui-ci pendant le temps nécessaire à son arrivée ou à celle d'un agent de police judiciaire agissant sous son contrôle".

Outre qu'elle introduit officiellement la police municipale dans le jeu (avec un pouvoir de rétention des contrevenants), elle a surtout pour effet d'étendre les dispositions contre les squatteurs aux locaux professionnels, commerciaux, agricoles ou industriels. Or aujourd'hui, les sanctions contre les squatteurs ne concernent que l'intrusion dans les résidences principales et secondaires et tout autre lieu à usage d'habitation. Cette assimilation, de fait, des locaux commerciaux ou industriels au domicile pourrait bien soulever un problème juridique.

Une violation du principe de proportionnalité des peines ?

Dès le 20 avril, l'opposition a saisi le Conseil constitutionnel d'un recours contre la loi Sécurité globale, visant plusieurs dispositions du texte. Mais l'article 2 n'est pas évoqué dans ce recours. Faute de pouvoir déposer eux-mêmes un recours – réservé à ce stade à soixante députés ou sénateurs, ainsi qu'au gouvernement (qui a lui-même saisi le Conseil sur le célèbre article 24 relatif à la protection de l'image des forces de l'ordre)  –, une cinquantaine d'associations, dont 22 figurent officiellement parmi les signataires, ont adressé au Conseil constitutionnel, le 30 avril, des "observations" sur certaines dispositions de la loi. Parmi les signataires figurent notamment le DAL, la Fondation Abbé-Pierre, Emmaüs France, le Secours Catholique, Médecins du Monde ou le Mrap.

L'article 2 (dénommé encore 1 bis dans les observations) fait partie des dispositions visées. Sur le triplement du quantum des peines, les associations font valoir que "cette pénalité – qui concerne essentiellement des personnes sans ressources et précaires – viendrait à la fois les exposer à des peines privatives de liberté non aménageables et à une sanction financière pouvant s'élever à plus de 81 fois le RSA", ce qui ne respecterait pas le principe constitutionnel de proportionnalité des peines. Les signataires observent également que les peines actuellement prononcées par les juridictions sont inférieures au quantum actuel d'un an d'emprisonnement et que "ces décisions de justice montrent donc que la peine actuellement en vigueur est suffisante au but poursuivi".

Sur l'extension "particulièrement hasardeuse" de la notion de domicile aux locaux industriels ou commerciaux, les associations font valoir qu'elle est "sans aucun lien – direct ou indirect – avec l'objet de la loi" et demandent donc sa censure. Certaines associations – à commencer par le DAL, coutumier de la démarche – s'inquiètent aussi des conséquences que pourrait avoir un durcissement des sanctions contre l'occupation de locaux commerciaux vides.

Il reste maintenant à savoir si le Conseil constitutionnel tiendra compte des observations des associations et s'autosaisira de l'article 2. À défaut, le recours pourrait bien resurgir dans les prochains mois sous la forme d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

 

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